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Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc., 15 septembre 2020, n° 17/03149

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Association CGEA d’Annecy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gallo

Conseillers :

M. Mathieu, Mme Rieu

Cons. Prud'h. du 27 juin 2017

27 juin 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

Par un contrat de travail à durée indéterminée du 1er juin 2005, la société 'AIC SERVICES' embauchait monsieur Laurent A. en qualité d'Ingénieur Géotechnicien et Géophysicien ' Directeur Technique, position Cadre - Convention collective nationale Bureaux d'études techniques cabinets d'ingénieurs conseils.

Monsieur A. exerçait déjà ces fonctions depuis le 1er janvier 1995 par l'intermédiaire de la société 'INFRA CONCEPT' dont il était le gérant, actionnaire de la Société 'AIC SERVICES'.

La Société 'AIC SERVICES' était placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON du 03 novembre 2010 puis un plan de redressement était validé par jugement du 9 novembre 2011 organisant la continuation et l'apurement du passif ; par un jugement du 04 février 2015, le Tribunal de Commerce prononçait la liquidation judiciaire de la Société 'AIC SERVICES' et la date de cessation des paiements était fixée au 1er février 2014.

Monsieur A. était convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement le 13 février 2015 et par courrier du 17 février 2015, le Mandataire judiciaire notifiait à monsieur A. son licenciement pour motif économique.

Par courrier du 18 mars 2015 le Mandataire judiciaire informait monsieur A. de ce que la Délégation UNEDIC AGS CGEA avait différé l'avance de la demande de fonds concernant le paiement des salaires qui lui étaient dus dans l'attente de la vérification de son statut de salarié.

Par courrier du 12 juin 2015, le Mandataire judiciaire indiqué à monsieur A. que la Délégation UNEDIC AGS CGEA refusait de faire l'avance de son salaire du mois de janvier 2015 au motif que 'les associés commandités d'une société en commandite par actions ont la qualité de commerçant en vertu de l'article L.226-1 du Code de Commerce'.

Monsieur Laurent A. saisissait le Conseil des Prud'hommes d'AVIGNON le 17 juin 2016.

Par jugement du 27 juin 2017 le Conseil des Prud'hommes reconnaissait le statut de salarié de monsieur A. et fixait sa créance au titre du préavis, des rappels de salaires et indemnité contractuelle de licenciement.

Par déclaration reçue le 1er août 2017 la Délégation UNEDIC AGS CGEA d'ANNECY interjetait régulièrement appel de cette décision.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par conclusions récapitulatives déposées le 13 octobre 2017 la Délégation UNEDIC AGS CGEA d'ANNECY demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise et de :

- constater que monsieur A. était gérant commandite de la Société "AIC SERVICES"

- constater qu'il ne peut avoir le statut de salarié en sa qualité de commerçant de droit

- débouter monsieur A. de l'intégralité de ses demandes.

Subsidiairement :

- débouter monsieur A. de ses demandes de rappel de salaire non justifiées par un travail effectif

- réduire le quantum des demandes à de plus justes proportions

- déclarer inopposable aux organes de la procédure collective, le prétendu contrat de travail conclu entre monsieur A. et la société "AIC SERVICES" représentée par Monsieur A., gérant commandite

- dire que l'indemnité de licenciement sera réduite à l'indemnité légale termes de l'article R1234-2 du Code du Travail

- débouter monsieur A. du surplus de ses demandes

Très subsidiairement :

- déclarer l'arrêt opposable au CGEA d'|ANNECY, dans les limites définies aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du Code du Travail et des plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3253-5 du même Code

- dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du Code du Travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-17, L 3253-19, L 3253-20, L 3253-21 et L 3253-15 du Code du Travail

- dire que l'obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties compte tenu du plafond applicable ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par Mandataire Judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement

- mettre hors de cause la Délégation UNEDIC AGS CGEA d'ANNECY pour les demandes au titre des frais irrépétibles, astreinte, ou résultant d'une |une action en responsabilité

- arrêter le cours des intérêts au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective

- le condamner à verser la somme de 1500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens

Elle soutient que :

- le contrat de travail se caractérise par l'existence d'un lien de subordination dont il résulte que l'activité exercée sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements

- le lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail puisqu'il s'agit du seul critère permettant de le différencier d'autres contrats comportant l'exécution d'une prestation rémunérée.

