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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 6, 24 septembre 2009, n° 07/17690

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Socphipard (SA), Belhassen (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme David

Conseillers :

Mme Degrandi, Mme Delbes

Avoués :

SCP Gaultier - Kistner, SCP Oudinot et Flauraud, SCP Petit Lesenechal

Avocats :

Me Beillan, Me Mouchon, Me Favier, Me Moumni

T. com. Paris, du 23 sept. 1998, n° 1997…

23 septembre 1998

Le 27 octobre 1986, la Banque Rivaud a ouvert dans ses livres un compte courant au nom de la société Hadny, devenue SAF Honoré 316, et M. Lao, président du conseil d'administration, s'est porté caution solidaire des engagements de la société au profit de la banque à hauteur de 1 500 000 francs.

Le 1er décembre 1989, la Banque Rivaud a consenti à la société SAF Honoré 316 un prêt de 2 500 000 francs et M. et Mme Lao se sont portés caution solidaire à hauteur de ce montant.

Le 6 novembre 1990, M. et Mme Lao se sont portés caution solidaire à nouveau à hauteur de 2 millions de francs.

Le 16 mars 1999, la société SAF Honoré 316 a été mise en redressement judiciaire et la banque a déclaré sa créance.

Le 28 juin 1988, la Banque Rivaud a ouvert dans ses livres un compte joint au nom de M. et Mme Lao.

Le 9 février 1996, la banque a mis en demeure M. et Mme Lao de régler le découvert de leur compte à hauteur de 526 564,94 francs.

Le 16 février 1990, la Banque Rivaud a ouvert dans ses livres un compte au profit de la société Parfums Tristar.

Le 8 août 1991, M. Lao, président du conseil d'administration, s'est porté caution solidaire de la société Parfums Tristar en faveur de la Banque Rivaud à hauteur de 4 100 000 francs.

Le 20 septembre 1991, Mme Lao s'est porté caution solidaire de la société Parfums Tristar pour la même somme.

Le 27 février 1992, le compte courant de la société Parfums Tristar présentait un solde débiteur de 4 256 687,55 francs et M. et Mme Lao se sont engagés dans un protocole d'accord à rembourser cette somme en 4 ans.

Le 2 mars 1992, la société Parfums Tristar a été mise en liquidation judiciaire et la banque a déclaré sa créance.

Par jugement du 23 septembre 1998, le tribunal de commerce de Paris a condamné la société SAF Honoré 316 à payer à la Banque Rivaud la somme de 6 393 863,68 francs, avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 1997 et capitalisation des intérêts et s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées contre M. et Mme Lao.

Par jugement réputé contradictoire du 14 avril 1999, le tribunal de grande instance de Meaux a condamné M. et Mme Lao à payer à la Banque Rivaud :

- la somme de 526 564,94 francs avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 1996, au titre de leur compte courant débiteur,

- la somme de 4 286 121,97 francs avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 1992, avec un plafond de 4 100 000 francs pour chacun d'eux, au titre de leurs engagements de caution de la société Parfums Tristar,

- la somme de 6 393 863,68 francs, solidairement avec la société SAF Honoré 316, avec intérêts contractuels à compter du 10 septembre 1997, avec un plafond de 6 millions de francs pour M. Lao et de 4,5 millions de francs pour Mme Lao, le tout avec capitalisation des intérêts.

Ces deux jugements ont fait l'objet d'un appel et le conseiller de la mise en état a joint les deux procédures.

Par arrêt du 8 octobre 1999, la 15ème chambre C de la cour d'appel de Paris a ordonné une mesure d'expertise.

L'expert a procédé à sa mission et a déposé son rapport au greffe de la cour d'appel de Paris le 15 décembre 2004.

Par ordonnance du 10 mars 2005, le désistement de l'instance entre la société SAF Honoré 316 et la Banque Rivaud a été constaté.

A la demande écrite de toutes les autres parties, le conseiller de la mise en état a ordonné le retrait de l'affaire du rôle de la cour par ordonnance du 21 octobre 2005.

L'affaire a été remise au rôle le 19 octobre 2007.

Dans leurs dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 10 juin 2009, M. et Mme Lao demandent à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- d'annuler le jugement,

subsidiairement,

- d'annuler leurs engagements de caution,

- d'annuler le protocole d'accord du 27 février 1992 établi sur la base de cautionnements déclarés nuls,

- de débouter la société Socphipard de sa demande relative aux intérêts conventionnels pour les années 1993, 1994 et 1997 en l'absence d'information des cautions,

Plus subsidiairement,

- de condamner la société Socphipard à leur payer des dommages et intérêts à hauteur de la somme qui leur est réclamée,

A titre infiniment subsidiaire,

- de dire que la société Socphipard a perdu tout droit à se faire payer les sommes qu'elle réclame,

