CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 20 septembre 2016, n° 16/11922
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Millenium Presse (SAS)
Défendeur :
Organisme Centre de Gestion et d'Etude AGS Ile-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hebert-Pageot
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, M. Bedouet
Par jugement du 17 décembre 2014, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la Sas 1633 ayant pour activité l'exploitation, la création et la publication de tous journaux et livres.
Suivant jugement du 6 janvier 2016, le tribunal a arrêté un plan de cession de la société en faveur de deux repreneurs, la société SNE 1633 d'une part, et la Sas Millenium Presse d'autre part, chacune pour une partie distincte des actifs. La cession arrêtée au profit de Millenium Presse pour un prix de 50.000 euros portait notamment sur le magazine 'Questions de femmes' et sur la reprise du contrat de travail des deux salariés permanents et des contrats de 15 pigistes, l'entrée en jouissance étant fixée au 7 janvier 2016. La Selarl Isabelle D., administrateur judiciaire, a été maintenue dans ses fonctions avec pour mission de passer tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession.
Sur signalement de Maître D. faisant part des manquements de la société Millenium Presse, le ministère public a saisi le tribunal de commerce d'une requête en résolution du plan arrêté au bénéfice de ce cessionnaire.
Par jugement du 19 mai 2016, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de cession de la Sas 1633 uniquement à l'égard de Millenium Presse, ainsi que celle des actes passés en exécution du plan, a dit que le prix payé par Millenium Presse restera acquis à la liquidation et que cette résolution ne peut affecter les contrats de travail cédés qui ont tous été rompus avant l'audience.
Millenium Presse a relevé appel de cette décision selon déclaration du 30 mai 2016.
Par conclusions signifiées le 17 août 2016, Millenium Presse demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter le ministère public de ses prétentions, de lui donner acte de ce qu'elle n'entend pas se soustraire à ses engagements, de ce qu'elle licencié à bon escient les deux salariés permanents, de ce qu'une instance prud'homale est en cours à l'initiative des deux salariés et de qu'elle a proposé par lettre recommandée aux 15 pigistes de travailler avec elle.
Dans ses écritures signifiées le 5 septembre 2016, la Scp BTSG, es qualités de liquidateur de la Sas 1633, demande à la cour de prendre acte des déclarations des salariés à l'audience du 26 avril 2016 s'engageant à ne pas diligenter de procédure à l'encontre de BTSG, es qualités, et de la société 1633, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, à défaut de réitération des déclarations des salariés, d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution partielle du plan de cession.
Par conclusions signifiées le 1er septembre 2016, Mmes L., B. et P., auxquelles se sont joints en qualité d'intervenants volontaires, Mmes D., L., F., C., Z., G., C., B., G. et G., ainsi que MM. P. et de la F., demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Millenium Presse à payer à chacun d'eux 1.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.
La Selarl Isabelle D. et associés, le Centre de gestion et d'études A.G.S d'Ile de France, M. B. et M.S. n'ont pas constitué avocat sur l'assignation qui leur a été délivrée.
Dans son avis du 5 septembre 2016, Mme la procureure générale a sollicité la confirmation du jugement entrepris.
SUR CE,
- Sur la résolution partielle du plan de cession
Pour prononcer la résolution partielle du plan de cession, le tribunal a retenu que Millenium Presse n'a pas respecté son engagement de reprise des salariés, la société cessionnaire ayant procédé au licenciement des deux salariés permanents et s'étant abstenue durant plus de trois mois de prendre attache avec les pigistes et de donner aux salariés repris les moyens d'accomplir leur travail.
Au soutien de son appel, Millenium Presse conteste tout manquement à ses engagements, exposant, d'une part, que le licenciement des deux salariés permanents n'est que la conséquence de leurs fautes graves, leur inertie ayant empêché la parution du magazine daté de février 2016 et reproche au jugement de s'être substitué au conseil des prud'hommes sur le défaut de mise à disposition des salariés des moyens d'accomplir leur travail, d'autre part, qu'elle a pris attache avec les pigistes repris auxquels elle réglera les sommes qui sont éventuellement dues, soulignant que l'administrateur judiciaire ne lui a pas transmis une liste à jour des adresses de ces pigistes. Elle ajoute avoir exposé des frais d'imprimerie importants à l'occasion de cette reprise qui mettraient en péril sa survie si la résolution était prononcée.
La Scp BTSG, es qualités, fait valoir qu'en ne fournissant aux salariés repris aucune directive, ni les moyens d'accomplir leurs prestations, le repreneur a manifestement manqué à ses obligations d'employeur.
Les salariés soutiennent que le cessionnaire n'a aucunement respecté le volet social de son offre, que les pigistes n'ont été contactés par Millenium Presse que 3 jours avant l'audience devant statuer sur la requête du ministère public et n'ont perçu aucune rémunération, ni indemnité de rupture, que les deux salariées titulaires d'un contrat de travail ont quant à elles vainement tenté après la cession de rencontrer leur nouvelle direction, que le magazine du mois de février n'a pu être réalisé en l'absence de trésorerie et qu'elles ont été licenciées dans le cadre d'une procédure et pour des fautes qu'elles contestent devant le conseil des prud'hommes.
Selon l'article L 642-11 alinéas 2 et 3 du code de commerce, si le cessionnaire n'exécute pas ses engagements, le tribunal peut à la demande notamment du ministère public prononcer la résolution du plan sans préjudice de dommages et intérêts. Le tribunal peut prononcer la résolution ou la résiliation des actes passés en exécution du plan résolu. Le prix payé par le cessionnaire reste acquis.
