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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 17 août 2005, n° 2005/14336

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Western Télécom (SA)

Défendeur :

France Télécom, Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pelard

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, Mme Barberot

Avoués :

Me Cordeau, SCP Verdun-Seveno

Avocats :

Me M. Benhawi, Me Berthault

CA Paris n° 2005/14336

16 août 2005

Après avoir, à l'audience publique du 04 août 2005, entendu les avocats des parties, l'avocat de la requérante ayant eu la possibilité de s'exprimer en dernier.

Créée en 1995 la société anonyme (ci-après WESTERN TÉLÉCOM) a pour activité la fourniture aux entreprises PME et PMI d'une gamme complète de services de télécommunications (téléphonique nationale et longue distance, accès internet haut débit, réseau privé virtuel ...), ainsi que des services à valeur ajoutée (portail d’applications ASP, messagerie unifiée...).

A cette fin elle est interconnectée au réseau de la société anonyme France Télécom (ci-après FRANCE TÉLÉCOM) à qui elle achète du transit et de la terminaison internationale à des prix qui font l'objet de négociations permanentes, dans le cadre des contrats qu'elle a respectivement souscrits en matière d'interconnexion le 7 juin 1998, de prestations de "Hubbing Acces France" le 20 avril 2000, de liaison Turbo DSL le 21 juillet 2003, et de liaison Interlan le 9 juillet 2004.

Dans les liens d'une procédure collective de redressement judiciaire à partir du 22 mars 2001, elle poursuit son activité, le tribunal de commerce de PARIS ayant homologué, le 1er octobre 2002, le plan d'apurement de la dette.

Soutenant que les prix pratiqués à son égard par FRANCE TÉLÉCOM dans le cadre du contrat de transit international "Hubbing Access France" sont, d'une part, discriminants et non orientés vers les coûts, et que, d'autre part, cet opérateur pratique un "ciseau tarifaire" pour certaines destinations dont quelques-unes n'offrent pas de voies de contournement possible, elle s' abstenait d' acquitter les dernières factures relatives au trafic international.

Conformément aux dispositions de l'article 6-1 du contrat "Hubbing Access France", FRANCE TÉLÉCOM lui adressait, le 17 mai 2005, une première mise en demeure de payer les arriérés en précisant qu'elle procéderait à la résiliation du contrat en cas de non-paiement à l'issue d'un délai d'un mois.

Le 9 juin 2005 à titre principal, la société WESTERN TÉLÉCOM a demandé à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après I'A.R.C.E.P.) de :

- constater l'échec de ses négociations avec la société anonyme FRANCE TÉLÉCOM, - constater que FRANCE TELÉCOM pratique des prix discriminatoires non orientés vers  les coûts et non transparents,

- constater que le trafic international, FRANCE TÉLÉCOM pratique le ciseau tarifaire sur certaines destinations,

- constater l'absence de voie de contournement sur ces mêmes ou autres destinations, - auditer les comptes de FRANCE TÉLÉCOM pour déterminer les prix orientés vers les coûts abstraction faite des avantages mutuels que FRANCE TÉLÉCOM et ses partenaires étrangers pourraient se consentir par le biais des mécanismes de compensation,

- faire injonction à FRANCE TÉLÉCOM de communiquer les prix les plus bas et lui faire injonction de démontrer que ces derniers sont orientés vers les coûts,

- fixer les nouveaux prix non discriminants et orientés vers les coûts que FRANCE

TÉLÉCOM sera tenue d'appliquer à WESTERN TÉLÉCOM,

- réintégrer le marché du transit international dans la liste des marchés pertinents ;

Le même jour à titre accessoire WESTERN TÉLÉCOM a demandé à l'Autorité au titre des mesures conservatoires d'enjoindre à France Télécom de maintenir l'accès au trafic international à WESTERN TÉLÉCOM à un tarif non discriminant que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes fixera provisoirement à 50 % du tarif actuel dans l'attente de la décision sur le fond à intervenir.

Par décision n°05-0614 en date du 30 juin 2005, l'A.R.C.E.P. a rejeté les demandes de mesures conservatoires susvisées.

Le 11 juillet 2005 WESTERN TÉLÉCOM a formé un recours contre cette décision.