- de condamner Mme Darmaillac à leur payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 17 juin 2009, la société Socphipard, anciennement Banque Rivaud, M. Grangé, pris en sa qualité de liquidateur amiable de la société Socphipard, et Mme Darmaillac, prise en sa qualité de liquidateur de la société Socphipard, demandent à la Cour :

-de prendre acte de ce que Mme Darmaillac a remplacé M. Grangé aux fonctions de liquidateur,

-de confirmer le jugement entrepris,

-de donner acte à la société Socphipard de ce qu'elle se trouve remplie de ses droits au titre de sa créance sur la société SAF Honoré 316 et de ce qu'elle s'engage à ne pas poursuivre M. et Mme Lao,

-de condamner M. et Mme Lao à payer à la société Socphipard la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 16 juin 2009, Me Belhassen, prise en sa qualité de mandataire ad'hoc de la société Parfums Tristar, demande à la Cour de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice.

CELA ÉTANT EXPOSÉ,

LA COUR,

Considérant que M. Grangé doit être mis hors de cause, ayant été remplacé dans ses fonctions de liquidateur amiable de la société Socphipard par Mme Darmaillac ;

Considérant qu'à la suite d'un protocole transactionnel signé entre la Banque Rivaud et la société SAF Honoré 316, cette dernière a réglé la somme de 300 000 € pour solde de tout compte et la société Socphipard indique qu'elle ne demande plus aucune somme à M. et Mme Lao au titre de leur engagement de caution de cette société ;

Considérant que les demandes dirigées contre M. et Mme Lao ne portent plus que sur leurs engagements personnels et sur leurs cautionnements donnés pour la société Parfums Tristar qui ont fait l'objet du jugement du 14 avril 1999 ;

Considérant que M. et Mme Lao demandent, en premier lieu, de prononcer la nullité du jugement du 14 avril 1999, au motif qu'ils n'ont pas été assignés, l'affaire ayant été renvoyée directement au visa de l'article 97 du Code de procédure civile ;

Mais considérant que la société Socphipard n'avait pas d'obligation de les réassigner, dès lors que l'article 97 du Code de procédure civile prévoit que les parties sont invitées par lettre recommandée avec accusé de réception à poursuivre l'instance ;

Et considérant que le jugement indique que 'les parties ont été invitées à poursuivre l'instance devant ce tribunal par lettres recommandées avec accusé de réception signé' ; que la procédure a donc été respectée ;

Considérant que M. et Mme Lao soulèvent, en deuxième lieu, le défaut de qualité à agir de la Banque Rivaud, devenue société Socphipard, au motif que cette société est dissoute depuis le 1er janvier 1999, comme en fait foi le procès-verbal d'assemblée générale du 5 janvier 1999 ;

Mais considérant que le liquidateur amiable de la société Socphipard est intervenu régulièrement à la procédure et l'a ainsi régularisée ;

Considérant que M. et Mme Lao indiquent, en troisième lieu, que la Banque Rivaud leur avait consenti à titre personnel une autorisation de découvert de 500 000 francs, au mépris de son obligation d'information et de conseil et en surestimant leur capacité de remboursement, ce à quoi la société Socphipard répond que la demande de dommages et intérêts est nouvelle en cause d'appel ;

Mais considérant que cette demande n'est pas contraire aux dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, dès lors qu'elle tend à faire écarter la prétention adverse ;

Et considérant qu'il résulte de la fiche de renseignements signée le 18 novembre 1994 par M. Lao qu'il a déclaré disposer de deux biens immobiliers estimés au total à 1 500 000 francs et percevoir des revenus annuels de 780 000 francs ;

Considérant que Mme Lao n'indique ni le montant de ses revenus mensuels, ni la composition de son patrimoine ; qu'il résulte de tous ces éléments que l'autorisation de découvert n'est manifestement pas disproportionnée aux revenus de M. Lao et que Mme Lao ne met pas la cour en mesure d'apprécier la disproportion la concernant ;

Qu'ils doivent donc être déboutés de leur demande de dommages et intérêts ;

Considérant que M. et Mme Lao soulèvent, en quatrième lieu, la nullité de leurs engagements de caution de la société Parfums Tristar pour absence de cause, pour dol et pour violation des articles 1326 et 1415 du Code civil ; qu'ils exposent enfin que la banque ne pouvait pas ignorer la situation irrémédiablement compromise de la société lorsqu'elle leur a demandé de s'engager en qualité de cautions ;

Considérant que le rapport d'expertise relève l'importance des concours bancaires consentis à la société Parfums Tristar destinés à financer des pertes et non à développer son activité ; qu'il indique que les pertes cumulées à fin 1990 s'élevaient à 4,5 millions de francs, soit trois fois le montant cumulé des ventes des exercices 1989 et 1990 et que le découvert du compte courant de la société était de 3,9 millions de francs au 31 décembre 1990 ;

