CA Paris, 1re ch. H, 16 mars 1999, n° 1998/21422
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
To Com (SARL)
Défendeur :
France Télécom (SA), Art
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Conseillers :
M. Boval, Mme Bregeon
Avoué :
SCP Narrat-Peytavi
Avocats :
Me Billard-Sarrat, Me Michau, Me Lombard
Après avoir, à l'audience publique du 2 février 1999, entendu le conseil des parties, les observations de l'Autorité de régulation des Télécommunications et celles du Ministère public ;
Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l'appui du recours ;
La société TO COM a conclu avec la société FRANCE TELECOM quatre conventions d'accès à son réseau, dites « contrat audiotel à la durée » :
* l'une, en date du 10 février 1995, pour fournir un service « rien que des mecs », accessible par le numéro 08 36 67 39 39,
* deux autres, en date du 27 février 1995, pour fournir un service « 100 % mecs », accessible par le numéro 08 36 67 53 53, et un service « une femme avec une femme », accessible par le numéro 08 36 67 63 63,
* la dernière, en date du 23 mai 1997, pour fournir un service « entre hommes exclusivement » , accessible par le numéro 08 36 67 82 82.
Par lettres des 26 février, 16 mars et 14 avril 1998, la société FRANCE TELECOM a informé la société TO COM qu'elle saisissait le comité de la télématique anonyme, en application de l'article 5.1 du « contrat audiotel », afin d'obtenir son avis sur la résiliation de ces quatre conventions, au motif qu'il résultait des publicités relevées dans la presse que les services proposés étaient interdits sur l'accès télématique permettant d'y accéder.
C'est dans ces circonstances que, le 12 juin 1998, la société TO COM a saisi l'Autorité de régulation des télécommunications ( l'Autorité ), sur le fondement de l'article L 36-8 du Code des postes et télécommunications, aux fins de :
* ordonner le maintien provisoire de ses accès ou leur recâblage effectif, dans l'attente de la décision à intervenir sur la conformité de la procédure de saisine du comité de la télématique anonyme,
* ordonner la production par la société FRANCE TELECOM de la totalité des saisines du comité de la télématique anonyme intervenues pour les supports La Dépêche du Midi du 13 février 1998. Média 94 G n° 551 du 28 janvier 1998 et Paris Paname n° 934 du 2 février 1998, afin de constater qu'elle est victime de discriminations,
* dire que la société FRANCE TELECOM, en procédant aux saisines du comité de la télématique anonyme à son encontre, contrevient à son obligation d'égalité de traitement et d'accès à son réseau, au sens de l'article L 34-8 du Code des postes et télécommunications,
* dire que la procédure de saisine du comité de la télématique anonyme, pour publicité relative au contenu d'un accès, contrevient à l'obligation de neutralité contenue dans l'autorisation d'exploiter de la société FRANCE TELECOM, à raison des distinctions arbitraires ainsi opérées entre correspondances privées et communication audiovisuelle,
* contraindre la société FRANCE TELECOM à mettre ses conventions d'accès télématiques en conformité avec les obligations contenues dans son autorisation d'exploiter.
Postérieurement à la saisine de l'Autorité, le comité de la télématique anonyme s'est déclaré favorable à la résiliation par la société FRANCE TELECOM des quatre contrats en cause.
Par décision no 98-703 du 4 septembre 1998, l'Autorité de régulation des télécommunications a rejeté la demande présentée, comme étant portée devant une autorité incompétente pour en connaître.
La société TO COM a formé un recours tendant à la réformation de cette décision.
L'exposé sommaire de ses moyens est ainsi rédigé :
« * En se déclarant incompétente, l'Autorité agit par voie d'exceptions d'illégalité et d'irrecevabilité non prévues par les textes.
« * l'Autorité a dénaturé volontairement la nature de la demande de règlement du différend dont elle était saisie.
