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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 6 décembre 2018, n° 17/00788

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Marionnaud Lafayette (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

TGI Lille, du 21 nov. 2016, n° 16/04425

21 novembre 2016

FAITS ET PROCEDURE

Les consorts L. sont propriétaires de locaux commerciaux situés à [...], et [...], qu'ils ont donnés à bail à la société R., aux droits de laquelle se trouve la société Marionnaud Lafayette. Ce bail a été consenti à effet au 18 mai 1999 pour se terminer le 17 mai 2008, moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 12 981,85 euros, assorti d'une clause de révision triennale légale. Il s'est poursuivi à son terme par tacite prolongation.

Par acte d'huissier du 31 mars 2011, le preneur a sollicité son renouvellement à effet au 1er octobre 2011.

Un premier contentieux a opposé les parties sur la détermination de la date d'effet du bail renouvelé.

Le juge des loyers commerciaux s'est estimé incompétent et a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Lille.

Par décision en date du 16 février 2015, cette juridiction a :

- constaté que la durée du bail est inférieure à 12 ans ;

- constaté que la date d'effet du renouvellement à retenir est le 1er avril 2011 ;

- ordonné une expertise confiée à Monsieur de B. pour examiner les motifs de déplafonnement allégués par les bailleurs.

L'expert a déposé son rapport le 15 juillet 2015

Par jugement rendu le 21 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Lille a statué en ces termes :

- FIXE le prix du loyer du bail renouvelé à compter du premier avril 2011 à 17817 euros/ an HT et HC

- DIT que le contrat de bail est renouvelé aux clauses et conditions antérieures, en ce compris la clause d'indexation en fonction de l'ICC de l'INSEE

- CONDAMNE la société MARIONNAUD LAFAYETTE au paiement de la somme de 5973,42 euros HT, somme arrêtée et actualisée au 15 avril 2016

- ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision

- DIT qu'il sera fait masse des dépens et que le partage sera ordonné par moitié.

- DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du CPC.

Le premier juge a constaté que les bailleurs renonçaient à leur demande de déplafonnement et que les deux parties exprimaient leur accord sur le montant du prix du loyer renouvelé retenu par l'expert. Le contrat de bail était renouvelé aux clauses et conditions identiques au précédent. Par conséquent, la clause contractuelle d'indexation, en fonction de l'ICC de l'INSEE, continuait de trouver application et les bailleurs demandaient à juste titre le paiement de l'arriéré de loyers dû en regard de la variation de l'indice INSEE.

Par déclaration du 1er février 2017, la société Marionnaud Lafayette a relevé appel total de cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions régularisées par le RPVA le 24 août 2017, la société Marionnaud Lafayette demande à la cour :

'Vu les dispositions des articles L 145-34, L 145-37 et L 145-38 (anciens articles 27 et 28 du décret du 30 septembre 1953),

INFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société MARIONNAUD LAFAYETTE au paiement de la somme de 5.973,42 € et en ORDONNER la restitution.

DIRE que cette somme a été calculée à partir d'une révision du loyer suggérée par l'expert à effet des 18 mai 2011 et 1er avril 2014.

DIRE que la date du 18 mai 2011 ne pouvait être une date de révision du loyer qui a été fixée judiciairement au 1er avril 2011.

DIRE qu'aucune demande n'a été formulée par lettre recommandée ou par acte d'huissier à effet du 1er avril 2014 ni à aucune date postérieure.

DIRE que la clause de révision du loyer n'est pas une clause d'indexation conventionnelle et suppose que soit respecté le formalisme de l'article L 145-38.

DIRE qu'en l'absence de respect de ce formalisme les bailleurs sont irrecevables à prétendre à la révision du loyer et à l'obtention des sommes au paiement desquelles la société MARIONNAUD LAFAYETTE a été condamnée.

