Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 15 décembre 1998, n° 1998/16624

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Copper Communications (SARL)

Défendeur :

France télécom (SA), Art

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

Mme Riffault, M. Rosello

Avocats :

Me Istin, Me Michau, Me Lombard

CA Paris n° 1998/16624

14 décembre 1998

Après avoir, à l'audience publique du 3 Novembre 1998, entendu le conseil des parties, les observations de l'Autorité de régulation des télécommunications et celles du Ministère public ;

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l'appui du recours ;

La société COPPER COMMUNICATIONS a conclu avec France Télécom deux conventions d'accès au réseau dénommées " contrat audiotel à la durée " :

-  l'une en date du 6 juin 1995, pour fournir un " service de voyance en différé avec boîtes aux lettres confidentielles ", accessible par le numéro 08 36 68 05 31 ;

-  l'autre en date du 4 mai 1996, pour fournir un " service de boîtes aux lettres, style mémophone " accessible par le numéro 08 36 68 09 60.

Par lettre du 6 mars 1998, France Télécom a informé la société COPPER

COMMUNICATIONS qu'elle saisissait le comité de la télématique anonyme, en application de l'article 5.1 du contrat audiotel, afin d'obtenir son avis sur la résiliation de la convention de " service de boîtes aux lettres, style mémophone ", la publicité relevée dans la presse prouvant que le service proposé était interdit sur l'accès télématique permettant d'y accéder. Par ailleurs, par lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 12 mars 1998, France Télécom a mis en demeure la société COPPER COMMUNICATIONS de cesser la diffusion de son " service de voyance en différé " au motif qu'il résultait de constatations faites par ses préposés que ce service diffusait des histoires pour adultes, prohibées par les conditions générales du contrat " Audiotel ".

C'est dans ces circonstances que la société COPPER COMMUNICATIONS a, par lettre datée du 27 mars 1998, saisi l'Autorité de régulation des télécommunications (ci-après l'Autorité ou l'ART), sur le fondement de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, aux fins de :

-  voir ordonner à France Télécom de " mettre en conformité les conventions d'accès au réseau avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur " en supprimant notamment les discriminations visées à l'article 1er des conventions excluant certaines activités ainsi que la clause par laquelle l'opérateur s'autorise à refuser de façon discrétionnaire l'accès à ses services pendant une durée de 6 mois à 2 ans ;

-  conformément à l'article L. 36-10 du code précité, saisir le Conseil de la concurrence sur la validité de ces clauses et M. le Procureur de la République des faits de manquement à l'obligation de secret professionnel prévu à l'article L. 32-3 contenu par une capture du contenu du service,

-  conformément à l'article L. 36-8, voir ordonner des mesures conservatoires, en l'espèce le sursis à exécution par l'opérateur de toute décision de résiliation des conventions 08 36 68 09 60 et 08 36 68 05 31 jusqu'à ce que l'Autorité ait statué au fond.

Par décision n° 98-506 du 24 juin 1998, l'Autorité de régulation des télécommunications, n'examinant que les demandes entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, a rejeté la demande présentée par la société COPPER COMMUNICATIONS comme portée devant une autorité incompétente pour en connaître.

La société COPPER COMMUNICATIONS a formé un recours à l'encontre de cette décision. Au soutien de son recours, et selon l'exposé sommaire déposé au greffe de la cour le 29 juillet 1998, elle fait valoir :

-  qu'en se déclarant incompétente, sur le fondement de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, pour connaître des différends résultant de l'exécution d'une convention d'accès à un réseau de télécommunications et en limitant la portée dudit article aux cas de litige technique ou financier, l'Autorité a méconnu l'étendue des pouvoirs dont elle est investie en vertu de la loi du 26 juillet 1996, ainsi que les considérants de la décision du Conseil constitutionnel amené à se prononcer sur la validité de cette loi ;

-  qu'en limitant le différend à la validité des avis d'organismes consultatifs, l'Autorité a dénaturé le litige dont elle était saisie et s'est abstenue de répondre aux conclusions qu'elle avait déposées.

Elle affirme en conséquence que la Cour se trouve saisie de l'ensemble des demandes formulées dans sa saisine initiale, à l'exception de celles relevant par leur nature des articles L. 36-10 et L. 36-11.