« * l'Autorité a omis (ou refusé) de se prononcer sur les conditions d'accès prévues à l'article L 34-8 soulevées devant elle, s'agissant d'un opérateur ayant une influence significative, inscrit sur la liste établie en application du 7° de L 36-7.
« * L'objet du différend porté à la connaissance de l'Autorité concernait des faits de discrimination, de la compétence de l'Autorité, relevée lors de la mise en oeuvre d'un contentieux déontologique pour lequel le comité déontologique s'était déclaré incompétent à en connaître.
Les conditions techniques et financières.
- étant donné son avis 98-556 du 8 juillet 1998 relatif à la création d'accès sélectifs fixes ou modulables pour Audiotel et Télétel.
- étant donné l'absence de qualification des messages, et leur mode de transport, par l'Autorité.
- étant donné la publication le 8 août 1998 de son avis 98-556 relatif à la fourniture et au coût de l'accès sélectif modulable Audiotel.
L'Autorité s'est fautivement abstenue de satisfaire à son obligation légale de se prononcer sur les conditions dans lesquelles l'accès de la déclarante devait être assuré, octroyant ainsi à un opérateur, exerçant une influence significative sur un marché en situation de monopole, le droit d'imposer à ses fournisseurs un niveau élevé de charges d'accès à son réseau de nature à constituer ainsi un abus de position dominante, en toute impunité, quelles que soient les discriminations relevées dans ces circonstances. »
Dans l'exposé complet de ses moyens, la requérante précise que sa demande principale concernait la conformité de la procédure de saisine du comité de la télématique anonyme et, qu'à titre accessoire, elle demandait la poursuite de l'exécution des conventions d'accès ou leur recâblage effectif dans l'éventualité des résiliations à intervenir.
Faisant grief à l'Autorité d'avoir accueilli sans fondement légal l’exception d'irrecevabilité soulevée par la société FRANCE TELECOM et retenu qu'elle était saisie d'un différend déontologique, la société TO COM soutient que le litige concerne les conditions d'exécution de conventions d'accès à un réseau au sens des articles L 34-8-II dernier alinéa, L 34-8-III et L 36-8-I du Code des postes et télécommunications.
Elle expose qu'il appartenait à l'Autorité de faire application des sanctions prévues par l'article L 36-11 du même code et qu'elle était compétente pour examiner la « violation de contrats en cours d'exécution ». Elle ajoute que l'interprétation des publicités par la société FRANCE TELECOM contrevient à son obligation de neutralité ainsi qu'au principe d'équilibre régissant les relations entre opérateurs et fournisseurs de services prévus par l'article L 32-1-II du même code.
La société TO COM en déduit que l'Autorité avait l'obligation de se prononcer sur le maintien de ses accès. Elle prie en conséquence la Cour de faire droit à ses demandes initiales.
Appelée à faire valoir ses observations, la société FRANCE TELECOM expose que les conventions d'accès aux services "audiotel" sont soumises à un régime juridique d'exception fondé sur les articles D 406-1 à D 406-3 du code précité. Elle fait valoir que les litiges nés à l'occasion de l'exécution ou l'interprétation de ces contrats relèvent des juridictions de droit commun lorsqu'ils ne portent pas sur des dispositions d'ordre technique ou financier.
La société FRANCE TELECOM conclut, à titre principal, à la confirmation de la décision déférée.
A titre subsidiaire, elle prie la Cour de ne se prononcer que sur la compétence en cas d'infirmation et de renvoyer l'affaire à l'Autorité pour examen au fond.
En tout état de cause, la société FRANCE TELECOM sollicite la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'Autorité a déposé des observations écrites tendant également au rejet du recours.
Dans ses écritures en réplique, la société TO COM demande à la Cour de dire, qu'en l'absence de texte lui ouvrant un droit de saisine déontologique pour faits de discrimination à son égard, de la part de la société FRANCE TELECOM, la décision d'incompétence n'est pas fondée.
Le ministère public a présenté à l'audience des observations orales tendant au rejet du recours.
