CA Basse-Terre, 2e ch. civ., 29 février 2016, n° 14/01786
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Blondinière (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauty
Conseillers :
Mme Bolnet, Mme Gaudin
Avocat :
Me Lalanne
EXPOSE DU LITIGE
La SCA BLONDINIERE est une société familiale dont les statuts ont été établis par acte notarié en date du 30 décembre 1973 et était constituée par deux associés, Pierre B. et son épouse alors, Mme M. Hélène, associés à 50% chacun et gérants statutaires de la société pour une durée indéterminée.
Elle exploite un domaine agricole de plusieurs hectares plantés en bananeraie à CAPESTERRE BELLE EAU.
Les époux B./M. ont divorcé selon jugement du 23 mars 2000.
M. Pierre B. qui est décédé le 2 juin 2012 a légué à son petit-fils Christopher L. par testament ses parts sociales dans la SCA BLONDINIERE, soit 50% des parts de ladite société.
Mme M. Hélène, associée à 50 % des parts et gérante de la société, a cédé ses parts à son fils, Jean Louis B., dont certaines en nue-propriété, selon acte de donation en date du 22 mars 2013, enregistré régulièrement et signifié à la société.
Après avoir été autorisé à assigner à jour fixe, M. Christopher L. par acte en date du 17/01/13 a fait citer Mme Hélène M. ès qualités de gérante de la SCA BLONDINIERE aux fins de :
- constater la notification de l'acte de notoriété après décès de M. Pierre B. conformément aux dispositions des statuts de la SCA BLONDINIERE,
- désigner un Mandataire de Justice en qualité d'administrateur provisoire pour une durée de 6 mois,
- dire que l'administrateur devra convoquer une assemblée générale afin qu'il soit statué sur les comptes intermédiaires entre la date du décès de M. Pierre B. son grand père et détenteur de 50% des parts dans la SCA BLONDINIERE et la date de l'assemblée générale, proposer la nomination de M. Christopher L. en qualité de co gérant en remplacement de M. Pierre B. en exécution du legs qui lui a été consenti par ce dernier,
- dire que l'administrateur aura mission de gérer la SCA BLONDINIERE.
Par acte du 18 février 2013, M. Christopher L. a fait citer la SCA BLONDINIERE, puis par acte du 27 février 2013 a fait citer M. Jean Louis B. et Mme Dominique B. en intervention forcée afin que la jonction soit ordonnée et que le jugement à intervenir leur soit opposable.
Par jugement rendu le 20 juin 2013, le tribunal de grande instance de Basse Terre a invité les parties à s'expliquer sur la régularité des interventions forcées de tiers à la procédure à jour fixe suivant assignations délivrées en la forme ordinaire.
Par ordonnance du Président du tribunal de grande instance de Basse Terre rendue le 5 septembre 2013 l'autorisant à assigner à jour fixe M. Jean Louis B., Mme Dominique B. et la SCA BLONDINIERE représentée par sa gérante, Mme M. Hélène, M. Christopher L. a fait délivrer le 23 septembre 2013 aux précités une assignation à jour fixe pour l'audience du 10 octobre 2013 aux fins de faire constater la délivrance implicite de son legs particulier et subsidiairement d'ordonner la délivrance judiciaire du legs particulier.
Par ordonnance du 19 Décembre 2013, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des procédures.
Mme Marie Christine B. épouse L., mère de Christopher L., est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 25 septembre 2014, le tribunal de grande Instance de Basse Terre a':
- déclaré recevable l'intervention forcée de M. Jean Louis B., Mme Dominique B. et l'intervention volontaire de Mme Marie Christine B., héritiers de M. Pierre B. et leur a déclaré ledit jugement opposable,
- ordonné judiciairement la délivrance du legs constitué de 50% des parts de la SCA BLONDINIERE à M. Christopher L.,
- déclaré recevable l'action principale de M. Christopher L. tendant à la désignation d'un administrateur et rejeté la fin de non-recevoir invoquée par la SCA BLONDINIERE et Mme M.,
- désigné en qualité d'administrateur ad hoc de la SCA BLONDINIERE, Maître SEGARD, pour une durée de 6 mois, aux fins de procéder notamment aux formalités liées au décès du co gérant, convoquer une assemblée générale conformément aux statuts de ladite société ou remplacement du gérant par un gérant associé ou non, administrer ou gérer la société jusqu'à ce que ses organes lui permettent de fonctionner,
- dit que l'administrateur rendra compte au bout de 6 mois de sa mission au président du tribunal,
- fixé la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur à la somme de 2.000€,
- ordonné l'exécution provisoire de ladite décision.
