CA Versailles, 13e ch., 17 novembre 2016, n° 15/08572
VERSAILLES
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
EXP Argentan (SARL)
Défendeur :
Selarl Mars (ès qual.), Yvra Maurepas (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Guillou, Mme Dubois-Stevant
Avocats :
Me Minault, Me Hoenige, Me Fournier-Latouraille
FAITS ET PROCÉDURE,
Par jugement en date du 26 mai 2015, le tribunal de commerce de Versailles a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Yvra Maurepas qui exploitait un fonds de commerce de restauration sous contrat de franchise à l'enseigne "la Pataterie". La SELARL Mars, prise en la personne de maître Samzun, a été désignée en qualité de liquidateur, et Y… en tant que juge-commissaire.
La société La Pataterie Holding a alors déposé une offre de reprise du fonds de commerce de la société Yvra Maurepas, offre prévoyant la possibilité d'une cession à un franchisé La Pataterie.
Par ordonnance en date du 6 juillet 2015 le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société Yvra Maurepas à la société La Pataterie Holding et ordonné l'inaliénabilité de ce fonds pour une durée de deux ans à compter de la délivrance du certificat de non-appel de cette ordonnance.
Par ordonnance du 3 septembre 2015, le juge commissaire a autorisé la substitution à la société La Pataterie Holding de la société Exp Argentan, dans les termes de l'ordonnance du 6 juillet 2015.
L'acte de cession du fonds à la société Exp Argentan a été régularisé entre cette société et la SELARL Mars ès-qualités le 27 octobre 2015.
Par requête du 9 novembre 2015, la société Exp Argentan a demandé au juge commissaire de lever la mesure d'inaliénabilité, afin qu'elle puisse aliéner et vendre ledit fonds de commerce à la SARL Bataka, franchisé.
Par ordonnance en date du 24 novembre 2015, le juge commissaire a constaté qu'il n'était plus compétent pour autoriser une substitution dans les droits de cette société Exp Argentan, désormais propriétaire du fonds.
La société Exp Argentan a interjeté appel de cette décision le 10 décembre 2015, et, par ses dernières conclusions du 3 août 2016, elle demande à la cour :
- de déclarer nulle l'ordonnance du juge-commissaire du 24 novembre 2015,
- de constater l'abus de droit du juge-commissaire prononçant l'inaliénabilité du fonds de commerce acquis par la SARL Exp Argentan dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL Yvra Maurepas,
- de prononcer la levée de la clause d'inaliénabilité du fonds de commerce acquis par la SARL Exp Argentan et de son inscription,
- d'autoriser la cession du fonds de commerce de la SARL Exp Argentan,
- de rejeter toutes les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner tout succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Patricia Minault agissant par Maître Patricia Minault et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Exp Argentan soutient que l'ordonnance du juge-commissaire est nulle au motif que celui-ci n'a pas statué sur sa demande, et que l'avis du ministère public n'a pas été demandé.
Dans ses dernières conclusions du 23 mars 2016, la SELARL Mars, prise en la personne de maître Samzun en qualité de liquidateur, conclut à la confirmation de la décision, et demande la condamnation de la société Exp Argentan à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans son avis du 28 juillet 2016, le ministère public demande l'annulation de l'ordonnance entreprise et de dire l'appel sans objet, en faisant valoir que seul l'article L.642-19 du code de commerce est applicable en l'espèce, s'agissant d'une cession d'un droit au bail ordonnée par le juge-commissaire dans le cadre d'une liquidation judiciaire, et non d'un plan de cession arrêté par le tribunal dans le cadre d'un redressement judiciaire, que le juge commissaire n'avait aucun pouvoir pour assortir l'autorisation de cession d'une clause d'inaliénabilité.
X…, intimé, régulièrement assigné par acte déposé à l'étude, n'a pas constitué avocat. La décision sera rendue par défaut.
