Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 4 juin 2020, n° 19/03996

GRENOBLE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Courtial (SCI)

Défendeur :

Selarl Bruno Cambon (ès qual.), Garage Martial (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocat :

Me Bonnet

T. com. Romans-Sur-Isère, du 16 sept. 20…

16 septembre 2019

EXPOSE DU LITIGE :

Selon bail passé en la forme authentique le 1er septembre 1997, la Sci Courtial a donné à bail à la société garage Martial dont le gérant est M. Z A un local d'une surface de 148 m² environ avec aire de stockage attenante de 533 m² environ sis ... pour un usage exclusif de garagiste.

Ce bail a été consenti pour une durée de 9 ans courant jusqu'au 30 juin 2006 et a fait l'objet de renouvellements, le dernier ayant pris effet le 1er janvier 2016, moyennant un loyer HT de 800 euros. Le loyer a été ramené à 550 euros HT par mois par avenant du 29 juin 2017.

Selon jugement du 23 janvier 2019, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a placé la société Garage Martial en liquidation judiciaire simplifiée. La Selarl Bruno Cambon, agissant par Maître X Y, a été désigné liquidateur judiciaire.

La Sci Courtial a déclaré sa créance au titre des loyers impayés pour 4.950 euros HT et a interrogé le liquidateur sur le sort du bail commercial.

La Sci Courtial a été informée par courrier du liquidateur du 5 mars 2019 que ce dernier venait de consentir la cession du droit au bail à une société MH Auto-distribution, que cette société devait se rapprocher du bailleur pour la signature d'un avenant et qu'elle était en charge du loyer. La Sci Courtial a fait valoir en réponse qu'elle devait consentir à toute cession par consentement écrit et exprès et que la cession n'était pas régulière, que les lieux devaient être libérés en raison d'une occupation sans droits ni titre.

Par ordonnance du 16 septembre 2019, le juge commissaire de la liquidation judiciaire de la Sarl Garage Martial a :

- constaté la cession à la Sas MH Auto-distribution du fonds de commerce de garage automobile sis <adresse> dépendant de la liquidation judiciaire de l'entreprise Garage martial intervenue le 5 mars 2019 moyennant le prix net vendeur de 8.000 euros se décomposant en 4.500 euros pour les éléments corporels et 3.500 euros pour les éléments incorporels,

- constaté que cette cession est régulièrement intervenue en application de l'article L 644-2 du code de commerce au cours de l'application simplifiée de la liquidation judiciaire,

- constaté le paiement de l'intégralité du prix de cession entre les mains du liquidateur,

- constaté l'entrée en jouissance anticipée de l'acquéreur au jour de la cession le 5 mars 2019,

- constaté que depuis cette cession, les loyers naissant à compter du 5 mars 2019 sont à la charge de l'acquéreur,

- autorisé la Selarl Bruno Cambon à régulariser l'acte de cession du fonds de commerce en l'étude de maître Djamila Boualita, notaire à Bourg les valences, aux conditions fixées, au profit de l'offrant ou de toute autre personne physique ou morale s'y substituant,

- dit que cette cession sera régularisée dans les trois mois suivant l'ordonnance,

- dit que conformément aux dispositions de l'article R 642-38 du code de commerce, les formalités et frais de radiation des inscriptions sont à la charge du cessionnaire,

- dit que cette ordonnance sera notifiée par le greffe en lettre recommandée avec accusé de réception au débiteur, M. Z A, ... et au liquidateur.

La Sci Courtial a relevé appel de cette décision par déclaration du 2 octobre 2019, l'appel portant sur toutes les dispositions de l'ordonnance.

Par ordonnance juridictionnelle du 16 janvier 2020, le président de la chambre commerciale a rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'appel.

