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Décisions

Cass. crim., 1 avril 2020, n° 19-82.221

COUR DE CASSATION

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Ménotti

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Foussard et Froger, SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi et Sureau

Paris, du 7 mars 2019

7 mars 2019

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par un réquisitoire introductif du 22 mai 2014, une information judiciaire a été ouverte concernant des faits qualifiés de délit d'initié et recel.

3. Cette information judiciaire a été étendue, par un premier réquisitoire supplétif du 14 novembre 2014, sous les qualifications de délits d'initié et complicité et recel de ces délits. A la suite d'un signalement effectué les 23 et 25 septembre 2015 par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), accompagné de la communication de pièces provenant d'une enquête de cette autorité publique indépendante, comportant, notamment, des données à caractère personnel relatives à l'utilisation de lignes téléphoniques, l'instruction a été étendue par trois réquisitoires supplétifs des 29 septembre et 22 décembre 2015, puis 23 novembre 2016, aux titres CGG, Airgas et Air Liquide ou tout autre instrument financier qui leur serait lié, sous les mêmes qualifications et celles de complicité, corruption et blanchiment.

4. Puis une disjonction a été ordonnée le 22 décembre 2015 pour les faits concernant les titres CGG et Airgas et ensuite, le 20 avril 2017, pour les seuls titres CGG.

5. Le 10 mars 2017, M. N... a été mis en examen pour des faits relatifs aux titres Airgas, des chefs de délit d'initié et blanchiment.

6. Le 25 mai 2018, M. I..., mis en examen le 27 novembre 2017 du chef de complicité du délit d'initié reproché à M. D..., a présenté une requête en annulation et, le 11 décembre 2018, a déposé un mémoire en annulation d'actes de la procédure.

Examen de la recevabilité du pourvoi de M. N...

7. M. N... n'ayant saisi la chambre de l'instruction d'aucun moyen de nullité, que ce soit par une requête ou par un mémoire, ne serait-ce que pour s'associer à la demande de nullité formée par M. I..., est sans qualité à se pourvoir contre l'arrêt qui a prononcé sur les demandes en annulation d'actes de la procédure présentées par celui-ci.

8. En conséquence, son pourvoi est irrecevable.

Examen des moyens proposés pour M. I...

Sur les cinquième et sixième moyens

9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les premier, deuxième, quatrième et septième moyens

Enoncé des moyens

10. Le premier moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 80, 81, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. I... de sa requête à fin d'annulation de pièces de la procédure, alors :

« 1°/ que le réquisitoire introductif, qui détermine la saisine de la juridiction, doit figurer au dossier pour permettre aux parties d'en vérifier la régularité et d'en connaître les termes ; que ce versement est une condition de l'exercice effectif des droits de la défense ; qu'au cas d'espèce, M. I... faisait valoir que le réquisitoire introductif du 22 mai 2014, à l'origine de la procédure suivie à son encontre, ne figurait pas au dossier de la procédure ; qu'en retenant, pour dire la procédure régulière en dépit de l'absence de cette pièce au dossier, que M. I... avait été mis en examen sur la base d'un réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015, lequel reposait sur le résultat d'interceptions téléphoniques effectuées sur commission rogatoire à la suite d'un signalement AMF du 25 septembre 2015 et d'un réquisitoire supplétif du 29 septembre 2015, et non sur "le résultat d'investigations portant sur les infractions visées par le réquisitoire introductif", quand les réquisitoires supplétifs des 22 décembre 2015 et 29 septembre 2015 visaient eux-mêmes le réquisitoire introductif du 22 mai 2014, de sorte que l'absence au dossier de cette pièce incorporée au réquisitoire supplétif au vu duquel la mise en examen de M. I... est intervenue ne permettait à celui-ci d'exercer les droits de la défense, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

2°/ que le réquisitoire introductif, qui détermine la saisine de la juridiction, doit figurer au dossier pour permettre aux parties d'en vérifier la régularité et d'en connaître les termes ; que ce versement est une condition de l'exercice effectif des droits de la défense ; qu'au cas d'espèce, M. I... faisait valoir que le réquisitoire introductif du 22 mai 2014, à l'origine de la procédure suivie à son encontre, ne figurait pas au dossier de la procédure ; qu'en retenant, pour dire la procédure régulière en dépit de l'absence de cette pièce au dossier, que M. I... avait été mis en examen sur la base d'un réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015, lequel reposait sur le résultat d'interceptions téléphoniques effectuées sur commission rogatoire à la suite d'un signalement AMF du 25 septembre 2015 et d'un réquisitoire supplétif du 29 septembre 2015, et non sur "le résultat d'investigations portant sur les infractions visées par le réquisitoire introductif", quand l'absence au dossier du réquisitoire introductif du 22 mai 2014 empêche précisément les parties et la Cour de cassation de s'assurer que le réquisitoire du 22 décembre 2015 porte sur des faits différents en dépit du visa de ce réquisitoire introductif, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;

