CA Nancy, 5e ch. com., 16 décembre 2020, n° 20/00235
NANCY
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseillers :
M. Soin, M. Firon
Avocats :
Me Morel, Me Driencourt
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Par jugement du 5 novembre 2002, le tribunal de commerce de Nancy a ouvert une procédure de redressement judiciaire simplifiée à l'égard de Mme X, ayant une activité de négoce et prestations liées à l'environnement, la forêt et le bois. Par jugement du 18 février 2003, le tribunal a prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire. Ce jugement a été infirmé par arrêt de la cour d'appel de Nancy du 11 juin 2003.
Par jugement du 5 juillet 2005, le tribunal de commerce a prononcé la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire et désigné Me Y en qualité de liquidateur judiciaire.
Le bien immobilier constituant l'unique actif de Mme X a été évalué, le 20 mars 2006, à 40 000 euros par M. Z, expert judiciaire, nommé par le juge commissaire.
Par ordonnance du 9 octobre 2006, le juge-commissaire a autorisé la vente aux enchères publiques de ce bien. La dernière tentative de vente du bien, effectuée le 8 novembre 2007, ayant échoué, l'actif n'a pu être réalisé.
La validité et les effets de l'ordonnance ont successivement été prorogés par jugements du juge de l'exécution des 10 décembre 2009, 8 novembre 2012 et 12 novembre 2015.
Par requête en date du 5 juillet 2019, Mme X a sollicité la clôture de la procédure de liquidation judiciaire sur le fondement de l'article L. 643-9 du code de commerce.
Par jugement du 14 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nancy a statué en ces termes :
- constate que la durée de la procédure rallongée par l'action de la débitrice n'est pas excessive, eu égard à la nécessité de céder un immeuble,
- constate que les conditions requises pour prononcer la clôture de la procédure ne sont pas réunies,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la requête présentée,
- ordonne à Me Y, ès qualités, de poursuivre la vente du bien immobilier dépendant de la liquidation judiciaire de Mme X, décrit dans la requête qui précède et objet du présent débat, dans les plus brefs délais,
- dit que la débitrice devra prêter son concours au bon déroulement des opérations nécessaires à la réalisation de cet immeuble, pour une clôture de la procédure, la plus rapide possible,
- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure.
Le tribunal a estimé que la procédure de liquidation judiciaire aurait pu être clôturée si la vente de l'immeuble n'avait pas été retardée par les agissements de Mme X et a considéré que celle-ci pouvait difficilement se prévaloir de la durée de la procédure et invoquer les dispositions de l'article 6 paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, le bien, même de faible valeur, devant être réalisé.
Mme X a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 23 janvier 2020, aux fins d'annulation, respectivement d'infirmation, voire de réformation, en ce qu'il a :
- constaté que la durée de la procédure rallongée par l'action de la débitrice n'est pas excessive, eu égard à la nécessité de céder un immeuble,
- constaté que les conditions requises pour prononcer la clôture de la procédure ne sont pas réunies,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la requête présentée,
- ordonné à Me Y, ès qualités, de poursuivre la vente du bien immobilier dépendant de la liquidation judiciaire de Mme X, décrit dans la requête qui précède et objet du présent débat, dans les plus brefs délais,
- dit que la débitrice devra prêter son concours au bon déroulement des opérations nécessaires à la réalisation de cet immeuble pour une clôture de la procédure la plus rapide possible.
En ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 février 2020, Mme X demande à la cour, au visa des articles L.643-9 du code de commerce et 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy.
Statuant à nouveau :
- constater que l'intérêt de poursuivre les opérations de liquidation est disproportionné par rapport aux difficultés rencontrées pour réaliser l'actif résiduel de Mme X,
- constater que la durée de la procédure de liquidation judiciaire ouverte par jugement du 5 juillet 2005 est manifestement déraisonnable au regard de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et compromet l'intérêt de la poursuite des opérations de liquidation,
- ordonner la clôture de la liquidation judiciaire de Mme X, immatriculée au RCS de Nancy sous le n° A 393 215 587, ayant une activité de négoce et prestations liées à l'environnement, la forêt et le bois, <adresse> (54113),
- ordonner la publication de la décision à venir au BODACC,
- condamner Me Y, ès qualités, aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Au soutien de son appel, se fondant sur les dispositions de l'article L.643-9 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 qui est applicable aux procédures en cours, elle fait valoir qu'il y a disproportion entre l'intérêt de poursuivre les opérations de liquidation par rapport aux difficultés de réalisation de l'actif résiduel. Elle invoque d'une part un désintérêt du mandataire judiciaire pour poursuivre la vente de ce bien, l'ordonnance ayant autorisé la vente étant frappée de péremption, et d'autre part l'impératif de la réforme de 2014 d'accélérer les procédures de liquidation judiciaire en parvenant à la réalisation de l'actif dans un délai raisonnable. Elle considère que la durée de la procédure est injustifiée au regard des exigences du procès équitable et que l'intérêt d'un éventuel désintéressement des créanciers est disproportionné par rapport à la durée de la privation de ses droits.
