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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 26 juin 2012, n° 11/18760

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Home Latin (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Delbes, M. Boyer

T. com. Paris, du 9 sept. 2011, n° 20110…

9 septembre 2011

La Sarl Le Home Latin exploite un hôtel situé <adresse>.

Son capital social, composé de 1 200 parts, est réparti entre plusieurs membres de la famille de son fondateur, M. Mahmoud H., aujourd'hui décédé, et M. Mustapha H. qui en détient 50 parts.

Depuis 1992, les deux co-gérants étaient M. Hacène H., d'une part, M. Mustapha H., d'autre part. Tous deux ont été révoqués lors d'une assemblée générale extraordinaire réunie le 26 novembre 2010.

Autorisé à assigner à bref délai, M. Mustapha H., qui invoque une révocation brutale et sans justes motifs, a fait assigner la société Le Home Latin devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 27 janvier 2011.

Par jugement en date du 9 septembre 2011, le tribunal a condamné la Sarl Le Home Latin à payer à M. Mustapha H. la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi du fait de sa révocation, et celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté M. H. du surplus de ses demandes, ordonné l'exécution provisoire sur la moitié de la somme allouée à titre de dommages et intérêts et condamné la société Le Home Latin aux dépens.

La société Le Home Latin a interjeté appel de cette décision selon déclaration du 10 octobre 2011.

Dans ses dernières conclusions signifiés le 27 avril 2012, elle demande la cour d'infirmer le jugement déféré, de constater l'existence de justes motifs, de constater que la rémunération annuelle de M. H. n'a pas été autorisée par la Sarl Le Home Latin, de dire et juger que la rémunération annuelle nette pour les années 2009 et 2010, déduction faite des intéressements, s'est élevée à 132 992, 45 euros soit 66 496,22 euros en net mensuel, que M. H. ne justifie ni d'une préjudice de carrière ni d'un préjudice moral, par conséquent et en tout état de cause, de constater le caractère manifestement excessif des dommages et intérêts octroyés, de déclarer M. H. mal fondé en son appel incident, et de le condamner au paiement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures du 26 avril 2012, M. Mustapha H. demande à la cour de débouter purement et simplement la société Le Home Latin de ses demandes, de confirmer le jugement déféré, de dire et juger qu'il a été révoqué sans juste motif et de façon particulièrement abusive, brutale, et attentatoire tant à son honneur qu'à son honorabilité professionnelle, de fixer à la somme de 300 000 euros le montant des dommages et intérêts devant lui être alloués en réparation de ses préjudices moral, de carrière et financier, de condamner la société Le Home Latin à lui payer la somme de 5 0000 euros à titre d'indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

SUR CE

Selon l'article L 223-25 du code de commerce, le gérant d'une société à responsabilité limitée est révocable à tout moment sur décision des associés, mais si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts.

La lettre, datée du 6 novembre 2010, de convocation des associés de la société Le Home Latin à une assemblée générale extraordinaire appelée à se prononcer sur la révocation des deux cogérants, dont Mme Ghania H. a pris l'initiative, était accompagnée d'un rapport signé par cette dernière faisant état de plusieurs griefs parmi lesquels une insuffisance de résultats, l'incompétence, la mésentente entre les deux cogérants, divers abus de biens sociaux, et le refus de remettre aux associés, tous résidant en Algérie, les documents et comptes sociaux, ce rapport indiquant en outre 'les dépassements et abus commis par les gérants sont tellement nombreux qu'il est difficile de les inventorier dans leur totalité'.

M. Mustapha H., désigné cogérant depuis 1992, a contesté la réalité de chacun de ces motifs.

Les premiers juges ont relevé :

- qu'aucune pièce n'était produite de nature à étayer le grief d'incompétence grave formulé à l'égard de qui avait exercé la cogérance depuis 18 ans,

- que la mésentente entre associés n'était pas davantage étayée, à l'exception d'une liste de tâches que M. Hacène H., l'autre co-gérant, reprochait à M. H. de ne pas accomplir alors qu'elles lui incombaient, établie en 2007, et qui n'était corroborée par aucune pièce plus récente,

- que la preuve d'un refus de communication aux associés qui en auraient fait la demande de documents sociaux n'était nullement rapportée,

- que les procès- verbaux d'assemblée générale pour les exercices 1997 à 2009 établissaient que la rémunération des deux cogérants avait été systématiquement approuvée par les associés,

- qu'aucune pièce n'établissait la réalité des abus de biens sociaux allégués,

- que le grief, formulé en première instance, d'abstention fautive pour n'avoir pas entrepris les travaux nécessaires d'entretien et de réparation, n'était pas établi, le constat d'huissier dressé de manière non contradictoire et postérieurement à la révocation des deux cogérants n'étant pas probant à cet égard, s'agissant 'd'un hôtel ancien, de catégorie moyenne et pratiquant des prix modestes pour le centre de Paris',

- que le soupçon pesant sur M. H. d'être régulièrement absent du siège social et d'exercer une autre fonction n'était nullement étayé,

- enfin que l'évolution à la baisse de l'activité du Home Latin en 2009 n'était pas anormale au regard de la crise et de la baisse de fréquentation touristique.