DIRE qu'en tout état de cause, les bailleurs seraient prescrits à faire fixer le loyer au 1er avril 2014 s’il était produit devant la Cour une demande à effet de cette date valablement notifiée ou signifiée au preneur.

DEBOUTER les consorts L. de leur demande de confirmation et de leur demande fondée sur l'article 700 du CPC ;

CONDAMNER les consorts L. au paiement d'une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP L., avocat, dans les conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.'

La société Marionnaud Lafayette observe que les parties ne se sont pas sérieusement opposées sur les conclusions de M. de B., les bailleurs n'entendant pas contester le fait que le loyer ne pouvait qu'être plafonné. Toutefois, les consorts L. ont formé devant le tribunal une demande en paiement d'arriérés dus 'en regard de l'indexation à hauteur de 5 973,42 euros arrêtés au 15 avril 2016". Ce montant résulte d'un décompte intégré dans les conclusions des bailleurs selon lequel il convient, à compter du 18 mai 2011, de porter le loyer fixé au 1er avril 2011 à 18 529,96 euros. Le tribunal a estimé cet arriéré dû, appliquant en outre, à la demande des bailleurs, une nouvelle indexation à effet au 2ème trimestre 2014, portant le loyer à 19 520,72 euros. Or cette condamnation en paiement est sans objet puisque le preneur s'est, depuis le 1er avril 2011, toujours acquitté du montant du loyer fixé par l'expert selon la règle du plafonnement à 17 816,80 euros, de sorte qu'à la date de prononcé du jugement entrepris, elle n'avait aucun arriéré locatif.

La date du 18 mai 2011 correspond en fait à la date anniversaire du bail à renouveler, qui avait été consenti à effet au 18 mai 1999. Ce faisant, l'expert a commis une erreur de droit puisque si la date anniversaire peut conserver son effet dès lors qu'une demande de renouvellement ou un congé avec offre est signifié pour le terme contractuel, cette date anniversaire perd toute raison d'être et tout objet lorsque passé le terme contractuel, le bail se poursuit par tacite prolongation.

Dans cette hypothèse, la nouvelle date anniversaire d'effet du bail est celle pour laquelle le renouvellement a été demandé ou le congé avec offre de renouvellement signifié, en l'espèce le 1er avril 2011. De par la tacite prolongation et les effets de la demande de renouvellement du locataire, la date du 18 mai est devenue inexistante après le terme du bail, à savoir après le 18 mai 2008. Le loyer ayant été fixé par le tribunal au 1er avril 2011, il ne peut y avoir d'indexation un mois et demi après cette fixation, dès lors qu'il n'existe pas de clause contractuelle d'indexation le prévoyant.

Le bail qui a été consenti par les consorts L. ne contient aucune clause d'indexation conventionnelle. Le premier juge a donc commis une erreur de qualification en estimant que la clause de révision du loyer avait la nature d'une clause contractuelle d'indexation. Par ailleurs, il a méconnu la nécessité de présenter une demande préalable pour que la révision puisse être effectivement imposée au preneur, aucune demande n'ayant été formulée en l'espèce.

La clause de révision du loyer fait référence à la révision triennale légale. Cette clause qui se réfère expressément à l'ancien article 27 devenu L145-37 du code de commerce suppose, conformément à l'article L 145-38, d'une part qu'il se soit écoulé plus de 3 ans depuis la dernière fixation, et d'autre part qu'une demande en révision ait été faite soit par acte d'huissier, soit par lettre recommandée avec avis de réception. En conséquence, le tribunal ayant fixé le loyer à la date d'effet du renouvellement, soit au 1er avril 2011, la première révision triennale possible, à supposer qu'elle ait été matérialisée par voie de notification, ne pouvait intervenir qu'à effet au 1er avril 2014. En entérinant le calcul du bailleur, le tribunal a validé une révision à effet au 18 mai 2011 puis à effet au 1er avril 2014, alors qu'une telle révision n'a jamais été demandée par les consorts L.. Le libellé de la demande de renouvellement du preneur ne saurait prêter à confusion, comme le soutiennent les bailleurs, puisque la demande concernait précisément le renouvellement et non la révision, et visait à voir appliquer la règle du plafonnement.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 21 septembre 2018, les consorts L. demandent à la cour :