M. A n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel lui a été signifiée à sa personne le 24 octobre 2019.

La clôture est intervenue le 13 février 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 9 janvier 2020, la Sci Courtial demande à la cour :

- rejeter toutes les demandes contraires de la Selarl Bruno Cambon, aujourd'hui SBCMJ,

- déclarer nulle et non avenue l'ordonnance rendue par le juge commissaire près le tribunal de commerce de Romans sur Isère le 16 septembre 2019,

- à titre subsidiaire, infirmer l'ordonnance dans toutes ses dispositions,

- condamner la société SBCMJ à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

Elle fait valoir que :

- elle a appris du liquidateur que la société MH Auto-distribution occupait le local et s'était vue remettre les clefs, alors qu'aucun acte de cession n'avait été signé, il y a donc occupation sans droits ni titre,

- craignant pour la sécurité des locaux, elle a été autorisée à faire assigner à jour fixe le liquidateur et la société MH Auto-distribution et a délivré assignation le 22 mai 2019, l'affaire a été mise en délibéré au 17 décembre 2019, la Selarl Cambon a produit alors l'ordonnance du juge commissaire,

- selon arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 2018, elle dispose en tant que bailleur d'un intérêt à agir, puisque parmi les actifs du fonds de commerce figure le droit au bail

- la cession du droit au bail en cas d'ouverture d'une liquidation judiciaire obéit à un régime spécifique, une cession ne peut avoir lieu que dans le respect des engagements contractuels et des prescriptions légales applicables, notamment la destination des lieux loués, et lorsque le bail impose l'agrément préalable du cessionnaire par le bailleur ; l'ordonnance du juge commissaire doit être préalable à la vente, il s'agit d'une ordonnance d'habilitation et non d'homologation,

- le liquidateur a tenté d'entériner la cession en invoquant l'aval du juge commissaire donné a posteriori,

- la clause d'agrément vise toutes les cessions de droit au bail y compris celles comprises dans la cession du fonds, elle ne prétend pas que seul le droit au bail a été cédé,

- l'acte de vente comporte des mentions obligatoires et le juge commissaire ne pouvait décemment considérer que la cession du fonds serait intervenue dès le 5 mars 2019 par le versement du prix, alors qu'aucun acte de vente n'a été conclu et n'est produit,

- la jurisprudence adverse est inopérante en cas de liquidation judiciaire,

- le liquidateur a certainement rendu son ordonnance sans avoir été mis au courant de l'action en résiliation judiciaire, l'ordonnance ne peut être opposée à la concluante dès lors qu'elle prévoit une date rétroactive de plus de 6 mois et le dispositif est contradictoire à plusieurs reprises (vente de gré à gré/autorisation de cession, vente antérieure/entrée anticipée dans les lieux, cession du fonds/cession du droit au bail),

- il y a doute sur l'existence d'une clientèle du fonds de commerce,

- l'acte n'a pas été entériné dans le délai de quatre mois,

- elle ne peut avoir fait obstruction à une opération alors que le liquidateur prétend qu'elle n'avait pas à être interrogée sur cette opération,

- le liquidateur est conscient de l'irrégularité puisqu'il a enjoint à l'acquéreur de régulariser l'acte de cession,

- l'activité exercée est l'achat et la revente de véhicules, totalement distincte de celle de garagiste, ce qui est préjudiciable, faute d'assurance.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées par voie électronique le 2 janvier 2020, la Selarl Bruno Cambon et la société Garage Martial demandent à la Cour :

- Vu les articles L 644-2 et L 645-16 du code de commerce,

- de débouter la Sci Courtial de ses demandes,

- de confirmer l'ordonnance du juge commissaire du 16 septembre 2019, en toutes ses dispositions,

- de condamner la Sci Courtial à leur payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elles font valoir que :

- si le mandataire a averti le bailleur d'une cession du droit au bail, par courrier du 5 mars 2019, il s'agissait bien de la cession du fonds de commerce mais la société Courtial en a fait fi et tenté de convaincre la cour qu'il s'agit seulement d'une cession du droit au bail,

- par jugement de la grande instance de Valence du 17 décembre 2019, la Sci Courtial a été déboutée de ses demandes en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître du litige, compte tenu de la clause d'arbitrage,

