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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 22 octobre 2015, n° 14/24304

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mme Durand, Mme Chalbos

Avocats :

Me Jourdan, Me Guetta, Me Chatenet

TGI Nice, du 15 déc. 2014, n° 14/00035

15 décembre 2014

Par acte d'huissier de justice en date du 8 juillet 2014, le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé a fait assigner Monsieur Albert I., agent commercial en immobilier devant le tribunal de grande instance de Nice en ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, exposant qu'il était son créancier pour la somme de 119 678,29 € correspondant à des impositions mises en recouvrement entre le 31 juillet 2007 et le 13 mars 2014.

Par requête déposée le 27 octobre 2014, Monsieur I. a sollicité l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel.

Par jugement en date du 15 décembre 2014, le tribunal a ordonné la jonction des deux procédures, rejeté la demande de Monsieur I., constaté son état de cessation des paiements à la date du 8 juillet 2014, prononcé la liquidation judiciaire de Monsieur I. et désigné les organes de la procédure.

Vu la déclaration d'appel, formé par Monsieur I. le 26 décembre 2014 à l'encontre du comptable du pôle de recouvrement spécialisé et du liquidateur judiciaire.

Vu l'acte d'huissier de justice signifié le 20 mars 2015 à une personne habilitée, par lequel a été notifiée la déclaration d'appel et les conclusions au liquidateur judiciaire.

Vu les conclusions déposées et notifiées le 18 mars 2015 par Monsieur I., par lesquelles il demande à la cour d'annuler pour excès de pouvoir le jugement dont appel, subsidiairement de l'infirmer, de déclarer que sa demande tendant à ce que soit ouverte une procédure de rétablissement professionnel est fondée et de mettre les dépens à la charge du Trésor public.

Il fait valoir qu'à 67 ans il doit toujours travailler pour pouvoir subsister ; qu'il exerce une activité d'agent commercial dans le domaine de l'immobilier, cependant largement obérée par une mauvaise conjoncture économique ; que son passif est essentiellement composé de dettes fiscales et qu'il remplit toutes les conditions exigées par l'ordonnance du 12 mars 2014, complétée par le décret du 30 juin 2014 pour bénéficier de la procédure de rétablissement professionnel, puisqu'il n'est pas propriétaire de son logement ni d'un véhicule et que son actif net n'excède pas 5000 € .

Vu les conclusions déposées et notifiées le 23 avril 2015 par le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé, par lesquelles il demande à la cour de constater que la procédure de redressement professionnel suppose que le débiteur ait déclaré sa cessation des paiements ; de dire que tel n'est pas le cas en l'espèce, car Monsieur I. n'a pas déclaré sa cessation des paiements dans les délais, de juger que la demande de redressement professionnel est irrecevable ; que Monsieur I. se trouve en état de cessation des paiements, de constater encore que son redressement est manifestement impossible, de prononcer la liquidation judiciaire de Monsieur I. en confirmant le jugement, de rejeter toute autre demande et de condamner Monsieur I. aux entiers dépens qui seront employés en frais privilégiés de procédure de liquidation judiciaire.

Il fait valoir qu'il détient sur Monsieur I. une créance privilégiée de 119 678,29 euros, se décomposant en 98 126,29 euros de droits, 20 720 € de pénalités et 851 € de frais, résultant du non-respect de ses obligations déclaratives et de paiement ; que la créance fiscale a été authentifiée par des rôles d'imposition, des avis de mise en recouvrement et des avis d'imposition ; quelle est donc dans sa totalité, certaine, liquide et immédiatement exigible ; que les différents avis à tiers détenteur qui ont été adressés à des banques et à des clients du débiteur, notamment, n'ont pas permis le recouvrement de la créance ; que de même, quatre saisies ventes ont été tentées en 2009 et 2010 et se sont soldées par l'établissement de procès-verbaux de carence ; qu'actuellement Monsieur I. ne possède aucun bien pouvant être appréhendé.

Vu les conclusions du ministère public en date du 4 septembre 2015, par lesquelles il conclut à la confirmation du jugement entrepris.

Vu l'ordonnance rendue le 15 avril 2015, par le président de cette chambre, au visa de l'article 905 du code de procédure civile, fixant la date d'audience au 16 septembre 2015 et la clôture de l'instruction au 2 septembre 2015.