Mme Hélène M., la SCA BLONDINIERE, M. Jean Louis B. et Mme Dominique B. ont interjeté appel dudit jugement selon déclaration reçue le 14 novembre 2014.
Dans leurs dernières conclusions du 19 octobre 2015, notifiées le même jour aux intimés, Mme Hélène M., la SCA BLONDINIERE, M. Jean Louis B. et Mme Dominique B. demandent à la cour d'infirmer ledit jugement en ce qu'il a ordonné la délivrance en nature du legs consenti à M. L. Christopher, statuant à nouveau de ce chef, d'ordonner la délivrance dudit legs en valeur et en conséquence, déclarer irrecevable M. Christopher L. en sa demande de nomination d'un administrateur provisoire, faute d'avoir la qualité d'associé de la SCA BLONDINIERE,
à titre subsidiaire, ils demandent à la cour de débouter M. C. de sa demande de nomination d'un administrateur provisoire et de réformer le jugement sur ce point, de condamner M. Christopher L. à leur payer à chacun une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui, ils font valoir que le jugement n'a pas pris en compte les moyens qu'ils avaient développés sur la délivrance du legs, au regard de l'article 1870 du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation, que le legs des parts sociales ne peut faire l'objet que d'une délivrance en valeur à M. Christopher L., légataire non héritier, car les statuts de la SCA BLONDINIERE n'autorisaient pas les associés à disposer de leurs parts sociales par voie testamentaire et qu'en vertu de l'alinéa 3 de l'article susvisé et de l'article 1870-1, les légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur’ ; qu'étant légataire particulier non héritier et ne pouvant prétendre à la qualité d'associé de la SCA BLONDINIERE en vertu de son legs, M. Christopher L. est irrecevable à solliciter la nomination d'un administrateur provisoire.
A cet égard, ils soutiennent que M. Christopher L. ne rapporte aucunement la preuve d'une défaillance de la gérance ni d'un péril imminent menaçant la société.
M. Christopher L., dans ses dernières conclusions du 21 septembre 2015, demande la confirmation du jugement déféré, le débouté des demandes de Mme Hélène M., la SCA BLONDINIERE, M. Jean Louis B. et Mme Dominique B. et à leur condamnation au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que la délivrance d'un legs particulier n'est assujettie à aucune forme particulière et peut être implicite, qu'elle résulte en l'espèce de l'acte de notoriété dressé et les actes postérieurs des héritiers, qu'en tout état de cause, la délivrance dudit legs doit être en nature en vertu de l'article 924-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 23 janvier 2006.
Il ajoute que l'article 11 des statuts de la SCA BLONDINIERE mentionne que la société continue avec les héritiers, le conjoint survivant mais aussi les ayants droits et qu'en tant que légataire particulier, il est ayant droit de son auteur associé 'décédé et peut exercer les actions attachées à sa qualité d'associé.
Subsidiairement, il souligne la nécessité de nommer un administrateur provisoire pour préserver les intérêts de la SCA BLONDINIERE, en raison de la gestion de fait de M. Jean Louis B. au mépris de ladite société et dans son seul intérêt propre et de l'incapacité de la gérante à assumer ses fonctions.
Mme Marie Christine B. épouse L., dans ses écritures en date du 16 février 2015, régulièrement notifiées aux appelants, conclut à la confirmation du jugement dont appel, au débouté des demandes de Mme Hélène M., la SCA BLONDINIERE, M. Jean Louis B. et Mme Dominique B. et à leur condamnation au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle consent à la délivrance judiciaire du legs à M. Christopher L..
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 décembre 2015.
