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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 10 janvier 2018, n° 15/05747

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cassagne Electricité et Travaux Publics (SAS)

Défendeur :

Fergui (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belieres

Conseillers :

M. Blanque-Jean, M. Mazarin-Georgin

T. com. Toulouse, du 15 oct. 2015, n° 20…

15 octobre 2015

Exposé des faits et procédure

Suivant contrat du 31 décembre 2012 la Sas Fergui a entrepris des travaux d'extension et de réaménagement de l'Intermarché de Mane et a confié l'exécution des travaux d'électricité d'un montant de 277.101,81 € TTC à la Sarl Cave Touzanne qui les a sous traités à hauteur de 140.604,15 € à la Sas Cassagne Electricité et Travaux Publics (Cassagne) suivant déclaration de sous-traitance en date du 15 mai 2013 acceptée par le maître de l'ouvrage tout comme ses conditions de paiement.

Elle a réglé l'intégralité du prix du marché à l'entrepreneur principal qui a été placé en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulouse en date du 27 mai 2014, sans s'être acquitté de la facture de son sous-traitant, lequel a déclaré le 21 juillet 2014 sa créance à la procédure collective.

Par lettre recommandée en date du 22 mai 2014 la Sas Cassagne a mis en demeure la Sarl Cave Touzanne de lui régler la somme totale de 56.232,75 € représentant le solde des prestations réalisées et restées impayées.

Par acte d'huissier en date du 7 août 2014 la Sas Cassagne a fait assigner la Sas Fergui devant le tribunal de Commerce de Toulouse en paiement de la somme de 56 232,75 €.

Par jugement du 15 octobre 2015, cette juridiction a

- débouté le Sas Cassagne de l'ensemble de ses demandes

- condamné la Sas Cassagne à payer la Sas Fergui la somme de 800 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par acte du 2 décembre 2015, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées la Sas Cassagne a interjeté appel général de cette décision.

Moyens des parties

La Sas Cassagne dans ses dernières conclusions du 25 février 2016 demande de

- réformer le jugement

- condamner la Sas Fergui à lui régler les sommes de

56.232,75 € en principal outre intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2014

3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la Sas Fergui aux entiers dépens.

Elle fait valoir qu'en vertu de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 l'action directe en paiement subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation judiciaire mais qu'elle a pris acte de l'impossibilité de la mettre en oeuvre vis à vis de la Sas Fergui dès lors que cette dernière s'est acquittée dès le 21 mai 2014, soit avant la mise en demeure qu'elle lui a adressée le 22 mai 2014, du dernier règlement restant dû à l'entrepreneur principal après réception et levée des réserves.

Elle fait grief à la Sas Fergui d'avoir procédé au règlement complet de sa dette entre les mains de la Sarl Cave Touzane sans rechercher si l'entrepreneur principal avait mis en place une caution conformément à l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.

Elle recherche sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil pour n'avoir pas exercé son rôle de gardien de la régularité des contrats de sous-traitance et respecté son obligation de protection du sous-traitant, ce qui est source de préjudice pour elle en lien direct et certain avec la faute commise et qui correspond à la différence entre les sommes dues à titre contractuel et les sommes perçues dans le cadre de l'action directe.

Elle affirme, au visa de l'article 1275 du Code civil, que la Sarl Cave Touzane n'a jamais entendu décharger la Sas Fergui de son obligation de paiement, qu'elle a elle-même adressé ses factures à la Sarl Cave Touzanne, laquelle a envoyé ses propres factures à la Sas Fergui de sorte qu'aucune délégation de paiement n'a été mise en place en faveur du sous-traitant.

Elle souligne que l'action directe du sous-traitant à l'encontre du maître de l'ouvrage n'est inscrite dans aucune condition de délai, qu'il ne peut ainsi lui être reproché d'avoir patienté avant de l'exercer et d'avoir attendu vainement le règlement de ses factures par la Sarl Cave Touzanne ; elle fait remarquer que, quel que soit d'ailleurs le délai, si une caution avait existé, elle aurait été valablement mise en oeuvre puisqu'elle avait pour but de pallier la défaillance de l'entrepreneur principal de sorte qu'en présence d'une caution ses factures auraient été réglées.