- la prestation de travail et la rémunération sont donc des éléments nécessaires mais non- suffisants pour caractériser l'accomplissement d'un travail salarié

- Monsieur A. était l'associé commandité de la société 'AIC SERVICES' qui prenait la forme d'une société en commandite par actions : l'article L226-1 du Code de Commerce prévoit que les associés commandités d'une société en commandite par actions, ont la qualité de commerçant

-le contrat de travail écrit produit aux débats signé le 1er juin 2005, comporte doublement la signature de monsieur A. en tant que gérant de la société et en tant que supposé salarié

- le licenciement pour motif économique a été prononcé par le liquidateur judiciaire dans le cadre des dispositions spécifiques qui lui sont applicables, à savoir les articles L1233-58 et L1233-60 du Code du Travail auxquels renvoie l'article L641-4 du Code de Commerce : cette procédure ne préjuge en rien l'existence d'un contrat de travail.

- si par extraordinaire, la Cour devait avoir une appréciation différente, elle devra réduire le quantum sollicité à de plus justes proportions, Monsieur A. n'ayant jamais sollicité le versement de ses salaires avant la liquidation judiciaire

- il n'est pas démontré que ce contrat de travail a été soumis à l'accord des associés commanditaires et si la Cour reconnaissait la qualité de salarié, l'indemnité de licenciement devra être réduite à l'indemnité légale de licenciement au regard des pièces produites par monsieur A.

- l'AGS CGEA ne garantit pas les créances éventuellement fixées au titre des frais irrépétibles, ne s'agissant pas de demandes liées à l'exécution ou à la rupture d'un contrat de travail.

Par conclusions récapitulatives déposées le 13 octobre 2017, Maître Frédéric T., es qualité de mandataire liquidateur de la Société 'AIC SERVICES' demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise et de:

- constater que monsieur A. etait gérant commandite de la Société 'AIC SERVICES'

- constater qu'il ne peut avoir le statut de salarié en sa qualité de commerçant de droit

- débouter monsieur A. de l'intégralité de ses demandes.

Subsidiairement :

- débouter monsieur A. de ses demandes de rappel de salaire non justifiées par un travail effectif

- réduire le quantum des demandes à de plus justes proportions

- déclarer inopposable aux organes de la procédure collective, le prétendu contrat de travail conclu entre monsieur A. et la société 'AIC SERVICES' représentée par Monsieur A., gérant commandite

- dire que l'indemnité de licenciement sera réduite à l'indemnité légale termes de l'article R1234-2 du Code du Travail

- débouter monsieur A. du surplus de ses demandes

- le condamner à verser à Me Frederic T., es qualité de mandataire liquidateur de la Société 'AIC SERVICES' la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens

Il soutient que :

- le contrat de travail se caractérise par l'existence d'un lien de subordination dont il résulte que l'activité exercée sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements

- le lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail puisqu'il s'agit du seul critère permettant de le différencier d'autres contrats comportant l'exécution d'une prestation rémunérée.

- la prestation de travail et la rémunération sont donc des éléments nécessaires mais non- suffisants pour caractériser l'accomplissement d'un travail salarié

- Monsieur A. était l'associé commandité de la société 'AIC SERVICES' qui prenait

la forme d'une société en commandite par actions : l'article L226-1 du Code de Commerce prévoit que les associés commandités d'une société en commandite par actions, ont la qualité de commerçant

-le contrat de travail écrit produit aux débats signé le 1er juin 2005, comporte doublement la signature de monsieur A. en tant que gérant de la société et en tant que supposé salarié

- le licenciement pour motif économique a été prononcé par le liquidateur judiciaire dans le cadre des dispositions spécifiques qui lui sont applicables, à savoir les articles L1233-58 et L1233-60 du Code du Travail auxquels renvoie l'article L641-4 du Code de Commerce : cette procédure ne préjuge en rien l'existence d'un contrat de travail.