Par un mémoire ampliatif du 26 août 1998, elle demande :

-  de déclarer recevable l'appel par elle formé à l'encontre de la décision n° 98-506 de l'Autorité de régulation des télécommunications, conformément à l'article 99 du nouveau

Code de procédure civile ;

-  d'infirmer cette décision en ce que l'Autorité a mal apprécié la nature du litige qui porte sur les conditions techniques, financières et commerciales des conventions et non sur l'application d'avis d'organismes consultatifs ;

-  de la confirmer dans sa qualification des parties et des conventions ;

-  de dire que les avis d'organismes consultatifs ne lient pas la société France Télécom qui agit sous sa propre responsabilité ;

-  de constater que le service offert par elle sous le numéro 08 36 68 09 60 est bien un service de télécommunications au sens de l'article L. 32, alinéa 6 du code des postes et télécommunications ;

-  de constater que le service 08 36 68 05 31 est un service de télécommunications ou, subsidiairement que, s'il constitue un service de communication audiovisuelle régi par l'article 43 de la loi du 30 septembre 1986, les dispositions de l'article L. 34-8-II du code des postes et télécommunications relatives à ce type de service doivent s'appliquer, notamment l'obligation d'accès au réseau dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ; - de constater qu'aux termes de l'article L. 32-1, les activités de télécommunications s'exercent librement et que les services en cause ne sont soumis ni à autorisation, ni à déclaration au sens de l'article L. 34-1 et que dès lors, toute référence à une prétendue " interdiction " est sans fondement ;

-  de constater que France Télécom exploite un réseau conformément à l'autorisation prévue à l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications ; que les services de la société COPPER COMMUNICATIONS, objets du présent recours, ne sont pas concernés par les exclusions résultant des alinéas 1 et 2 de l'article L. 33 et transitent par ce réseau ; que, par conséquent, les dispositions relatives tant à la neutralité qu'à la confidentialité résultant de l'article L. 33 doivent recevoir pleine et entière application ainsi que celles de l'article D. 981 ; que dans les faits ces obligations ont été violées à deux reprises, par la violation de la neutralité résultant de l'appréciation du contenu des services en cause et de la confidentialité résultant de l'établissement et de la divulgation de constat de contenu de service à des tiers, et que par conséquence les procédures subséquentes sont irrégulières ;

-  de dire que les dispositions des 1er et 7ème alinéas de l'article 1 et 3ème alinéa de l'article 5.1 des contrats audiotel litigieux sont contraires aux lois et règlement en vigueur, et de les déclarer nulles conformément à l'article 1131 du Code civil ;

-  d'ordonner à l'opérateur France Télécom de poursuivre l'exécution de ces conventions modifiées ;

-  de dire que les résiliations projetées sont contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et au besoin, conformément à l'article L. 36-10 du code des postes et télécommunications, recueillir l'avis du Conseil de la concurrence sur ce point ; - d'informer M. le Procureur de la République des faits de violation du secret professionnel prévu à l'article L. 32-3 du code des postes et télécommunications, constitué en l'espèce par une capture et une divulgation du contenu d'un service émis par la voie des télécommunications.

La société France Télécom, appelée à faire valoir ses observations par application de l'article R. 11-5 du code des postes et télécommunications, demande à la cour :

-  de confirmer la décision de l'Autorité se déclarant incompétente pour statuer sur la saisine de la société COPPER COMMUNICATIONS ;

-  à titre subsidiaire, au cas où la Cour considérerait que la décision rendue par l'Autorité doit être infirmée, de ne se prononcer que sur la compétence et renvoyer l'affaire, pour examen au fond, à l'Autorité ;

-  de débouter la société COPPER COMMUNICATIONS de l'ensemble de ses demandes et de la condamner en tous les dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle indique, à cet effet, que la loi de réglementation des télécommunications n'a pas remis en cause la liberté d'offrir des services Audiotel, cette liberté restant encadrée par un régime juridique d'exception fondé sur les articles D. 406-1 et D. 406-3 du code précité.

Elle ajoute que si l'Autorité dispose d'une compétence générale relative aux litiges concernant les conditions techniques et financières d'interconnexion entre les réseaux de communication ou d'accès à un réseau de télécommunications, sa compétence ne s'étend toutefois pas à des litiges nés à l'occasion de l'exécution ou de l'interprétation d'un contrat Audiotel, qui continuent à relever des juridictions de droit commun, dans la mesure où ils ne portent pas strictement sur des dispositions d'ordre technique ou financier.