'Vu le jugement querellé,

Vu l'article L 145-12 du Code de Commerce,

Vu les articles L 145-33 et L 145-34 du Code de Commerce,

Vu l'acte extrajudiciaire de Me C. du 31 mars 2011 à la requête de la société Marionnaud Lafayette,

Vu l'acte extrajudiciaire de Me A. du 22 juin 2011,

Vu le rapport de l'expert judiciaire DE B.,

Vu la jurisprudence de la Cour de Cassation du 13 septembre 2018 (17-19525),

Confirmer la fixation à 17 817 €/ an, hors taxes et hors charges, le loyer commercial du bail renouvelé relatif aux locaux sis [...] et [...] à compter du 1er avril 2011, avec maintien de l'application de la clause contractuelle d'indexation, en fonction de l'indice ICC de l'INSEE.

Confirmer la condamnation du preneur au paiement de l'arriéré de loyers du en regard de l'indexation, à hauteur de la somme de 5 973,42 euros HT arrêtée et actualisée au 15 avril 2016.

Condamner l'adversaire au paiement de la somme de 4 500 euros en sus de la condamnation de première instance sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.'

Les consorts L. rappellent que la société Marionnaud Lafayette, dans ses actes d'huissier, indiquait, dès 2011 : 'Le preneur lui demande de renouveler son bail aux charges et conditions initiales, sauf à majorer le loyer dans les conditions prévues par la loi (augmentation suivant l'indice INSEE) et conformément aux dispositions de l'article L 145-1 du Code de Commerce.'

Ils font valoir que l'expert a fixé la valeur locative du local à 17 817 euros par an au 1er avril 2011 et à 18 530 euros par an à compter du 18 mai 2011, en application de la hausse indicielle INSEE à la date anniversaire du bail.

Ils plaident que la bonne foi contractuelle, cumulée avec les termes mêmes des demandes de renouvellement formées par la société Marionnaud Lafayette, n'ont jamais fait perdre le jeu du mécanisme de révision triennal à date anniversaire du bail en fonction de la variation de l'indice INSEE, la Cour de cassation ayant récemment rappelé qu'une clause d'indexation ne peut être réputée non écrite lorsque la distorsion ne résulte pas de la clause d'indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu et la date prévue pour l'indexation annuelle du loyer.

SUR CE

A titre préliminaire, la cour observe qu'aucune critique n'est apportée par les parties sur les chefs du jugement relatifs à la fixation du prix du loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2011 à 17.817euros par an hors taxes et hors charges, à l'exécution provisoire et à l'absence d'indemnité procédurale.

Ces chefs du jugement seront donc confirmés.

Sur les demandes de constat présentées par les conclusions des parties

Au préalable, il convient de souligner qu'il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'dire que...', telles que figurant dans le dispositif des conclusions de l'appelante, dès lors qu'elles portent sur des moyens ou des éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de la décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.

Sur la demande en paiement au titre de l'arriéré d'indexation

Aux termes des articles L145-37 et L145-38 du code de commerce, les loyers des baux commerciaux, renouvelés ou non, peuvent être révisés à la demande de l'une ou de l'autre des parties sous les réserves prévues aux articles L145-38 et L145-39 et dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Aux termes de l'article R145-20 du code de commerce, la demande de révision des loyers prévue à l'article L. 145-37 est formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Elle précise, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert. A défaut d'accord, la demande est jugée dans les conditions prévues aux articles L. 145-56 à L. 145-60. Le nouveau prix est dû à dater du jour de la demande.

Aux termes de l'article L145-15 du code de commerce, sont réputés non écrits, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54.