- si par extraordinaire, la Cour devait avoir une appréciation différente, elle devra réduire le quantum sollicité à de plus justes proportions, Monsieur A. n'ayant jamais sollicité le versement de ses salaires avant la liquidation judiciaire

- il n'est pas démontré que ce contrat de travail a été soumis à l'accord des associés commanditaires et si la Cour reconnaissait la qualité de salarié, l'indemnité de licenciement devra être réduite à l'indemnité légale de licenciement au regard des pièces produites par monsieur A.

Par conclusions récapitulatives déposées le 08 décembre 2017 monsieur Laurent A. demande à la Cour de confirmer la décision entreprise et de :

- condamner la ' SCA AIC SERVICES' prise en la personne du mandataire liquidateur à inscrire au passif la somme de 1500€ en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et que le CGEA d'ANNECY devra en relever garantie

- condamner la Délégation CGEA d''ANNECY au paiement de la somme de 1500€ en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Il soutient que :

- certains mandataires sociaux bénéficient du régime général de la sécurité sociale tels que les présidents-directeurs généraux, directeurs généraux, gérants minoritaires ou égalitaires de SARL : ce cumul est possible sous réserve que le dirigeant exerce des fonctions techniques distinctes, dans un état de subordination à l'égard de la société

- le cumul est parfaitement valable lorsque que le contrat de travail correspond à un emploi réel exercé dans l'entreprise, et que cet emploi répond aux conditions du salariat, c'est-à-dire qu'il existe un lien de subordination juridique

-il n'était plus gérant depuis 2010, soit cinq années avant la liquidation judiciaire et n'est pas directement associé de la société 'AIC SERVICES'

- il a continué à exercer ses fonctions de direction technique, à la demande des organes de la procédure collective, dans l'optique de favoriser la poursuite d'activité et dans le but de pérenniser les emplois de chacun des salariés

- la ' SCA AIC SERVICES' s'est systématiquement acquitté des cotisations salariales concernant la rémunération du salarié

- il justifie de l'existence d'un contrat de travail, et de l'exercice effectif d'une activité salariale

Monsieur A. bénéfice du statut de salarié puisqu'il est affilié à la Sécurité Sociale, conformément à ses bulletins de paie et aux cotisations salariales versées durant l'ensemble de la relation contractuelle

- il n'a jamais perçu la moindre rémunération en qualité de gérant ou de dividendes en qualité d'actionnaire

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures.

MOTIFS :

En présence d'un contrat de travail écrit ou apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve.

Contrairement à l'affirmation conjointe du Mandataire judiciaire et de la Délégation UNEDIC AGS CGEA, il n'appartient donc pas au salarié titulaire d'un contrat de travail de justifier d'un quelconque lien de subordination pour attester de l'existence d'un contrat de travail, ce qui constituerait une inversion de la charge de la preuve.

Il appartient au juge prud'homal de rechercher si la preuve du caractère fictif du contrat de travail est rapportée par l'employeur qui en conteste la réalité.

En l'espèce Me T. es qualité et la la Délégation UNEDIC AGS CGEA produisent :

- un contrat de travail entre la société 'AIC SERVICES' et monsieur A.

- un exemplaire des statuts de la société 'AIC SERVICES'

- un extrait Kbis de la société 'AIC SERVICES' actualisé au 18 novembre 2015

De la lecture de ces pièces il se déduit que :

- le contrat de travail est établi entre : ' la société 'AIC SERVICES' représentée par un gérant la société INFRA CONCEPT' ayant pour gérant monsieur Laurent A.' et monsieur Laurent A..