L'Autorité, usant de la faculté qui lui est offerte par le texte susvisé, a déposé des observations écrites visant également au rejet du recours, en s'interrogeant sur la recevabilité des moyens contenus dans les écritures datées du 26 août 1998 au regard des dispositions de l'article R. 11-3 du code des postes et télécommunications.

Elle observe essentiellement, d'une part qu'elle n'est compétente pour statuer, sur le fondement de l'article L. 36-8, que sur les demandes dont elle est saisie et non sur l'intégralié des questions que pourraient éventuellement soulever les faits portés à sa connaissance, et d'autre part qu'en rejetant les demandes dont elle était saisie par la société COPPER COMMUNICATIONS au motif que celles-ci ne portaient pas sur les conditions d'ordre technique et financier dans lesquelles l'accès au réseau est assuré, mais sur les conditions d'ordre déontologique relatives au contenu des services posés par les clauses des contrats critiqués, prises par application d'un décret qui s'impose à elle, elle n'a ni dénaturé le litige ni méconnu l'étendue de sa compétence.

La société COPPER COMMUNICATIONS a répliqué à l'ensemble des observations déposées en soulevant l'irrecevabilité des écritures de la société France Télécom sur le fondement de l'article R. 11.8 du code des postes et télécommunications et en demandant en outre à la Cour :

-  de débouter l'Autorité de l'ensemble de ses demandes ;

-  de dire que l'Autorité était pleinement compétente pour statuer sur le litige ;

-  de faire droit à ses demandes conservatoires et en conséquence d'ordonner immédiatement le rétablissement de l'accès au service du 08 36 68 09 60 ;

-  subsidiairement de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur la demande de renvoi de l'affaire devant l'Autorité ;

-  de condamner solidairement la société France Télécom et l'Autorité à lui payer la somme de 20 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le ministère public a présenté, à l'audience, des observations orales tendant également au rejet du recours.

SUR QUOI, LA COUR 

I - Sur la recevabilité des écritures de la société France Télécom

Considérant que selon l'article R. 11-8 du code des postes et télécommunications, les parties et l'Autorité de régulation des télécommunications ont la faculté de se faire assister par un avocat ou représenter par un avoué près la Cour d'appel de Paris ;

Considérant toutefois que ni l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications ni le décret du 19 mars 1997 relatif à la procédure devant la Cour n'exigeant un pouvoir spécial de l'avocat qui dépose une déclaration de recours ou un mémoire, il n'y a pas lieu d'écarter des débats le mémoire de la société France Télécom signé par son conseil.

II - Sur le recevabilité de " l'appel de la société COPPER COMMUNICATIONS conformément à l'article 99 du nouveau Code de procédure civile "

Considérant que, selon les dispositions du III et du IV de l'article 36-8 du code des postes et télécommunications, les décisions prises par l'Autorité de régulation des postes et télécommunications, en application des I et II du même article peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation, formé devant la cour d'appel de Paris ;

Que ces dispositions spécifiques excluent l'application des règles de procédure civile relatives à l'appel ;

Qu'il s'ensuit que " l'appel de la société COPPER COMMUNICATIONS conformément à l'article 99 du nouveau Code de procédure civile " est irrecevable, étant en outre observé que ne figure au dossier aucune déclaration d'appel ;

Que la Cour est en revanche régulièrement saisie du recours formé par la société COPPER COMMUNICATIONS au greffe de la Cour le 29 juillet 1998.