3°/ enfin que le réquisitoire introductif, qui détermine la saisine de la juridiction, doit figurer au dossier pour permettre aux parties d'en vérifier la régularité et d'en connaître les termes ; que ce versement est une condition de l'exercice effectif des droits de la défense ; qu'au cas d'espèce, M. I... faisait valoir que le réquisitoire introductif du 22 mai 2014, à l'origine de la procédure suivie à son encontre, ne figurait pas au dossier de la procédure ; qu'en retenant, pour dire la procédure régulière en dépit de l'absence de cette pièce au dossier, que M. I... avait été mis en examen sur la base d'un réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015, lequel reposait sur le résultat d'interceptions téléphoniques effectuées sur commission rogatoire à la suite d'un signalement AMF du 25 septembre 2015 et d'un réquisitoire supplétif du 29 septembre 2015, et non sur "le résultat d'investigations portant sur les infractions visées par le réquisitoire introductif", quand l'absence au dossier du réquisitoire introductif du 22 mai 2014 empêche précisément les parties de s'assurer de la régularité de cette pièce, qui gouvernait celle de la saisine du juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision. »

12. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 80, 81, 591 et 593 du code de procédure pénale.

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. I... de sa requête à fin d'annulation de pièces de la procédure, alors :

« 1°/ que la cassation à intervenir sur le premier moyen emportera cassation de l'arrêt en ce qu'il refuse d'annuler le réquisitoire supplétif du 23 décembre 2015, dont l'absence au dossier du réquisitoire introductif du 22 mai 2014 est de nature à affecter la régularité ;

2°/ que les documents servant de base à un réquisitoire et visés par celui-ci doivent lui être joints afin de permettre aux parties de discuter l'ensemble des éléments fondant la saisine du juge d'instruction ; qu'en énonçant, pour écarter le moyen tiré de l'absence au dossier du procès-verbal de "synthèse" du 4 décembre 2015 visé par le réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015, qu'elle était « en mesure de s'assurer » que ce procès-verbal était identique au « rapport de transmission » coté à la procédure, de sorte que l'ensemble des documents relatifs aux faits dont était saisi le juge d'instruction se trouvait dans le dossier, quand l'absence de jonction du procès-verbal du 4 décembre 2015 visé par le réquisitoire supplétif sur la base duquel M. I... a été mis en examen empêchait ce dernier de s'assurer lui-même que ce document était bien identique au "rapport de transmission", la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision. »

14. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense et l'égalité des armes.

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. I... de sa requête à fin d'annulation de pièces de la procédure, alors « que le juge d'instruction qui procède à la disjonction d'une information judiciaire doit verser au dossier disjoint l'ensemble des pièces de la procédure à la date de la disjonction, pour permettre aux parties qui seront mises en examen postérieurement à la disjonction d'avoir connaissance de la procédure initiale ; qu'en affirmant que l'absence de versement à la procédure disjointe de l'ensemble des pièces de la procédure souche ne portait pas atteinte aux droits de la défense et à l'égalité des armes, la chambre de l'instruction a violé ces principes. »

16. Le septième moyen est pris de la violation des articles L. 465-1 et L. 421-1 du code monétaire et financier, 114, 591 et 593 du code de procédure pénale.

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. I... de sa requête à fin d'annulation de pièces de la procédure, alors :

« 1°/ que le dossier complet de la procédure doit être mis à la disposition de l'avocat de la personne convoquée pour un interrogatoire de première comparution ; qu'en disant la procédure suivie à l'encontre de M. I... régulière après avoir constaté que de nombreuses pièces issues de la procédure souche n'avaient pas été versées à la procédure disjointe, au motif erroné que le dossier de la procédure disjointe pouvait ne pas comporter l'ensemble des pièces de la procédure souche, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;

2°/ que l'article L. 465-1, alinéa 3, du code monétaire et financier, en vigueur au moment des faits visait les opérations effectuées sur des "titres admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1" ; que l'article L. 421-1 auquel il était ainsi renvoyé figurait au chapitre 1er du Livre IV du code monétaire et financier, lequel était intitulé : "les marchés réglementés français" ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que l'article L. 465-1 ne réprimait les délits d'initié que pour les titres négociés sur un marché réglementé français ; qu'en affirmant, pour valider la mise en examen de M. I... à raison de l'achat de produits dérivés AIRGAS, que même si le titre AIRGAS était uniquement coté aux Etats-Unis, l'expression "sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1" ne devait pas s'entendre comme un marché réglementé français mais comme un marché qui, quel que soit sa localisation géographique, correspond à la définition du marché réglementé donnée par l'article L. 421-1, à savoir le lieu de négociation d'instruments financiers admis à la négociation, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen. »

Réponse de la Cour

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens et sur le septième moyen, pris en sa première branche

18. Le demandeur n'est pas fondé à critiquer, par une requête en annulation, l'absence au dossier de pièces de l'information judiciaire initiale, dès lors qu'il dispose du droit de présenter une demande auprès du juge d'instruction à cette fin et d'interjeter appel de l'ordonnance de refus qui pourrait lui être opposé.