- la page six du contrat de travail porte la signature de monsieur A. pour la société 'AIC SERVICES' employeur et la même signature pour le salarié embauché.

- les statuts de la société 'AIC SERVICES' révèlent que monsieur A., est associé commanditer et gérant de la 'SARL INFRA CONCEPT' associée commanditée et que cinq personnes physiques sont engagées au titre d'associés commanditaires

- l'article 1 des dispositions générales modifiées des statuts stipule que : ' la société est de forme 'société en commandite par actions. Elle existera entre monsieur Laurent A. ...comme associé commandité ...et les associés commanditaires propriétaires des actions ci-après...'

- l'extrait Kbis du Tribunal de commerce de TARASCON daté du 18 novembre 2015 révèle que la société 'AIC SERVICES' a opéré un transfert de son siège social à SENAS dans le ressort de TARASCON le 30 novembre 2010 et contrairement à son affirmation monsieur A. en a été le seul gérant et son nom figure en tant que tel sur l'extrait officiel.

- en l'état du redressement judiciaire prononcé par le Tribunal de Commerce d'AVIGNON le 03 novembre 2010 la société 'AIC SERVICES' à l'issue du transfert de son siège social a déclaré un nouveau nom commercial 'RINCENT BTP SERVICES SUD EST' mais sans pour autant modifier le gérant en titre à savoir Laurent A..

Il convient de relever que l'attestation de madame Claude Marie L. , Commissaire aux Comptes, établie le 20 mai 2015 produite par l'intimé certifie que : 'monsieur Laurent A., associé de la SCA AIC n'a jamais perçu de salaire en rétribution de sa fonction de gérant de la dite Société et qu'il n'a jamais perçu de dividende depuis la création de la SCA en 1994" ; cette attestation rédigée en mai 2015 conforte le statut de gérant de monsieur A. depuis la création de la société et ne fait pas état de ce que celui-ci n'était plus gérant depuis l'année 2010

Il est constant qu'une Société en Commandite par Actions est une structure juridique originale pour laquelle on distingue deux types d'associés : les commanditaires et les commandités ; les associés commandités ont la qualité de commerçant et leur responsabilité est dite illimitée et solidaire pour les dettes sociales .

L'article L226-1 du Code de Commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose : 'La société en commandite par actions, dont le capital est divisé en actions, est constituée entre un ou plusieurs commandités, qui ont la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales, et des commanditaires, qui ont la qualité d'actionnaires et ne supportent les pertes qu'à concurrence de leurs apports. Le nombre des associés commanditaires ne peut être inférieur à trois'.

En conséquence il apparaît que monsieur Laurent A., au visa du texte légal précité, avait la qualité de commerçant répondant indéfiniment et solidairement des dettes sociales de la Société et cette situation excluait qu'il puisse être lié à cette société par un contrat de travail.

Les appelants rapportent donc la preuve de ce que monsieur Laurent A. ne peut se prévaloir de la qualité de salarié nonobstant le contrat de travail écrit et les fiches de paye émises et qu'il convient par voie de conséquence de le débouter de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires.

Le présent arrêt, infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement entrepris et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.

Aucune circonstance économique et d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel.

Partie perdante au sens de l'article 696 du Code de Procédure Civile monsieur Laurent A. supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions

ET STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS ET Y AJOUTANT :

Vu l'article L226-1 du Code de Commerce dans sa rédaction applicable au litige,

CONSTATE que monsieur Laurent A. avait de droit la qualité de commerçant de par ses fonctions de gérant de la Société en Commandite par Actions 'AIC SERVICES'

DIT qu’à ce titre il ne qu'il pouvait être lié à cette société par un contrat de travail.

DÉBOUTE monsieur Laurent A. de l'ensemble de ses demandes.

DIT que le présent arrêt, infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement entrepris et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en première instance et en instance d'appel

CONDAMNE monsieur Laurent A. aux entiers dépens.