CA Besançon, 1re ch. civ. A, 18 novembre 2009, n° 08/01398
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gauthier
Conseiller :
M. Pollet
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
C... H... a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ouverte par jugement du 28 septembre 1992 et clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 7 février 2005.
Entre-temps, les droits du débiteur dans la succession de sa mère et de son père, décédés respectivement le 30 mars 2002 et le 9 juin 2003, ont été appréhendés par le liquidateur pour être distribués entre les créanciers.
Faisant valoir que l'intégralité de ses actifs avait été réalisée dès le 2 décembre 1992 et que la liquidation judiciaire aurait donc dû être clôturée beaucoup plus tôt, en tout cas avant qu'il n'hérite de ses parents, de sorte que cet héritage aurait dû lui profiter, C... H... a fait assigner l'Etat Français pour être indemnisé de son préjudice.
Par jugement en date du 18 mars 2008, le tribunal de grande instance de BESANÇON a condamné l'Etat Français à payer à C... H... la somme de 22 000 ¿, outre intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2007, avec capitalisation de ces intérêts.
Ayant régulièrement interjeté appel de ce jugement, l'Etat Français sollicite le rejet de toutes les prétentions de C... H... et sa condamnation au paiement d'une somme de 1 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son recours, l'appelant fait valoir, pour l'essentiel,
- que l'action de l'intimé se heurte à la déchéance quadriennale des créances sur l'Etat prévue par la loi du 3 décembre 1968,
- que C... H... est lui-même responsable de la durée de la procédure de liquidation judiciaire, pour n'avoir pas sollicité la clôture de cette procédure,
- que, si la procédure de liquidation judiciaire avait été clôturée avant le décès des père et mère de l'intimé, elle aurait pu être réouverte afin que ses droits successoraux soient appréhendés au bénéfice de ses créanciers, si bien que la durée de la procédure ne lui a causé aucun préjudice.
C... H... conclut à la confirmation du jugement déféré et sollicite une somme de 1 500 ¿ au titre de ses frais irrépétibles.
En réponse aux moyens invoqués par l'appelant, il soutient, en substance,
- que la déchéance quadriennale n'est pas acquise, le point de départ du délai de prescription étant la date où le dommage s'est produit, c'est-à-dire, en l'espèce, la date où sa part dans les successions de ses parents a été appréhendée par le liquidateur, le délai de quatre ans n'étant donc pas expiré à la date où l'instance contre l'Etat a été introduite,
- qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir sollicité la clôture de la liquidation judiciaire dès lors qu'en vertu des textes applicables à l'époque, il n'avait pas qualité pour faire une telle demande,
- que, si la liquidation judiciaire avait été clôturée dans un délai raisonnable, il aurait hérité de ses parents, son retour à meilleure fortune ne constituant pas un cas de réouverture de la procédure.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions de l'appelant déposées le 12 mars 2009 et à celles de l'intimé déposées le 9 décembre 2008.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2009.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
Attendu qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, sont prescrites au profit de l'Etat toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ;
Attendu que, s'agissant d'une action en responsabilité contre l'Etat, le délai de prescription commence à courir le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur de la créance, c'est-à-dire la survenance du dommage ;
Attendu qu'en l'espèce, le dommage allégué par l'intimé consiste en l'appréhension de ses droits dans les successions de ses père et mère par le liquidateur ; qu'au vu des comptes produits par le liquidateur, celui-ci a perçu les sommes revenant à C... H... dans les successions de ses parents les 10 janvier et 18 avril 2004 ; que, par conséquent, le délai de prescription quadriennale ayant commencé à courir le 1er janvier 2005, il n'était pas expiré lorsque l'intimé a engagé son action par assignation du 19 mars 2007 ;
Sur la responsabilité
Attendu que, selon l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, cette responsabilité n'étant engagée, sauf dispositions particulières, que par une faute lourde ou par un déni de justice ;
Attendu qu'en vertu de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ;
Attendu que constitue une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat l'inertie des organes en charge d'une procédure de liquidation judiciaire, ayant conduit à prolonger cette procédure au-delà d'un délai raisonnable ;