Elle en déduit que la faute de la Sas Fergui, qui n'a pas exigé de la Sarl Cave Touzanne la fourniture d'une caution, est à l'origine de son propre préjudice, ce qui justifie sa réclamation.

La Sas Fergui dans ses dernières conclusions du 13 mars 2016 demande de

Vu les articles 13, 14 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, les articles 1134, 1156, 2314 du code civil

- débouter la Sas Cassagne de sa demande en paiement

- confirmer le jugement

- condamner la Sas Cassagne à lui payer une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens d'appel.

Elle fait valoir que l'article 13 de la loi du 31 décembre 1975 prévoit que l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire, que les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de réception de la copie de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal.

Elle indique que lorsque la Sas Cassagne lui a adressé le 22 mai 2014 une mise en demeure de paiement afin d'obtenir le règlement de la somme de 56.232,75 €, elle a répondu par lettre recommandée qu'elle avait réglé à la Sarl Cave Touzane les sommes dues pour les travaux effectués, qu'elle avait, de surcroît, réceptionné l'ouvrage le 15 mai 2014 et acquitté le solde de la facture de 6.542,64 € présentée le même jour par chèque du 21 mai 2014.

Elle conteste avoir engagé sa responsabilité civile délictuelle vis à vis de la Sas Cassagne.

Elle expose qu'une déclaration de sous-traitance a été signée le 3 avril 2013 et le 15 mai 2013 par le sous-traitant, l'entreprise principale et le maître de l'ouvrage, que ce contrat prévoyait en son paragraphe G un paiement direct par le maître d'ouvrage du sous-traitant dont le numéro de compte bancaire était d'ailleurs précisé à cette fin, qu'il y avait donc une délégation de paiement au sens de l'article 1275 du code civil qui dispensait l'entrepreneur principal de fournir une caution bancaire.

Elle en déduit qu'elle n'avait donc pas à entreprendre une quelconque démarche auprès de la Sarl Cave Touzanne pour qu'elle fournisse une caution bancaire à la Sas Cassagne.

Elle fait remarquer que ce sous-traitant n'a jamais mis en oeuvre la procédure de paiement direct et ne lui a jamais envoyé ses factures, ce qui relève de son seul fait.

Elle ajoute que le paiement direct s'analyse en une délégation imparfaite au sens de l'article 1275 du code civil, le sous-traitant n'ayant pas expressément déchargé son débiteur, l'entreprise principale, qui restait donc débitrice à son égard.

Elle souligne que la Sas Cassagne n'a fait jouer son droit d'action directe que tardivement, le 22 mai 2014, alors qu'elle avait elle-même réglé l'intégralité des sommes dues à l'entreprise principale, dont les travaux avaient été réceptionnés le 15 mai 2014 et qu'elle a ainsi rendu la caution inutile au regard des dispositions de l'article 2314 du code civil qui prévoient que la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait du créancier, s'opérer en faveur de la caution.

Elle en déduit qu'aucun lien de causalité n'est établi entre l'absence de mise en demeure du maître de l'ouvrage à l'entreprise principale de fournir caution et le préjudice invoqué.

Motifs de la décision

Sur l'action en paiement

L'intervention de la Sas Cassagne sur le chantier de la Sas Fergui est certaine et suffisamment établie par la signature d'un contrat écrit de sous traitance en date du 15 mai 2013 portant acceptation et agrément des conditions de paiement par le maître de l'ouvrage.

Il est constant que ce sous-traitant n'a pas reçu paiement des prestations réalisées pour l'exécution du contrat d'entreprise, objets des situations n° 3, 4 et 5 et factures litigieuses correspondantes n° 13-001131 du 23/07/2013 de 53.700,40 €, n°13-01553 du 15/ 10 /2013 de 7.955,79 €, n° 13-02016 du 12/12/2013 de 16.576,56 €, déduction faite de l'acompte de 22.000 € déjà réglé le 17/12/2013 par la Sarl Cave Touzanne.