En l'espèce, il est constant que le bail commercial conclu entre les parties pour une durée de 9 ans a pris effet le 18 mai 1999 pour se terminer le 17 mai 2008. Il s'est ensuite poursuivi dans les mêmes conditions par tacite prolongation, jusqu'à ce que le preneur présente, par acte extrajudiciaire du 31 mars 2011, une demande en renouvellement, à la suite de laquelle les parties se sont opposées sur la date d'effet du renouvellement et la modification du prix du bail proposée par le bailleur.

Il a été jugé le 16 février 2015 par le tribunal de grande instance de Lille que la date d'effet du renouvellement du bail à retenir était le 1er avril 2011. Cette décision, non frappée d'appel, est aujourd'hui définitive.

A la suite de l'expertise judiciaire, les parties se sont accordées sur la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 17. 816,80 euros par an au 1er avril 2011, en application des dispositions des articles L145-33 et L145-34 du code de commerce.

Elles ne s'opposent plus désormais que sur la possibilité pour le bailleur d'obtenir au surplus une révision du loyer au 18 mai 2011 sur la base de la clause de révision stipulée par le bail.

Cette clause est ainsi rédigée : 'le loyer ci-dessus fixé sera révisable à l'expiration de chaque période triennale, dans les conditions prescrites par l'article 27 du décret du 30 septembre 1953 et les textes subséquents, concernant les loyers d'immeubles à usage commercial, industriel ou artisanal. L'indice de base qui a servi au calcul du loyer renouvelé est celui qui quatrième trimestre 1998, lequel a été fixé à 1.074.'

Cette clause se contente donc de rappeler que le loyer est susceptible d'être révisé tous les trois ans, selon les modalités de mise en oeuvre de la révision triennale légale désormais prévue par l'article L145-38 du code de commerce, en fixant l'indice de référence.

Ce renvoi aux conditions légales est manifestement incompatible avec la stipulation d'une clause d'indexation, laquelle opérerait automatiquement sans autre condition que la variation de l'indice de référence.

Cette clause ne peut en conséquence s'analyser en une clause d'échelle mobile.

Il convient dès lors de débouter les consorts L. de leur demande en paiement de la somme de 5 973,42 euros.

La décision entreprise sera infirmée de ce chef, ce qui implique nécessairement la répétition de cette somme par les consorts L. à la société Marionnaux Lafayette, si tant est qu'elle ait effectivement été payée, sans qu'il soit nécessaire d'en ordonner la restitution, le présent arrêt valant titre exécutoire.

Sur les dépens

Aux termes des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

L'issue du litige justifie de condamner les consorts L. aux dépens d'appel et de première instance. La décision entreprise sera réformée de ce chef.

En conséquence, il convient d'accorder à la SCP L., avocat au barreau de Douai, le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Les consorts L., tenus aux dépens, seront condamnés à verser à la société Marionnaud Lafayette la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Les consorts L. seront déboutés de leur demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement le rendu le 21 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Lille en ce qu'il a :

- fixé le prix du loyer du bail renouvelé à compter du premier avril 2011 à 17 817 euros/ an HT et HC ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Déboute M. Eric L., Mme Catherine L., Mme Elisabeth L. épouse B. et Mme Nathalie L. épouse H. de leur demande en paiement de la somme de 5 973,42 euros ;

Condamne M. Eric L., Mme Catherine L., Mme Elisabeth L. épouse B. et Mme Nathalie L. épouse H. à payer à la société Marionaud Lafayette, prise en la personne de ses représentants légaux, la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Déboute M. Eric L., Mme Catherine L., Mme Elisabeth L. épouse B. et Mme Nathalie L. épouse H. de leur demande au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;

Condamne M. Eric L., Mme Catherine L., Mme Elisabeth L. épouse B. et Mme Nathalie L. épouse H. aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Accorde à la SCP L., avocat au barreau de Douai, le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.