Attendu que le caractère raisonnable de la durée de la procédure doit être apprécié en considération des circonstances de la cause, en particulier de la complexité de l'affaire, de l'attitude des autorités compétentes et de celle du débiteur ;
Attendu qu'en l'espèce, il est constant que la liquidation judiciaire de C... H... ne présentait aucune complexité et qu'à compter du 2 décembre 1992, les actifs ayant été réalisés, rien ne s'opposait à la clôture de la procédure ;
Attendu qu'aucun acte n'a été accompli par le liquidateur jusqu'au 18 novembre 2003, date à laquelle il a requis l'autorisation de vendre de gré à gré un immeuble dépendant de la succession des parents du débiteur, décédés le 30 mars 2002 et le 9 juin 2003 ; que l'inertie du liquidateur pendant plus de dix ans et la défaillance des autorités chargées de surveiller le déroulement de la procédure (en particulier le juge-commissaire et le Ministère public) caractérisent un dysfonctionnement grave du service de la justice ;
Attendu toutefois que la passivité du débiteur est aussi à l'origine de la durée excessive de la procédure ; qu'en effet C... H... ne justifie ni même n'allègue avoir effectué la moindre démarche en vue de la clôture de sa liquidation judiciaire ;
Or attendu que, si le débiteur lui-même ne figurait pas, selon les textes légaux et réglementaires applicables à l'époque, au nombre des personnes pouvant requérir la clôture de la procédure, la Cour de cassation lui a néanmoins reconnu, par arrêt du 5 mars 2002, un droit propre à solliciter la clôture de sa liquidation judiciaire ; qu'en toute hypothèse, rien n'empêchait C... H... d'intervenir par tout moyen auprès du liquidateur, du juge-commissaire, du président du tribunal de commerce ou du Ministère public pour qu'il soit mis fin à la procédure ;
Attendu que force est de constater que l'intimé est demeuré inactif et qu'il s'est satisfait de sa situation, qui présentait pour lui l'avantage de le préserver de toutes poursuites de la part de ses créanciers ;
Attendu qu'en considération de l'attitude du débiteur, il convient de juger qu'il n'a droit à l'indemnisation de son préjudice qu'à proportion de moitié, et de réformer en ce sens le jugement déféré ;
Sur le préjudice
Attendu qu'aux termes de l'article 170 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction applicable en l'espèce, si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et s'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées, la procédure peut être reprise ;
Attendu qu'il s'ensuit que la liquidation judiciaire ne peut être réouverte qu'en cas de dissimulation d'actifs ou d'oubli, par le liquidateur, de réaliser certains actifs ou d'engager des actions, mais non en cas de retour du débiteur à meilleure fortune postérieurement à la clôture de la procédure ;
Attendu qu'en l'espèce, si la liquidation judiciaire de C... H... avait été clôturée pour insuffisance d'actif, comme elle pouvait l'être, dès 1993, en aucun cas elle n'aurait pu être reprise lorsque, dix ans plus tard, le débiteur a hérité de ses parents ;
Attendu par conséquent que, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant, le préjudice de l'intimé, consistant en la privation de l'héritage de ses parents, est donc bien certain ;
Attendu qu'il ressort de la comptabilité du liquidateur que celui-ci a perçu la somme de 21 538 ¿ au titre des droits du débiteur dans les successions de ses parents ;
Attendu que, C... H... ayant droit à réparation de la moitié de son préjudice, il lui sera alloué la somme de 10 769 ¿, assortie, conformément à l'article 1153-1 du code civil, des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Sur les frais et dépens
Attendu que, dès lors que chaque partie succombe partiellement en ses prétentions en cause d'appel, il convient de laisser à chacune d'elles la charge des dépens et des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
DÉCLARE l'appel de l'Etat Français recevable et partiellement fondé ;
RÉFORME le jugement rendu le 18 mars 2008 par le tribunal de grande instance de BESANÇON, en ce qu'il a condamné l'Etat Français à payer à C... H... la somme de 22 000 ¿, outre intérêts ;
Statuant à nouveau sur l'indemnisation de C... H...,
DIT que C... H... a droit à être indemnisé de son préjudice par l'Etat Français, à proportion de moitié ;
FIXE à 21 538 ¿ le préjudice de C... H... ;
En conséquence, CONDAMNE l'Etat Français à payer à C... H... la somme de 10 769 ¿ (dix mille sept cent soixante-neuf euros), avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONFIRME, pour le surplus, le jugement déféré ;
REJETTE les demandes des deux parties formées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.