MOTIFS
Sur la délivrance du legs
Attendu que le jugement déféré, ayant constaté que la délivrance du legs particulier de M. Christopher L. n'ayant pas eu lieu avant ladite procédure du fait de l'opposition de deux héritiers réservataires du de cujus, a statué sur la demande subsidiaire de délivrance judiciaire dudit legs formée par M. Christopher L. et a ordonné la délivrance dudit legs constitué des 50% des parts de la SCA BLONDINIERE à M. Christopher L., lui reconnaissant par voie de conséquence la qualité d'associé de ladite société’ ;
Que les appelants contestent ledit jugement en ce qu'il a ordonné la délivrance du legs en nature à M. Christopher L.’ ;
Qu'ils font valoir que ledit legs ne peut lui être délivré qu'en valeur, au regard des statuts de la SCA BLONDINIERE et des dispositions des articles 1870-3 et 1870-1 du code civil et que dans ce cas, M. C. n'ayant pas la qualité d'associé de ladite société, est irrecevable à solliciter la nomination d'un administrateur provisoire’ ;
Qu'il est constant et admis par les parties que M. Christopher L. est légataire particulier en vertu du testament de son grand père, M. B. Pierre mais qu'il ne cumule pas la qualité d'héritier de ce dernier, n'étant que le petit fils alors que sa propre mère, Mme B. Marie Christine épouse LIGNIERES est héritière réservataire’ ;
Que le légataire à titre particulier n'a pas la saisine et doit obtenir la délivrance de son legs pour être un successeur saisi et exercer les actions relatives aux biens légués’ ;
Que l'existence d'un acte de notoriété après décès mentionnant un legs à titre particulier ne vaut pas délivrance implicite et la délivrance d’un tel legs doit être faite aux héritiers réservataires ou judiciairement si ces derniers la refusent’ ;
Qu'en l'espèce, ainsi que l'a relevé le premier juge, il y a eu opposition de deux héritiers, M. Jean Louis B. et Mme B. Dominique, en revanche, Mme B. Marie Christine épouse
LIGNIERES était consentante à ladite délivrance’ ;
Que dès lors, la délivrance dudit legs doit être judiciairement ordonnée, à l'instar du jugement querellée’ ;
Que cependant, s'agissant d'un legs de parts sociales d'une société, se pose au cas d'espèce la possibilité de transmettre des parts sociales avec la qualité d'associé par voie testamentaire, en cas de décès d'un associé’ ;
Que l'article 1870 du code civil énonce’ :
« La société n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés' (...)
Il peut également être convenu que la société continuera soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l'autorisent, par disposition testamentaire’ » ‘ ;
Qu'en outre, l'article 1870-1 dudit code énonce’ :
« Les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur » ‘ ;
Que l'article 1870 du code civil laisse aux associés d'une société civile toute liberté pour organiser statutairement les conséquences du décès d'un associé, l'article 1870-1 ne prévoyant d'obligation légale de paiement de la valeur des parts sociales de l'associé décédé à ses héritiers ou légataires par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation que dans l'hypothèse où ils ne deviennent pas associés ;
Que les appelants soutiennent que les statuts de la SCA BLONDINIERE n'autorisent pas un associé à disposer de ses parts par testament et le legs n'a pas conféré automatiquement à M. Christopher L. la qualité d'associé, en l'absence d'agrément de l'associé survivant et que dès lors, il ne peut obtenir que la valeur desdites parts sociales, en vertu de l'article 1870-1 susvisé’ ;
Que l'article 11 &2 des statuts de la SCA BLONDINIERE prévoit la transmission par décès des parts sociales en ces termes’ :
« En cas de décès d'un associé, la société continue entre les associés survivants et les héritiers et ayants droit de l'associé décédé, et éventuellement, son conjoint survivant commun en biens, lesquels héritier ayants droit et conjoint survivant ne sont pas soumis à l'agrément des associés survivants’ ;
Lesdits héritiers, ayants droit et conjoint survivant, pour exercer les droits attachés aux parts d'intérêt de l'associé décédé, doivent justifier de leurs qualités héréditaires par la production de l'expédition d'un acte de notoriété ou d'un extrait d'intitulé d'inventaire... » ;