L'affaire a été fixée au 26 septembre 2016 par ordonnance du 4 juillet 2016 et la clôture de l'instruction est intervenue le 8 août 2016.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Sur l'annulation de l'ordonnance du 24 novembre 2015 :
SUR CE,
Considérant que la société Exp Argentan soutient en premier lieu que l'ordonnance du 24 novembre 2015 est nulle puisqu'elle ne fait pas état de l'avis du ministère public pourtant obligatoire à peine de nullité en application de l'article L.642-10 al. 3 du code de commerce et que le juge-commissaire a statué sur en méconnaissance de l'article 5 du code de procédure civile en se prononçant sur une demande de substitution d'un cessionnaire à un autre dont il n'avait pas été saisi ;
Considérant que la SELARL MARS réplique que la société Exp Argentan confond l'inaliénabilité prononcée dans le cadre d'un plan de cession et l'inaliénabilité prononcée en l'espèce dans le cadre de la cession d'un fonds de commerce sur le fondement de l'article L 642-19 du code de commerce ;
Considérant que la cour n'est pas saisie de l'ordonnance du 6 juillet 2015 qui a, au visa des deux articles L 641-10 et L 642-19 du code de commerce, notamment autorisé la cession à la société La Pataterie Holding de fonds de commerce et du stock de l'EURL Yvra Maurepas et ordonné l'inaliénabilité du fonds de commerce pour une durée de deux ans à compter du certificat de non appel de l'ordonnance ; que cette ordonnance est irrévocable, comme n'ayant pas été frappée d'appel ; que le principe de l'autorité de la chose jugée est général et absolu et s'attache même aux décisions erronées, entachées d'excès de pouvoir, ou rendues par un juge n'ayant pas compétence pour le faire ; qu'elle appartient désormais à l'ordre juridique ;
Que la cour n'est pas davantage saisie d'un recours contre l'ordonnance du 3 septembre 2015 qui a autorisé la société La Pataterie Holding à se substituer la société Exp Argentan en qualité de cessionnaire du fonds ;
Considérant que seule est déférée à la cour l'ordonnance du 24 novembre 2015 qui a statué sur requête de la société Exp Argentan du 5 novembre 2015 ; que cette dernière a saisi le juge-commissaire d'une demande tendant à voir "en application des dispositions des articles L. 642-10, R. 642-17-1 du code de commerce autoriser la société Exp Argentan à aliéner" ; que le juge-commissaire, constatant que l'acte de cession du fonds à la société Exp Argentan avait été régularisé le 27 octobre 2015, s'est déclaré incompétent pour autoriser une substitution dans les droits de cette société désormais propriétaire du fonds ;
Considérant que le juge commissaire n'était pas saisi d'une demande de substitution dans les droits de la société Argentan mais d'une demande d'autorisation d'aliéner le fonds de commerce ; que le juge commissaire a analysé cette demande en une demande d'autorisation de substitution dans les droits de la société Exp Argentan, analyse que partage la SELARL Mars qui soutient que sous couvert de demande de levée de la mesure d'inaliénabilité, la société Exp Argentan demande en réalité à pouvoir substituer un troisième candidat dans ses droits de cessionnaire ;
Considérant que sans qu'il y ait lieu de trancher d'ores et déjà cette question il convient de relever d'une part que cette requalification opérée n'a pas été soumise aux parties pour être discutée et que d'autre part, comme le soutient la société Exp Argentan, la demande telle qu'elle l'avait formée supposait à peine de nullité qu'ait été recueilli un avis du ministère public qui aurait pu donner son avis sur la régularité de la procédure ; que l'ordonnance du 24 novembre 2015 doit donc être annulée ; que cette annulation n'étant pas prononcée en raison d'une irrégularité affectant la saisine du premier juge, la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, doit se prononcer sur le fond ;
Sur le fond :
Considérant que la société Exp Argentan rappelle que sa demande tend à la levée de l'inaliénabilité ordonnée ;
Considérant que la cession du fonds de commerce de l'EURL Yvra Maurepas a été ordonnée par le juge-commissaire qui n'est compétent qu'en cas de cession d'actifs ; que ces actifs comportaient le fonds de commerce exploité mais que la cession avait également pour effet, comme l'a souligné le juge commissaire, de priver d'effet les licenciements des 9 salariés, lesquels se sont trouvés soumis aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ; que cette cession qui n'est donc pas la cession d'un simple actif en liquidation judiciaire, mais bien d'une unité de production, a pourtant été ordonnée par le juge-commissaire en méconnaissance des dispositions légales alors que seul le tribunal de commerce avait pouvoir de le faire ; que le même juge l'a assortie d'une interdiction d'aliéner qui n'entrait pas plus dans ses pouvoirs ; que pourtant son ordonnance d'autorisation de la cession est définitive et a été exécutée ;
Considérant que cette ordonnance comportait une interdiction d'aliéner qui avait d'ailleurs été offerte par le candidat à la reprise, sous condition cependant, celui-ci ayant réservé l'hypothèse de l'aliénation à une personne morale ayant signé un contrat de franchise La Pataterie ; que cette mesure d'inaliénabilité a été définitivement prononcée pour deux années par le juge-commissaire, malgré son absence de pouvoir pour ce faire ; que n'ayant pas le pouvoir de la prononcer, le juge-commissaire n'a pas plus de pouvoir pour la lever ; que la cour statuant à sa suite n'a pas davantage ces pouvoirs ; que la demande de la société Exp Argentan doit donc être déclarée irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par défaut,
Annule l'ordonnance du juge commissaire du 24 novembre 2015,
Statuant en vertu de l'effet dévolutif de l'appel,
Déclare irrecevable la demande formée par la société Exp Argentan,
Condamne la société Exp Argentan à payer à la SELARL Mars ès qualités la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.