La société requérante a pu répliquer à l'ensemble des observations écrites et orales.
SUR CE LA COUR,
Considérant que la société requérante a visé l'article L 36-11 du Code des postes et télécommunications dans les observations écrites déposées au soutien de sa saisine ; que, toutefois, les décisions prises par l'Autorité sur ce fondement ne peuvent faire l'objet de recours que devant le Conseil d'Etat ;
Que la Cour n'a donc pas à se prononcer sur le moyen pris de l'omission ou du refus de l'Autorité de faire application de ce texte, étant observé au surplus que la société requérante précise, dans ses écritures du 17 décembre 1998, ne l'avoir mentionné qu'avec "valeur de simple rappel d'un pouvoir de contrôle" ;
Considérant qu'il résulte des articles L 36-8 et L 34-8 du Code des postes et télécommunications, qu'en cas de refus d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunications, l'Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l'une ou l'autre des parties ;
Qu’aux termes de l'article L 36-8, la décision de l'Autorité précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès spécial doivent être assurés ;
Que ces textes donnent ainsi compétence à l'Autorité en précisant la nature des contestations à trancher de sorte que celle-ci devait examiner si les demandes qui lui étaient soumises relevaient ou non de cette compétence d'attribution ;
Qu'il s'ensuit que la société requérante ne peut alléguer une absence de fondement légal ;
Considérant, en l'espèce, que la société requérante reconnaît dans les écritures déposées au soutien de son recours qu'elle a demandé à l'Autorité, à titre principal, d'apprécier la conformité de la saisine pour avis du comité de la télématique anonyme, émanant de la société FRANCE TELECOM sur le fondement de l'article 5.1 des contrats "audiotel", et, subsidiairement, d'ordonner la poursuite de l'exécution des conventions d'accès à son réseau ou leur recâblage effectif dans l'éventualité des résiliations à intervenir (cf page 2 de l'exposé complet de ses moyens) ;
Qu'elle a ainsi soumis à l'Autorité le litige l'opposant à la société FRANCE TELECOM sur la validité de clauses contenues dans des contrats "audiotel", établis conformément aux dispositions des articles D 406-1 et suivants du Code des postes et télécommunications instituant le conseil supérieur de la télématique ainsi que le comité de la télématique anonyme; que ces derniers textes, résultant du décret 93-274 du 25 février 1993, n'ont été ni abrogés ni modifiés par la loi du 26 juillet 1996 créant l'Autorité ;
Que, dès lors, le litige dont celle-ci a été saisie ne se rattache pas à un problème d'exécution de conventions d'accès à un réseau de télécommunications ou de discrimination, au sens des articles L 36-8 ou L 34-8 précités, mais tend seulement à remettre en cause les modalités de régulation des services télétel et services offerts sur les kiosques télématiques ou téléphoniques, issues de l'application du décret du 25 février 1993 dont l'objet même était d'instituer une procédure permettant que des restrictions soient apportées au principe de la liberté des télécommunications en fonction du contenu de ces services, lorsque celui-ci est de nature à porter atteinte à la protection de la jeunesse ;
Or considérant que l'Autorité n'a été investie ni du pouvoir d'interprétation des lois et règlements ni de celui de contrôler la légalité du règlement sus évoqué ; qu'elle n'a pas davantage vocation à apprécier les clauses insérées dans des contrats en application du régime juridique d'exception prévu pour les services en cause ;
Considérant qu'il s'ensuit que. sans méconnaître l'étendue de ses pouvoirs et sans dénaturer le litige dont elle était saisie. l'Autorité a estimé que celui-ci n'entre pas dans le champ d'application des articles L 36-8 ou L 34-8 du Code des postes et télécommunications ; qu'elle s'est, dès lors, à juste titre déclarée incompétente pour le trancher ;
Considérant que l'équité ne commande pas l'attribution de sommes au titre des frais non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours ;
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société requérante aux dépens.