Cette situation n'autorise pas pour autant la Sas Cassagne à agir en paiement directement à l'encontre de la Sas Fergui.

En effet, les obligations du maître de l'ouvrage sont circonscrites à ce qui reste dû à l'entrepreneur principal de sorte que la demande en paiement direct ne peut prospérer si, à la date de sa réception de la copie de la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal, le maître de l'ouvrage n'est plus redevable d'aucune somme envers cet entrepreneur.

Or, au vu des pièces versées aux débats, lorsque la Sas Cassagne a mis en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 mai 2014 la Sas Fergui de lui payer les factures de travaux dues par la Sarl Cave Touzanne qui avait fait l'objet le même jour d'une mise en demeure selon les mêmes formes, le maître de l'ouvrage avait déjà acquitté par chèque en date du 21 mai 2014 le solde du prix du marché soit 6.542,64 € suivant certificat de paiement 12B en date du 15 mai 2014, visé par le maître d'oeuvre, AEB Ingenierie, qui correspond à la dernière situation de travaux après réception de l'ouvrage selon procès-verbal du 15 avril 2014 assorti de réserves qui ont été levées le 15 mai 2014.

La Sas Cassagne reste, cependant, en droit de rechercher sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil en l'absence de tout lien contractuel entre eux, la responsabilité délictuelle du maître de l'ouvrage pour faute en vue d'obtenir réparation du préjudice subi.

Aucun manquement de la Sas Fergui à son obligation légale d'exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni caution n'est, cependant, caractérisé.

En effet, l'article 14-1 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1975 dispense l'entrepreneur d'obtenir la garantie d'une caution personnelle et solidaire lorsque le contrat de sous traitance contient délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, dans les termes de l'article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.

Tel est bien le cas en l'espèce, la clause G insérée au contrat de sous traitance du 15 mai 2013 prévoyant le paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage, ce qui vaut délégation.

Toutefois, la délégation reste imparfaite et n'opère point novation dès lors que le créancier n'a pas expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur.

En l'absence de clause particulière en ce sens, les obligations découlant du contrat de sous traitance et, en particulier, celle du paiement des travaux subsistent entre l'entrepreneur principal et le sous-traitant.

Le paiement direct n'a pas pour effet de dégager l'entrepreneur principal de son obligation contractuelle de paiement des travaux réalisés par le sous-traitant ; il ne fait pas disparaître le contrat de sous traitance et laisse au sous-traitant la faculté d'agir contre l'entrepreneur principal sans être contraint d'épuiser auparavant les voies de recours contre le maître de l'ouvrage.

Or, en cours de chantier la Sas Cassagne n'a pas sollicité le paiement de ses situations directement auprès du maître de l'ouvrage ; elle a préféré les présenter à son co-contractant, la Sarl Cave Touzane ; elle a utilisé la voie du paiement direct après la fin du chantier et tardivement, à une date où la Sas Fergui avait acquitté l'ensemble des situations de l'entrepreneur principal et était libérée de toutes ses obligations envers lui au titre du prix des travaux.

Au vu de l'ensemble de ces données, la réclamation de la Sas Cassagne vis à vis de la Sas Fergui ne peut prospérer.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être confirmées.

La Sas Cassagne qui succombe dans ses prétentions supportera les entiers dépens d'appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire application des dispositions de ce dernier texte au profit de la Sas Fergui en cause d'appel à hauteur de la somme de 800 €.

Par ces motifs

La Cour,

- Confirme le jugement.

Y ajoutant,

- Condamne la Sas Cassagne Electricité et Travaux Publics à payer à la Sas Fergui la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

- Déboute la Sas Cassagne Electricité et Travaux Publics de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés devant la cour.

- Condamne la Sas Cassagne Electricité et Travaux Publics aux entiers dépens d'appel.