SUR CE, LA COUR,

1. L'assignation délivrée au liquidateur judiciaire ayant été remise à une personne habilitée, il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

2. C'est à tort que pour refuser l'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel, le tribunal a énoncé que Monsieur I. n'était pas un débiteur de bonne foi, qu'il pouvait être soupçonné d'avoir organisé son insolvabilité totale et qu'il avait poursuivi une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements.

En effet, si l'article L. 645-9 du code de commerce dispose qu'à tout moment de la procédure de rétablissement professionnel, le tribunal peut, sur rapport du juge commissaire, ouvrir la procédure de liquidation judiciaire demandée simultanément à celle-ci, « s'il est établi que le débiteur qui en a sollicité le bénéfice n'est pas de bonne foi ou si l'instruction a fait apparaître l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu aux sanctions prévues par le titre V du présent livre ou à l'application des dispositions des articles L. 632-1 à L. 632-3 », l'article L. 645-1 du code de commerce ne subordonne pas l'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel à une exigence de bonne foi du débiteur.

En tout état de cause, les pièces produites devant la cour ne contiennent pas d'éléments suffisants permettant d'apprécier, à ce stade, la bonne ou la mauvaise foi du débiteur.

En conséquence, le jugement sera infirmé, l'interprétation extensive donnée par les premiers juges à l'article L. 645-9 précité, bien qu'elle soit censurée par la cour, ne constituant pas un excès de pouvoir du tribunal, mais une simple cause de réformation.

3. Quant au fond, l'article L. 645-1 du code de commerce dispose qu'il est « institué une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation ouverte à tout débiteur, personne physique, mentionné au premier alinéa de l'article L. 640-2, qui ne fait l'objet d'aucune procédure collective en cours, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois et dont l'actif déclaré à une valeur inférieure à un montant fixé par décret en conseil d'État », soit 5000 € .

Il n'est pas discuté que ces conditions d'ouverture sont ici réunies et le fait, opposé par le comptable public pour soutenir l'irrecevabilité de la demande, que Monsieur I. n'a pas déposé sa déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, ce qui résulte, selon lui, de ce qu'il était déjà assigné en liquidation judiciaire au moment où il a demandé l'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel, est sans incidence sur application de l'article L. 645-1 précité.

En effet, la délivrance d'une assignation en liquidation judiciaire à un débiteur ne met pas obstacle à la saisine de la juridiction compétente en ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel, ainsi que cela se déduit de l'article R. 645-2 du code de commerce qui dispose que : « lorsque le tribunal ouvre la procédure de rétablissement professionnel à la demande du débiteur il sursoit à statuer sur la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire faite par ce dernier et le cas échéant, sur l'assignation du créancier ou sur la requête du ministère public aux mêmes fins ».

4. Il n'est pas discuté par le débiteur, qui indique son actif est inférieur à 5000 € , que son passif exigible envers le comptable public intimé s'élève à 119 678,29 euros ; qu'il n'a pu apurer cette dette alors que les déclarations de résultat au titre des exercices 2011 et 2012 montrent une baisse importante des recettes qui sont passées de 98 045 à 15 990 € et que les mesures de recouvrement mises en oeuvre n’ont pas permis de la recouvrer.

Il est ainsi en cessation des paiements et dans l'impossibilité de se redresser.

En conséquence, il sera statué dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, par arrêt réputé contradictoire,

Dit n'y avoir lieu à annulation du jugement,

Mais,

Vu les articles L. 645-1 et suivants du code de commerce,

Infirmant le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a ordonné une jonction de procédures,

Ouvre une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation, à l'égard de Monsieur Albert I., née le 12 septembre 1948 à Kinshasa (Congo), pour une période de quatre mois,

Sursoit à statuer sur la demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire faite sur l'assignation du créancier,

Rejette toute autre demande,

Renvoie la cause et les parties devant le premier juge aux fins de désignation des organes de la procédure,

Ordonne l'accomplissement par le greffe des formalités légales de publicité et de notification, dont celles prévues à l'article R 645-4 du Code de Commerce,

Dit que les dépens seront pris en frais de la procédure de rétablissement professionnel.