Sur le septième moyen, pris en sa seconde branche

19. Pour rejeter le moyen tiré de l'inapplicabilité de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, dans sa version alors en vigueur, aux opérations effectuées sur des marchés étrangers, l'arrêt énonce que l'expression "sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 du code monétaire et financier" ne doit pas s'entendre d'un marché réglementé français mais d'un marché qui, quel que soit sa localisation géographique, correspond à la définition du marché réglementé donnée par l'article L. 421-1 précité, tel le New York Stock Exchange (NYSE) aux Etats-Unis, où il n'est pas contesté que le titre Airgas est coté.

20. En l'état de ces énonciations, l'arrêt a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen, dès lors qu'il importe peu que l'opération de nature à caractériser le délit d'initié ait été réalisée sur une place étrangère. Le grief doit en conséquence être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

21. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 5 de la directive n° 2002/58/CE du 12 juillet 2002, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 621-10 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale.

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. I... de sa requête à fin d'annulation de pièces de la procédure, alors :

« 1°/ que le dispositif de communication des données de connexion organisé par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier n'est pas assorti, tant en ce qui concerne le contrôle préalable des opérations que leur déroulement, des garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre d'une part le droit au respect de la vie privée et d'autre part la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions ; qu'au cas d'espèce, s'est contredite la Cour qui pour dire la procédure régulière, a affirmé que les éléments mettant en cause M. I... ne reposaient "sur aucune analyse des données téléphoniques recueillies par l'AMF dans le cadre de l'enquête relative au marché du titre CGG ou d'interceptions téléphoniques ordonnées à la suite de l'exploitation de ces données" après avoir elle-même constaté qu'à la suite de l'ordonnance de disjonction du 22 décembre 2015, le juge d'instruction avait versé au dossier de la procédure AIRGAS / AIR LIQUIDE une note de l'AMF analysant "les réquisitions aux opérateurs téléphoniques réalisés par cette autorité" et un CD-ROM "comportant les réponses des opérateurs requis, des actes d'exécution partielle des commissions rogatoires techniques relatives à plusieurs lignes de téléphonie" ;

2°/ que dénature les pièces du dossier et notamment la cote D 6/4 la Cour qui, pour écarter le moyen de nullité tiré des conditions de recueil des données de connexion de M. I..., énonce que la mise en cause de ce dernier est fondée sur les résultats de la demande d'entraide internationale adressées aux autorités luxembourgeoises, quand il ressort de la procédure que M. I... a été mis en cause par des signalements de l'AMF des 22 juillet 2014, 30 octobre 2014, 23 septembre 2015 et 5 octobre 2015 et par le réquisitoire supplétif du 22 décembre 2015 au vu desquels que le juge d'instruction a saisi les autorités luxembourgeoises d'une demande d'entraide le 22 septembre 2016. »

Réponse de la Cour

23. Pour écarter le moyen tiré de l'illicéité des éléments de preuve recueillis par l'AMF sur le fondement des articles L.34-1 du code des postes et communications électroniques et L.621-10 du code monétaire et financier, l'arrêt retient que la mise en cause de M. I... dans le cadre de l'information disjointe relative à l'opération de rapprochement Air Liquide/Airgas est fondée sur les résultats d'une demande d'entraide internationale adressée aux autorités luxembourgeoises, et non sur l'analyse des données téléphoniques recueillies par l'AMF dans le cadre de l'enquête relative au marché du titre CGG ou d'interceptions téléphoniques ordonnées à la suite de l'exploitation de ces données.

24. Ils en déduisent que M. I... n'a subi aucun grief du fait de la prétendue inconventionnalité, au regard du droit de l'Union européenne, des articles L.34-1 du code des postes et communications électroniques et L.621-10 du code monétaire et financier.

25. C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que M. I... a été mis en cause seulement à partir d'une demande d'entraide internationale adressée aux autorités luxembourgeoises, alors qu'il résulte de la pièce transmise par l'AMF le 5 octobre 2015 (cotée D6/4) que son nom était mentionné dans les données de connexion litigieuses, comprenant son numéro de téléphone portable suisse.

26. Cependant, la cassation ne saurait être prononcée au motif de l'inconventionnalité des dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier au regard du droit de l'Union européenne, en l'état des questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l'union européenne dans les arrêts rendus ce jour (pourvois n°19-80.908 et n°19-82.223).

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. N...

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. I...

DECLARE NON ADMIS les cinquième et sixième moyens ;

REJETTE les premier, deuxième, quatrième et septième moyen ;

SURSOIT A STATUER sur le troisième moyen jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

RENVOIE l'affaire au 1er décembre 2020, à 9 heures, à l'audience de formation restreinte.