- toute clause sollicitant l'agrément du bailleur pour la cession du fonds de commerce est réputée non écrite et s'applique en cas de cession de l'entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, la Sci Courtial ne peut donc s'en prévaloir et fait un amalgame entre la cession seule du droit au bail par le liquidateur et la cession du fonds de commerce ; dans ce cas, le liquidateur peut procéder à la vente de gré à gré dans les quatre mois du jugement d'ouverture de la procédure collective sans ordonnance du juge commissaire,

- le liquidateur a procédé à une vente de gré à gré dans ce cadre ; la vente aurait dû être concrétisée par un acte notarié dans les quatre mois de l'ouverture du prononcé de la liquidation judiciaire mais compte tenu de l'obstruction de la Sci Courtial, cet acte n'a pu être réalisé ; c'est dans ces conditions que le liquidateur a dû déposer une requête devant le juge commissaire pour être autorisé à régulariser l'acte de cession du fonds de commerce,

- selon la Cour de cassation, la vente de gré à gré du fonds de commerce ordonné par le juge commissaire est parfaite dès l'ordonnance sous la condition suspensive que celle-ci acquière force de chose jugée,

- l'acquéreur exerce la même activité que la Sarl garage Martial.

Il convient pour un plus ample exposé des prétentions et arguments des parties de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

De manière liminaire, la cour constate que les deux parties évoquent bien toutes les deux la vente d'un fonds de commerce comprenant la cession du droit au bail et non la seule cession d'un droit au bail.

Selon l'article L 641-12 du code de commerce, le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s'y rattachent. En ce cas, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire est réputée non écrite.

Aux termes de l'article L 644-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause, 'par dérogation aux dispositions de l'article L 642-19, lorsque la procédure simplifiée est décidée en application de l'article L 641-2 ou de l'article L641-2-1, le liquidateur procède à la vente des biens mobiliers de gré à gré ou aux enchères publiques dans les quatre mois suivant la décision ordonnant la procédure simplifiée.

A l'issue de cette période, il est procédé à la vente aux enchères publiques des biens subsistants'.

S'agissant de l'appel d'une décision du juge commissaire, il convient de statuer dans le cadre des pouvoirs de ce dernier.

Il résulte des pièces du dossier de l'intimé que dans le délai de quatre mois de l'ouverture de la procédure de saisine simplifiée, est intervenu le versement sur le compte de la liquidation d'une somme de 8.900 euros avec l'intitulé 'vte fds de commerce MH Auto-distribution’, que la société MH Auto Distribution avait pris possession des lieux et que le liquidateur a par ailleurs adressé plusieurs courriers à cette société 'pour régularisation de la cession'.

Or, la procédure susvisée ne prévoit pas l'intervention du juge commissaire pour la vente des meubles contrairement aux dispositions de l'article L 642-19 qui prévoit son accord préalable. C'est donc le seul liquidateur qui procède seul à la vente de gré à gré et, à défaut, à la vente aux enchères publiques par dérogation à l'article L 642-19 du code de commerce. Soit la vente est réalisée dans le délai de 4 mois, soit il y a application du second alinéa et vente aux enchères.

Le juge commissaire ne pouvait donc intervenir pour valider, et qui plus est a posteriori et non préalablement à la vente, une cession de fonds de commerce de gré à gré dont manifestement l'acte notarié n'avait pu être dressé.

Au surplus, il est relevé que, s'agissant de la vente d'un fonds de commerce comprenant le droit au bail dans le cadre d'une vente isolée, l'article L 642-7 étant inapplicable et la jurisprudence relative aux plans de cession de même, l'agrément de la Sci Courtial, bailleur, devait être requis, ce qui n'a pas été le cas alors que le bailleur peut faire respecter les clauses d'agrément insérées au bail.

L'ordonnance doit en conséquence être annulée en ce que le juge commissaire a excédé ses pouvoirs et il est dit que ce juge n'a pas pouvoir pour valider a posteriori une vente de gré à gré dans le cadre des dispositions susvisées.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens sont en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Annule la décision querellée.

Statuant à nouveau,

Dit que le juge commissaire n'a pas compétence pour valider a posteriori une vente de gré à gré dans le cadre de l'article L 644-2 du code de commerce.

Dit que les dépens sont en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.