Il est constant que le volet social de l'offre de reprise comportait l'engagement de Millenium Presse de reprendre les contrats de travail de deux permanents, en l'occurrence Mmes L. et B., respectivement rédactrice en chef et adjointe de rédacteur en chef, avec le statut de cadres, et de 15 pigistes salariés, soit 17 personnes sur les 24 salariés que la société cédante employait jusqu'alors pour l'édition de la revue 'Questions de Femmes' (3 permanents et 21 pigistes).
Conformément à l'offre, le jugement a fixé la date d'entrée en jouissance au lendemain du jugement soit au 7 janvier 2016, étant précisé que Millenium Presse s'est engagé dans son offre, à compter de cette date, à assurer elle-même l'exploitation pour son compte et sous sa responsabilité sans attendre la signature de l'acte de cession.
Le volet social donnait toute sa valeur à l'offre arrêtée au profit de Millenium Presse, le prix d'acquisition étant par ailleurs modeste.
Or, plus de trois mois se sont écoulés à compter de l'entrée en jouissance avant que Millenium Presse ne contacte par lettre recommandée les pigistes repris, ainsi qu'en attestent les accusés de réception datés au plus tôt du 22 avril 2016, pour les informer de la cession intervenue, de la reprise de leurs contrats de piges et les inviter à se manifester dès que possible pour convenir d'un mode de fonctionnement, ces courriers ayant été adressés alors que le tribunal était saisi de la requête en résolution du plan de cession, ce que n'ignorait pas le cessionnaire.
Dans le rapport qu'elle adresse au ministère public, Maître D. fait pourtant état de la transmission des informations sociales utiles au dirigeant de Millenium Presse, en particulier de la liste nominative des 17 salariés repris, par mail du 8 janvier 2016.
Millenium Presse invoque vainement le fait que la liste des salariés transmise par l'administrateur judiciaire n'était pas à jour, dès lors qu'elle ne justifie aucunement de ses difficultés à ce titre et qu'il lui appartenait prioritairement dès l'arrêté du plan de cession, étant devenu le nouvel employeur du personnel repris conformément à l'article L 1224-1 du code du travail, de rechercher dans les meilleurs délais un contact avec les salariés pour mettre en place la nouvelle organisation et s'informer des sommes dues depuis la prise d'effet de la cession.
A la différence des pigistes, des échanges par courriels ont immédiatement eu lieu avec Mmes L. et B., ces échanges ayant très rapidement été suivis d'une procédure de licenciement, ces salariées ayant été convoquées à un entretien préalable, respectivement le 26 et le 27 janvier 2016 pour les 4 et 7 février suivants, puis licenciées pour faute grave aux motifs qu'elles n'avaient pas veillé à assurer la production du magazine daté de février devant être envoyé à l'imprimeur pour le 15 janvier 2016 et en ce qu'elle avait divulgué dans la presse des informations de type 'secrets industriels'.
Les contestations de ces licenciements sont actuellement pendantes devant le conseil des prud'hommes de Paris.
Indépendamment du débat sur la régularité de la procédure de licenciement et le bien-fondé de la décision prise par Millenium Presse, en sa qualité de nouvel employeur, qui relève de la compétence de la juridiction prud'homale, la cour observe au travers des courriels échangés avec la rédactrice en chef du magazine qui l'interrogeait sur son nouveau lieu de travail (le bail des anciens locaux n'ayant pas été repris)et émettait le souhait de rencontrer rapidement son nouvel employeur au regard notamment du magazine à paraître fin janvier, que Millenium Presse a demandé à Mme L. de remettre à son avocat le disque dur constitutif des archives de 'Questions de Femmes', estimant prématurée leur rencontre avant la signature définitive de l'acte de cession. Une telle réponse tendant à différer la première rencontre avec la rédactrice en chef, surprenante au regard de l'urgence alléguée dans la mise en oeuvre du numéro à paraître, constitue un manquement du repreneur aux obligations prévues dans l'offre, Millenium Presse s'étant engagée à assumer sous sa responsabilité l'exploitation à compter du lendemain du jugement arrêtant le plan et , ce sans attendre la signature de l'acte de cession, le repreneur s'étant manifestement davantage préoccupé de la parution du magazine que de la situation de ses salariés.
Force est de constater que le repreneur n'a pas mis en oeuvre le volet social dans les délais appropriés, bien qu'il ait été relancé par Maître D. le 15 janvier 2016 et que l'acte de cession ait été signé le 8 février 2016.
Ce manquement grave aux obligations nées du jugement arrêtant la cession justifie la résolution du plan à l'égard de Millenium Presse, le jugement étant confirmé de ce chef, le prix de cession restant acquis à la liquidation.
Le jugement sera également confirmé, en ce que faisant usage de la faculté offerte par l'article L 642-11 du code de commerce, le tribunal a dit que les contrats de travail transférés dans le cadre de la cession et rompus par Millenium Presse avant la résolution ne reviendront pas dans l'actif de la Sas 1633, à la différence des autres actes passés en exécution du plan.
- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Millenium Presse sera condamnée aux entiers dépens.
L'équité commande également de condamner Millenium Presse à payer aux salariés pris ensemble une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne la société Millenium Presse à payer à Mmes L., B., P., D., L., F., C., Z., G., C., B., G. et G., ainsi qu'à MM. P. et de la F., pris ensemble une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Millenium Presse aux entiers dépens.