Vu la déclaration de recours déposée au greffe de la Cour le 11 juillet 2005 ;

Vu l'exposé des moyens déposé le même jour aux termes duquel il est demandé à la cour, conformément à l'article 36-8-III et IV du Code des postes et communications électroniques de :

- réformer la décision no 05-0614 du 30 juin 2005 de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (l' A.R.C.E.P) rejetant la demande de mesures conservatoires de la société WESTERN TÉLÉCOM l'encontre de FRANCE TÉLÉCOM ;

- Condamner FRANCE TÉLÉCOM à reprendre la fourniture de ses prestations de transit international pour WESTERN TÉLÉCOM dans l'attente de la décision au fond à intervenir ;

- Condamner FRANCE TÉLÉCOM à fixer elle-même ses tarifs orientés vers les coûts à titre provisoire et dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond de l' A.R.C.E.P. ;

- Condamner FRANCE TÉLÉCOM aux entiers dépens ;

vu les conclusions de WESTERN TÉLÉCOM en date de 20 juillet 2005 ;

Vu les observations en réponse de FRANCE TÉLÉCOM en date du 20 juillet 2005 tendant au rejet du recours ;

Vu les observations de l’AR.C.E.P en date du 25 juillet 2005 tendant au rejet du recours ;

Vu le mémoire en réplique de FRANCE TÉLÉCOM en date du 30 juin 2005 ;

vu les conclusions de WESTERN TÉLÉCOM en date du 1er août 2005 ;

Vu le mémoire en réplique de FRANCE TÉLÉCOM en date du même jour ;

vu les conclusions de WESTERN TÉLÉCOM en date du 2 août 2005 ;

Vu les observations écrites du Ministère Public ;

Sur ce,

Sur la procédure :

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats les conclusions tardives de WESTERN TÉLÉCOM, ces dernières ayant été déposées en réponse aux dernières conclusions de FRANCE TÉLÉCOM ;

Considérant que FRANCE TÉLÉCOM soulève l'irrecevabilité des demandes de WESTERN TÉLÉCOM au motif que cette dernière a substitué devant la cour aux tarifs sollicités de l'A.R.C.E.P , à savoir 50% du tarif actuel, les tarifs orientés vers les coûts ;

Mais considérant qu'en application des dispositions de l'article 565 du nouveau Code de procédure civile, cette nouvelle proposition ne peut être considérée comme nouvelle dès lors qu'elle ne diffère que par les modalités de calcul tendant à la révision du coût des prestations de service de FRANCE TÉLÉCOM ;

Qu'en conséquence, l'exception d'irrecevabilité sera écartée ;

Considérant que la requérante soutient que l'Autorité n’a pas respecté le principe du contradictoire parce que, ayant initialement fixé l'examen des demandes à son audience du 5 juillet 2005, elle a avancé cette date au 30 juin 2005 au motif que les observations en défense adressées par FRANCE TÉLÉCOM le 24 juin comportaient aussi une lettre notifiant la coupure de ses services pour le 1er juillet 2005 ;

Considérant que le moyen est inopérant parce que la requérante n'a pas, dans sa déclaration de recours, demandé, à ce titre, l'annulation de la décision (cf page 4, 1er§ : "... La décision devra donc être réformée..."), et qu'il n'y a lieu de le soulever d'office dans la mesure où la situation ne saurait faire grief à la requérante dès lors où elle ne conteste pas avoir reçu les observations de FRANCE TÉLÉCOM et avoir pu les discuter oralement en audience (avant dernier paragraphe de la page 4 de l'exposé de ses moyens, et page 5 de ses conclusions) ;

Sur le fond

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L 36-8 1 alinéa 3 et R11-1 alinéa 4 du Code des postes et des communications électroniques que l'Autorité ne peut ordonner des mesures conservatoires en vue notamment d'assurer la continuité du fonctionnement des réseaux, qu'en cas d'atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des télécommunications, et si la demande est formée accessoirement à une saisine au fond ;

Considérant sur l'exigence prévue par l'article R11-1 alinéa 4 d'intervenir accessoirement à la saisine au fond, que la requérante n'y satisfait que partiellement ;

Qu'en effet ainsi que le font valoir l’Autorité et FRANCE TÉLÉCOM, la demande d'orientation vers les coûts des tarifs dans l'attente de la décision sur le fond, orientation que conteste en l'espèce l'opérateur historique, implique nécessairement de se prononcer sur le fond du différend relevant du recours principal ;

Que c'est à juste titre que l'Autorité n'a pas sur ce point admis le caractère accessoire de la demande ;

Qu'en revanche, la mesure sollicitée tendant au rétablissement des services d'accès au trafic international à WESTERN TÉLÉCOM dans l'attente de la décision sur le fond ne se confond pas avec celle relevant du litige principal ; qu'il convient en conséquence d'examiner si cette mesure doit être prononcée notamment dans le but d'assurer une continuité du réseau dès lors qu'il y aurait une atteinte grave et immédiate aux règles régissant le secteur des communications électroniques ;

Considérant que la demande de WESTERN TÉLÉCOM s' inscrit dans le cadre des obligations légales qui portent sur des contraintes techniques mais aussi financières, qui s'imposent aux opérateurs prévues à l’article L 32-1 du code des postes et communications électroniques ; que l'article L 38-1 créé par la loi n° 2004-669 du 09 juillet 2004 (art. 18) dudit code dispose que "-Les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, en matière d'interconnexion et d'accès, une ou plusieurs des obligations suivantes, proportionnées à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L.32-1 : (...)