Elle soutient que la durée de la procédure ne peut lui être imputée et qu'il ne peut notamment lui être reproché d'avoir exercé des voies de recours. Elle affirme en outre avoir coopéré à la mesure et indique que, si la maison d'habitation n'a pu être visitée, c'est uniquement en raison de l'opposition légitime de ses parents, qui sont propriétaires de la parcelle permettant d'accéder à l'immeuble. Elle ajoute que ce refus est toutefois sans emport dans la mesure où personne ne s'est présenté pour visiter l'immeuble aux jours et heures prévus à cet effet.
Elle fait valoir enfin que le tribunal n'a pas examiné les difficultés de réalisation de l'actif résiduel qui sont à prendre en considération pour l'analyse d'une éventuelle disproportion. À cet égard, elle souligne que l'expert, M. Z, avait déjà relevé des difficultés juridiques et techniques de nature à décourager un potentiel acquéreur : accès par une parcelle appartenant à un tiers, réserve d'un droit d'usage et d'habitation, outre le fait que le bien menace ruine et qu'il est raccordé aux réseaux d'énergie, d'adduction d'eau potable et d'assainissement à partir du bâtiment principal appartenant aux parents de l'appelante. Elle ajoute qu'il résulte d'un nouvel avis de valeur obtenu le 4 avril 2019 que l'immeuble présente des dégradations au niveau du bâti consécutives à des phénomènes climatiques. Elle considère que les particularités du bien ont pour effet de le rendre en l'état impropre à la commercialisation et sans valeur vénale, sans qu'il puisse lui être reproché une quelconque négligence dans son entretien, ajoutant que le passif ne cesse d'augmenter alors que la valeur du bien, qui n'a intéressé aucun acquéreur en dix-sept ans, s'amenuise.
En ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 avril 2020, Me Y, en sa qualité de mandataire liquidateur, demande à la cour de :
- dire et juger non fondé l'appel de Mme X,
- confirmer en tous points le jugement du tribunal de commerce de Nancy du 14 janvier 2020,
- débouter Mme X de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme X à payer à Me Y, ès qualités, la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- la condamner aux entiers dépens.
Me Y conteste s'être désintéressée de la vente du bien précisant avoir diligenté une procédure de saisie immobilière dont elle a demandé la prorogation, mais s'être heurtée à l'opposition systématique de la débitrice et de ses parents qui n'ont fait preuve d'aucune coopération. Elle relève que Mme X a contesté toutes les décisions qui ont été rendues, que sa cause a ainsi pu être entendue équitablement, publiquement, dans un délai raisonnable, et par un tribunal indépendant et impartial, et que ces recours ont eu pour effet de rallonger la procédure de manière incontestable et significative.
Elle soutient que dès lors qu'il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou partie les créanciers cet intérêt justifie l'atteinte portée au droit de la débitrice d'administrer son patrimoine et qu'elle ne peut se prévaloir de la durée de la procédure.
Elle considère avoir suffisamment démontré son intérêt pour la poursuite des opérations de liquidation, notamment en se substituant à la débitrice pour faire assurer l'immeuble ou pour gérer deux sinistres et lui avoir vainement proposé de trouver une solution amiable, sans avoir obtenu de réponse à ses courriers.
L'intimée soutient que l'expert mandaté par le juge commissaire a évalué le bien en tenant compte de toutes ses particularités, qu'il a expressément fait mention dans son rapport de la possibilité de le vendre, mais que la vente est empêchée du fait de l'impossibilité de visiter l'immeuble en raison du refus des parents de Mme X d'autoriser l'accès. Me Y fait valoir que l'expertise de M. Z, ne peut être remise en cause par une agence immobilière mandatée uniquement par la débitrice et considère que l'éventualité d'un faible prix de cession du bien ne constitue pas une impossibilité de poursuivre les opérations de liquidation judiciaire, ce bien étant le seul actif susceptible de désintéresser même partiellement les créanciers. Elle ajoute que l'expert désigné dans le cadre d'un sinistre a exclu que les dégradations de l'immeuble soient la conséquence de phénomènes naturels et que la reprise de la procédure de saisie immobilière est en cours.
Par un avis en date du 8 avril 2020, le ministère public considère que la mauvaise foi de la débitrice est caractérisée, que les conditions de l'article L.643-9 du code de commerce relatif à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire ne sont pas remplies et se prononce en faveur de la confirmation du jugement du 14 janvier 2020.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 septembre 2020.
MOTIFS
Par notes en délibéré du 7 et du 15 décembre 2020, le conseil de Me Y a adressé de nouvelles pièces en demandant qu'elles soient versées au dossier. Cette demande, qui ne fait pas suite à une autorisation donnée par le président, ne peut être accueillie en application de l'article 802 du code de procédure civile. Les pièces produites seront déclarées irrecevables.
L'article L. 643-9 du code de commerce issu de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, modifié par l'ordonnance du 12 mars 2014 n°2014-326, qui est d'application immédiate aux procédures en cours énonce que : « Lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, ou lorsque la poursuite des opérations de liquidation judiciaire est rendue impossible en raison de l'insuffisance de l'actif, ou encore lorsque l'intérêt de cette poursuite est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée par le tribunal, le débiteur entendu ou dûment appelé.