Que dès lors, ledit texte dispense d'agrément et confère la qualité d'associé aux héritiers, ayants droit d'un associé décédé qui justifient de leur qualité héréditaire’ ;
Qu'un légataire à titre particulier n'a pas la qualité d'héritier’ ;
Qu'un ayant droit d'un associé décédé s'entend au sens de successible, puisqu'il doit justifier de sa qualité héréditaire’ ;
Que le terme « ayants droit» doit s'entendre restrictivement de celui d'héritier ou venant aux droits
d'un héritier (par exemple par représentation d'un héritier prédécédé) mais ne saurait être élargi au légataire à titre particulier, non mentionné dans le texte, ce qui permettrait à un tiers non héritier de devenir associé de la société sans l'agrément des associés survivants, interprétation allant à l'encontre de la volonté des associés fondateurs lesquels ont entendu restreindre la possibilité de transmission des parts de leur vivant (&1 de l'article 11': soumise à l'agrément de la gérance) de même qu'à cause de mort;
Que M. Christopher L. ne peut soutenir utilement qu'il a la qualité d'associé automatiquement du fait de son legs de parts sociales de M. B. Pierre, associé décédé, alors que l'article 11 &2 des statuts de la SCA ne prévoient aucune possibilité de transmission testamentaire’ ;
Que c'est à tort que le jugement entrepris lui a reconnu la qualité d'associé et a ordonné la délivrance de son legs en nature’ ;
Qu'il y a lieu à réformation de ces chefs’ ;
Qu'en revanche, il résulte de ces textes, qu'en cas de refus d'agrément opposé par les autres associés (en l'espèce, Mme M. Hélène, gérante et son fils Jean Louis B. devenu associé) M. Christopher L., légataire de l'associé décédé, a droit à la valeur des parts sociales de son auteur, déterminée au jour du décès, laquelle doit être payée par les nouveaux titulaires de parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation’ ;
Qu'il convient donc, réformant le jugement, de dire et juger que le legs de parts sociales de M. Christopher L. ne peut lui être délivré qu'en valeur ;
Sur la nomination d'un administrateur provisoire
Que M. Christopher L. n'ayant pas la qualité d'associé de la SCA BLONDINIERE, est irrecevable à exercer les droits attachés à cette qualité et notamment, celui de demander la nomination d'un administrateur provisoire de ladite société’ ;
Que seuls les associés d'une société pouvant solliciter la nomination d'un administrateur ad hoc, M. Christopher L. est dépourvu de qualité à agir à cet effet et le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a déclaré recevable l'action principale de M. Christopher L. tendant à la désignation d'un administrateur et désigné en qualité d'administrateur ad hoc de la SCA BLONDINIERE, Maître SEGARD, pour une durée de 6 mois, aux fins de procéder notamment aux formalités liées au décès du co gérant, convoquer une assemblée générale conformément aux statuts de ladite société ou remplacement du gérant par un gérant associé ou non, administrer ou gérer la société jusqu'à ce que ses organes lui permettent de fonctionner’ ;
Qu'il sera mis fin à la mission de Maître SEGARD à compter du présent arrêt’ ;
Qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en la cause’ ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a’ :
- déclaré recevable l'intervention forcée de M. Jean Louis B., Mme Dominique B. et l'intervention volontaire de Mme Marie Christine B., héritiers de M. Pierre B. et leur a déclaré ledit jugement opposable,
- ordonné judiciairement la délivrance du legs constitué de 50% des parts de la SCA BLONDINIERE à M. Christopher L.
Réformant pour le surplus,
Dit et juge que M. Christopher L. n'a droit qu'à la valeur des parts sociales ainsi léguées, déterminée au jour du décès de M. Pierre B.’ ;
Dit et juge irrecevable M. Christopher L. en sa demande de nomination d'un administrateur provisoire de la SCA BLONDINIERE, M. L. n'ayant pas la qualité d'associé de ladite société’ ;
Met fin à la mission de Maître SEGARD, ès qualités, à compter du présent arrêt’ ;
Rejette toute autre demande,
Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens’ ;