"Ne pas pratiquer de tarifs excessifs ou d'éviction sur le marché en cause et pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants" (2° loi n° 2004-669 devenu 4° loi n°2005-516 du 20 mai 2005) ;

Considérant que sur le manquement grave et immédiat de FRANCE TÉLÉCOM à ces obligations que lui reproche la requérante, l'Autorité constate que la situation de WESTERN TÉLÉCOM "semble relever de difficultés financières profondes" et qu' elle ne "fournit pas d' éléments suffisamment probants et circonstanciés de nature à démontrer que la situation dans laquelle elle se trouve aujourd'hui est directement provoquée par l'existence d'une atteinte grave et immédiate à une règle régissant le secteur des communications électroniques imputable à FRANCE TÉLECOM" (pages 13 et 14 de la décision) ;

Considérant que la requérante soutient que le litige commercial tenant aux factures qu'elle n'a pas acquittées, a évolué depuis la décision déférée, dans la mesure où le Président du Tribunal de commerce a, par ordonnance du 12 juillet 2005, rejeté la demande en référé de FRANCE TÉLÉCOM tendant au paiement provisionnel de la somme de 2 059 790 €, du fait de contestations sérieuses ; qu'elle en conclut que le non-paiement des factures ne justifie plus la rupture par FRANCE TÉLÉCOM de ses services, alors qu'elle n'a pas pu mettre en œuvre de solution alternative ;

Qu'elle ajoute que depuis que FRANCE TÉLÉCOM a coupé ses services, soit le 1er juillet 2005, elle est contrainte d'assurer la poursuite de ses activités, à perte, en se fournissant notamment chez l'opérateur historique au détail ou à travers des solutions de routage proches de la saturation (page 18 des conclusions) et dans une précarité ne lui permettant pas de garantir la continuité des services à ses propres clients ;

Considérant que même si, comme l'indique FRANCE TÉLÉCOM, WESTERN TÉLÉCOM dispose encore d'offres alternatives, notamment pour son trafic sortant national, les éléments du dossier démontrent que la requérante doit faire face non seulement à une précarité financière croissante mais aussi à une précarité des prestations qu'elle offre à sa clientèle ;

Que s'agissant des prix contractuels litigieux, il résulte des éléments chiffrés fournis par la requérante que dès lors que FRANCE TÉLÉCOM reconnaît ne pas les avoir orientés vers les coûts et compte tenu des montants très importants que représente le poste comptable de WESTERN TÉLÉCOM relatif au trafic international, la situation dans laquelle se trouve la requérante qui ne peut honorer ses factures, ayant abouti à la coupure du 1er juillet 2005 est directement provoquée, au moins partiellement, par la tarification de l'opérateur historique ;

Que dès lors, contrairement à ce qu'a dit l'Autorité il existe une présomption suffisamment forte de prix pratiqués par FRANCE TÉLÉCOM avant le 1er juillet 2005 manifestement susceptible de caractériser une atteinte grave et Immédiate aux règles en vigueur dans les communications électroniques, à savoir des prix d'éviction de WESTERN TÉLÉCOM du marché, contraire à l'intérêt des clients de cette entreprise;

Considérant que tous les autres moyens sont surabondants ;

Qu'il s'ensuit qu'il sera fait droit par voie de réformation partielle de la décision déférée à la demande de reprise de la fourniture par FRANCE TÉLÉCOM de ses prestations de transit international pour WESTERN TÉLÉCOM dans l'attente de la décision au fond à intervenir ;

PAR CES MOTIFS :

- Réforme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société anonyme WESTERN TÉLÉCOM tendant à la reprise de son accès au trafic international fourni par

FRANCE TÉLÉCOM ;

- Rejette le recours pour le surplus des demandes ;

- Enjoint à la société FRANCE TÉLÉCOM de reprendre l'accès de la société WESTERN TÉLÉCOM au trafic international dans l'attente de la décision au fond ;

- Laisse à la chacune des parties la charge de ses dépens ;