Il convient donc d'apprécier la proportionnalité de l'intérêt de poursuivre les opérations de liquidation judiciaire et par voie de conséquence, de l'atteinte portée au droit de la débitrice d'administrer ses biens, au regard des difficultés de réalisation du seul bien dépendant de la liquidation judiciaire.
Il est admis par les parties que l'intérêt de la poursuite des opérations de liquidation judiciaire s'apprécie du point de vue des créanciers, la réalisation des actifs faisant en effet partie des solutions de la liquidation judiciaire pour permettre de les désintéresser en tout ou partie.
En l'espèce, le bien dont s'agit évalué en 2006 par M. Z, expert judiciaire, à 40 000 euros (+ ou - 5%) constitue le seul actif dépendant de la liquidation judiciaire, alors que le passif totalise 204 822,05 euros. Cette valeur tient compte des particularités du bien telles que l'absence d'accès indépendant depuis la voie publique, l'absence d'autonomie énergétique et l'existence d'un droit d'usage et d'habitation sur une partie de l'immeuble. Cette évaluation, certes désormais ancienne, ne peut toutefois être utilement combattue par un avis de valeur sollicité unilatéralement par la débitrice, concluant à l'absence de valeur vénale de l'immeuble. Cet avis fait notamment état d'importantes dégradations au niveau du bâti attribuées à une instabilité historique du sous-sol aggravée par une récente sécheresse. Si l'existence de nombreuses fissures est avérée au vu d'un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 7 novembre 2018, l'expertise réalisée le 24 juin 2019, à la demande de l'assureur de l'appelante, contredit toutefois l'avis émis par l'agent immobilier mandaté par celle-ci en ce qu'il exclut formellement tout phénomène de tassement différentiel, imputant l'origine des fissurations constatées à une absence de joints entre les deux bâtiments contigus.
En l'état des éléments d'appréciation soumis à la cour, il n'est pas démontré que l'immeuble appartenant à Mme X serait désormais impropre à toute commercialisation. Sa réalisation présente incontestablement un intérêt afin de permettre un désintéressement partiel, fût-il modique, des créanciers.
Il n'est pas davantage établi que Me Y, ès qualité, se serait abstenue de toute poursuite depuis une décennie ainsi que cela est soutenu par l'appelante. En effet, la vente de l'immeuble a été ordonnée à la requête du mandataire liquidateur par une ordonnance en date du 9 octobre 2006, confirmée par jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 21 mai 2007 qui a rejeté l'opposition de Mme X. La vente du bien a été requise à la barre du tribunal de grande instance à l'audience du 8 novembre 2007. En l'absence d'enchérisseur, le tribunal a renvoyé Me Y, ès qualité, à mieux se pourvoir. La validité et les effets de l'ordonnance ont été successivement prorogés par jugements des 10 décembre 2009, 8 novembre 2012 et 12 novembre 2015. Me Y justifie par ailleurs avoir donné mandat à un avocat pour reprendre la procédure.
Si l'exercice de voies de recours ne peut être reproché comme fautif à l'appelante, il est toutefois incontestablement de nature à proroger la durée de la procédure, cette durée s'étant encore accrue par l'absence manifeste de volonté de Mme X d'aboutir à une solution amiable, les différentes tentatives faites en ce sens par le mandataire judiciaire étant en effet restées sans réaction de sa part. L'appelante ne peut dans ces conditions se prévaloir d'une violation des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son droit à être jugée dans un délai raisonnable.
Si la configuration et les particularités de l'immeuble (accès à partir d'une parcelle appartenant à un tiers, absence de raccordement aux réseaux collectifs, existence d'un droit d'usage et d'habitation partiel), outre le fait qu'il présente de multiples fissures constituent des difficultés susceptibles d'en minorer le prix, elles ne font toutefois pas pour autant totalement obstacle à une vente et ce quand bien même aucun acquéreur potentiel ne s'est-il manifesté lors de la première mise en vente.
L'immeuble dont s'agit qui a été évalué par M. Z, expert judiciaire, à environ 40 000 euros en tenant compte de ces particularités, constituant le seul actif dépendant de la liquidation judiciaire susceptible d'apurer partiellement le passif qui totalise 204 822,05 euros, l'intérêt de poursuivre les opérations de liquidation en vue de sa cession n'apparaît pas disproportionné aux difficultés de réalisation du bien qui sont pour partie imputables à la débitrice. Cette dernière ne démontre pas en effet avoir tenté d'obtenir un quelconque accord de ses parents pour permettre un accès au bien, pas plus qu'il n'est établi que les frais inhérents à une nouvelle vente aux enchères excéderaient la valeur du bien.
La décision entreprise sera donc confirmée.
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Me Y, ès qualité, ne rapportant pas la preuve suffisante de la malice ou de la mauvaise foi de la partie adverse, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Mme X qui succombe supportera la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
DECLARE irrecevables les pièces produites en délibéré par Me Y ;
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Nancy en date du 14 janvier 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DEBOUTE Me Y, ès qualité, de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE Mme X aux dépens d'appel.