Considérant qu'il s'ensuit que la banque ne pouvait pas ignorer la situation de la société Parfums Tristar lorsqu'elle a demandé en août et septembre 1991 à M. et Mme Lao de se porter caution solidaire des engagements de la société ; que la banque ne pouvait pas ignorer, au vu des relevés de compte, que le volume d'activité de la société Parfums Tristar était réduit, comme le relève encore l'expert qui conclut que les découverts bancaires consentis par la banque apparaissent anormalement disproportionnés par rapport au volume d'activité de la société ;

Considérant qu'il résulte de tous ces éléments que la société Parfums Tristar était dans une situation irrémédiablement compromise en août et septembre 1991, puisque son découvert bancaire continuait à s'accroître régulièrement ; que cette situation était connue de la banque ;

Mais considérant que M. et Mme Lao, respectivement président du conseil d'administration de la société et administratrice de celle-ci, ne pouvaient pas ignorer la situation de la société qu'ils dirigeaient ; qu'ils doivent être considérés comme des cautions averties, en raison de leurs fonctions au sein de la société et du fait qu'ils étaient également tous deux dirigeants de la société SAF Honoré 316 qui fonctionnait depuis plusieurs années; que la banque n'avait donc aucune obligation de les informer des risques qu'ils prenaient en se portant caution solidaire des engagements de la société Parfums Tristar ;

Considérant que M. et Mme Lao exposent que l'absence de cause est établie lorsque le contrat de caution n'impose au créancier aucune obligation ou ne lui impose que des obligations chimériques ou dérisoires par rapport à celles dont la caution est tenue ;

Mais considérant que le cautionnement est une garantie à la disposition du créancier qui est libre du choix de celle-ci ; que M. et Mme Lao n'indiquent pas à quelles obligations la Banque Rivaud aurait manqué ;

Considérant que, s'agissant du dol, M. et Mme Lao reprochent à la banque d'avoir exigé leur caution en période suspecte, ce qu'elle ne pouvait manifestement pas ignorer ;

Mais considérant que la signature de l'engagement de M. et Mme Lao en période suspecte ne constitue pas un dol, dès lors qu'il vient d'être vues que ceux-ci étaient au moins aussi informés que la banque de la situation de la société Parfums Tristar, en leur qualité de cautions averties ;

Considérant que le non-respect de l'article 1415 du Code civil n'entraîne pas la nullité du cautionnement, mais ne concerne que la mise en oeuvre de celui-ci ;

Considérant que le défaut de mention du taux d'intérêt ne constitue pas une violation de l'article 1326 du Code civil et n'entraîne pas la nullité de l'acte ; que d'ailleurs la banque ne réclame à M. et Mme Lao que le paiement des intérêts au taux légal ;

Considérant que M. et Mme Lao demandent, en cinquième lieu, l'application de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier pour les années 1993, 1994 et 1997, ce à quoi la banque répond que le protocole ayant remplacé les engagements de caution, les dispositions de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier ne s'appliquent plus à partir du 27 février 1992 ;

Considérant que le fondement de la banque repose désormais sur le protocole signé par M. et Mme Lao le 27 février 1992 ; que la banque n'était dès lors plus tenue de les informer annuellement de la situation de la débitrice principale ;

Considérant que M. et Mme Lao soulèvent, en sixième lieu, la disproportion de leur cautionnement, ce à quoi la banque réplique encore que la demande ne repose plus sur les engagements de caution, mais sur le protocole d'accord du 27 février 1992 ;

Considérant que M. et Mme Lao ont effectivement pris l'engagement de solder leur dette ; qu'ils ne soulèvent pas que leur consentement aurait été vicié ; qu'en conséquence, en leur qualité de personnes averties, ils étaient à même de savoir s'ils pouvaient respecter cet engagement ; que leur demande au titre de la disproportion ne peut donc pas prospérer ;

M. et Mme Lao reprochent, en septième lieu, à la banque d'avoir agi en qualité de commanditaire ;

Mais considérant que le présent litige ne porte pas sur une société en commandite par actions ou sur une société en commandite simple ; qu'il n'est pas établi que la banque aurait agi en qualité de commanditaire, c'est à dire qu'elle aurait supporté les pertes de l'entreprise à concurrence de la valeur de ses apports ;

Considérant en conséquence que le jugement du 14 avril 1999 doit être confirmé ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la société Socphipard la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Met hors de cause M. Grangé,

Confirme le jugement du 14 avril 1999 en ses dispositions portant sur les engagements personnels de M. et Mme Lao et sur leurs engagements au titre de la société Parfums Tristar,

Condamne M. et Mme Lao à payer à la société Socphipard la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne M. et Mme Lao aux dépens de la présente instance, dont distraction au profit des avoués concernés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.