Pour solliciter l'infirmation du jugement, la société Le Home Latin n'invoque plus, en cause d'appel, que les 'dysfonctionnements, notamment financiers', constatés dans la comptabilité de l'hôtel en soulignant que, contrairement à ce qu'avaient précisé les premiers juges, l'assemblée générale du 24 juin 2010 avait refusé de donner quitus aux cogérants de l'exécution de leur mission pendant l'exercice écoulé, et refusé d'approuver le rapport de gestion sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2009.

Elle relève en particulier que l'exercice clos au 31 décembre 2008 générait un bénéfice de 64 896 euros alors que l'exercice suivant révélait une perte de 39 201 euros.

Elle ajoute enfin que la rémunération de M. H., que l'assemblée générale du 24 juin 2010, avait décidé de réduire de 25%, s'est élevée sur les onze premiers mois de l'année 2010 à la somme de 138 154,56 euros, soit une rémunération brute mensuelle de 12 560 euros, de sorte qu'elle ne correspond nullement à ce qui avait été décidé par l'assemblée des associés.

S'agissant de sa rémunération, M. H. justifie que cette dernière, approuvée par chacune des assemblées ordinaires, était composée d'un salaire fixe, d'une couverture sociale complémentaire et d'un intéressement au chiffre d'affaires, porté par la quatrième résolution de l'assemblée générale ordinaire du 25 juin 2008 de 1% à 3%.

Il fait valoir, sans réplique sur ce point, que la gérance a parfaitement appliqué la résolution adoptée lors de l'assemblée générale ordinaire du 24 juin 2010 qui a supprimé complètement la rémunération de M. Hacène H., l'autre cogérant, et, pour ce qui le concerne, réduit de 25% son seul 'salaire', sans affecter les autres composantes de la rémunération qui lui était servie. Ainsi la part fixe de sa rémunération a été réduite, à compter du 1er juillet, passant d'un brut mensuel de 7 610 euros à 5 707,50 euros.

Aussi le grief d'une rémunération excessive ou non conforme aux résolutions adoptées n'est-il pas fondé.

S'agissant des 'dysfonctionnements' allégués constatés dans la comptabilité, la société appelante se borne à invoquer la baisse d'activité de l'hôtel, qui a seule conduit l'assemblée générale du 24 juin 2010 à refuser d'approuver les comptes de l'exercice clos, lesquels faisaient apparaître une perte de 39 201 euros.

Mais la cour ne peut qu'observer après les premiers juges que cette baisse d'activité peut s'expliquer par la crise ayant affecté l'hôtellerie en Europe, sans qu'il en résulte de juste motif de révocation du gérant, faute de grief articulé qui serait fait à son égard, et que les exercices précédents, bénéficiaires, avaient autorisé la distribution de dividendes à hauteur d'une somme de 78 000 euros.

Il sera relevé enfin qu'en ayant alors distingué le cas de M. Hacène H., dont la rémunération a été purement et simplement supprimée, de celui de M. Mustapha H., dont seul le salaire a été réduit de 25%, les autres avantages dont il bénéficiait lui demeurant acquis, l'assemblée générale du 24 juin 2010 lui a maintenu sa confiance, sans qu'aucun des associés n'ait formulé de grief à son égard avant l'assemblée générale extraordinaire qui a été convoquée en vue de sa révocation, cinq mois plus tard.

Aussi le jugement déféré sera-t-il confirmé en ce qu'il a jugé la révocation prononcée sans juste motif.

S'agissant de l'évaluation du préjudice de M. H., il sera tenu compte de son ancienneté dans l'exercice de ses fonctions de gérant (18 ans), de son âge (56 ans), des possibilités de reclassement rendues difficiles par les pratiques du marché français de l'emploi, et de son niveau de rémunération (145 000 euros en rémunération annuelle brute pour 2009), lequel ne saurait cependant servir de référence à l'appréciation de son préjudice, dès lors que M. H. avait accepté une baisse de salaire de 25% sur l'exercice 2010 et que la baisse de chiffre d'affaires constatée sur l'exercice 2009 affectait nécessairement la part de sa rémunération au titre de l'intéressement.

Les conditions de la révocation de M. H., comme les circonstances brutales dans lesquelles, alors qu'il n'avait pas été avisé de cette décision, il a été empêché de pénétrer dans les locaux de l'hôtel par les nouveaux gérants dès le lendemain de l'assemblée générale extraordinaire, les forces de police ayant été appelées, établissent en outre la réalité d'un préjudice moral.

Compte tenu des faits de l'espèce et des pièces produites, il sera alloué à M. H., qui présente une demande globale d'indemnisation de son préjudice, une somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts, et le jugement déféré sera réformé sur ce point.

Les parties seront déboutées de leurs autres demandes.

La société Le Home Latin sera condamnée à payer à M. H. une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts,

Et statuant à nouveau de ce seul chef,

Condamne la société Le Home Latin à payer à M. Mustapha H. la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Le Home Latin à payer à M. Mustapha H. la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Le Home Latin aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.