III - Sur la recevabilité des demandes et moyens invoqués par la requérante

Considérant qu'aux termes de l'article R. 11-3 du code des postes et télécommunications, relatif à la procédure suivie devant l'Autorité de régulation des télécommunications et devant la cour d'appel de Paris en cas de différend mentionné à l'article L. 36-8 du même code, " à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration de recours précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. L'exposé complet des moyens, doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration " ; qu'il en résulte que la société requérante est irrecevable à invoquer des moyens qui n'auraient pas été soulevés, au moins sommairement, dans sa déclaration de recours ;

Considérant que la société COPPER COMMUNICATIONS soutient pour la première fois, dans des " conclusions en appel " déposées le 26 août 1998, que le litige dont elle a saisi l'Autorité est manifestement de nature technique et financière, en s'appuyant sur une décision de l'Autorité de régulation des télécommunications n° 98-555 du 22 juillet 1998 ; qu'elle ajoute que France Télécom, par ses pratiques tarifaires, méconnaît les dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix ;

Qu'il s'agit là de moyens nouveaux qui n'ont pas été exposés, même sommairement, dans la déclaration de recours du 29 juillet 1998 et doivent en conséquence être déclarés irrecevables.

IV - Sur le fond

Considérant tout d'abord qu'il ne peut être reproché à l'Autorité d'avoir scindé sa saisine, en ne statuant, par la décision attaquée, que sur les demandes formées en application de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications, dès lorsque seules les demandes examinées relevaient, en cas de recours, de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Considérant ensuite que l'Autorité doit statuer, sur le fondement de l'article L. 36-8 ; sur les seules demandes qui lui sont présentées et qui délimitent le différend dont elle est saisie par l'une ou l'autre des parties, et après avoir mis celles-ci à même de présenter leurs observations, et non sur l'intégralité des questions que pourraient éventuellement soulever les faits portés à sa connaissance ;

Considérant, en l'espèce, qu'il résulte de la lecture de l'acte de saisine émanant de la société COPPER COMMUNICATIONS, en date du 27 mars 1998, ainsi que des écritures déposées par cette société dans le cadre de l'examen contradictoire du différend soumis à l'Autorité, que le litige dont celle-ci a été saisie ne se rattache pas à un problème d'accès aux services en ligne audiotel, au sens de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications mais tend seulement à remettre en cause les modalités de régulation de ces services, issues de l'application du décret du 25 février 1993 dont l'objet même était d'instituer une procédure permettant que des restrictions soient apportées au principe de la liberté des télécommunications dans le cas des services Télétel et services offerts sur les kiosques télématiques ou téléphoniques, en fonction de leur contenu, dès lors que celui-ci est de nature à porter atteinte à la protection de la jeunesse ;

Qu'en effet cette saisine soumet à l'Autorité le litige qui oppose la société COPPER

COMMUNICATIONS à la société France Télécom sur la validité des clauses contenues dans deux contrats Audiotel dont il n'est pas discuté qu'ils aient été établis conformément aux dispositions des articles D. 406-1 et suivants du code des postes et télécommunications, instituant le Conseil supérieur de la télématique et le Comité de la télématique anonyme, qui n'ont été ni écartées ni modifiées par la loi du 26 juillet 1996 créant une autorité de régulation des télécommunications ;

Or considérant que l'Autorité, qui agit dans le respect des dispositions du code des postes et télécommunications et de ses règlements d'application, ainsi que le rappelle l'article L. 36-6 de ce code, n'a été investie ni du pouvoir d'interprétation des lois et règlements ni de celui de contrôler la légalité d'un règlement dont l'objet a été précisément d'instituer un mécanisme de contrôle du contenu des services Télétel et services offerts sur les kiosques télématiques ou téléphoniques ;

Qu'elle n'a dès lors pas vocation à apprécier les clauses insérées dans des contrats en application du régime juridique d'exception prévu pour les services Audiotel ;

Qu'il s'ensuit que, sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs et sans dénaturer le litige dont

elle était saisie, l'Autorité s'est à juste titre déclarée incompétente pour trancher le litige dont la société COPPER COMMUNICATIONS l'avait saisie ;

Considérant enfin qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS 

Dit irrecevable l'appel prétendument formé par la société COPPER COMMUNICATIONS par application de l'article 99 du nouveau code de procédure civile, ainsi que le moyen d'annulation tiré de ce que le litige dont a été saisie l'Autorité était manifestement de nature technique et financière ;

Dit n'y avoir lieu d'écarter du dossier le mémoire émanant de la société France Télécom ; Rejette le recours formé par la société COPPER COMMUNICATIONS contre la décision de

l'Autorité de régulation des télécommunications n° 98-506 du 24 juin 1998 se prononçant sur un différend entre COPPER COMMUNICATIONS et France Télécom ;

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne la société requérante aux dépens.