Cass. 2e civ., 8 octobre 1986, n° 85-14.201
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Aubouin
Rapporteur :
M. Fusil
Avocat général :
M. Bouyssic
Avocats :
SCP Fortunet et Mattei-Dawance, Me Vuitton
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, qu'au cours d'une instance devant la chambre correctionnelle d'une Cour d'appel opposant, au sujet des intérêts civils, M. X..., victime d'un accident de la circulation, à M. Y..., assuré aux Assurances Générales de France (A.G.F.), reconnu partiellement responsable du dommage, un expert fut désigné en la personne du docteur Z... qui déposa un rapport mentionnant, par suite d'une erreur de dactylographie, une incapacité permanente partielle de la victime de 30 % au lieu de 3 % ; que la Cour d'appel, au vu de ce rapport, fixa l'indemnité qui fut versée par les A.G.F. ; que cette compagnie fut déboutée de sa demande en rectification d'erreur matérielle de l'arrêt ; qu'elle fit alors assigner le docteur Z... en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors que, selon le moyen, les rapports des experts, lorsqu'ils sont homologués par les juges, s'incorporent aux jugements et arrêts ; que, parties intégrantes de ces derniers, ils ne peuvent engager la responsabilité de leurs auteurs que dans les mêmes conditions où les jugements et arrêts pourraient engager la responsabilité des juges eux-mêmes, de sorte que l'homologation du rapport d'expertise de M. Z... faisait par elle-même obstacle à ce que la responsabilité de cet expert puisse être engagée à raison de l'exécution par les A.G.F. de cette décision de justice ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 1351 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'à défaut de toute disposition contraire, la responsabilité personnelle d'un expert judiciairement désigné, à raison de fautes commises dans l'accomplissement de sa mission, est engagée conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile ; qu'il en est ainsi même si le juge a suivi l'avis de l'expert dans l'ignorance de l'erreur dont son rapport, qui a influé sur la décision, était entaché ;
Et attendu que l'arrêt, hors de toute violation des textes visés au moyen, retient que malgré l'absence d'un chef de la décision de la juridiction pénale portant homologation expresse du rapport d'expertise, l'erreur contenue dans ce rapport a entraîné la surévaluation du préjudice de la victime et, par suite, l'augmentation de la charge de l'assureur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir condamné le docteur Z... à payer aux A.G.F. une certaine somme d'argent à titre de dommages-intérêts alors que, selon le moyen, les juges du fond devaient rechercher, ainsi qu'ils y étaient invités par les conclusions de M. Z..., si la responsabilité de celui-ci n'était pas supprimée, et en tous cas atténuée, par celle des A.G.F., et en particulier si cette compagnie, écartée " légalement " du procès pénal ayant opposé son assuré à la partie civile, n'avait pas, en fait, eu toute possibilité de connaître l'erreur matérielle contenue dans le rapport grâce au rapport de son propre expert, " qui avait suivi l'expertise judiciaire pour son compte ", et qui mentionnait le taux exact de l'I.P.P. retenue par M. Z..., ainsi que le relève l'arrêt attaqué, de sorte que les A.G.F. auraient eu toute possibilité, faisant preuve d'un minimum d'attention, de faire rectifier en temps voulu l'erreur matérielle contenue dans le rapport d'expertise et de faire conclure par leur assuré à sa non-homologation ; qu'en refusant d'admettre que les A.G.F. aient été en tout ou en partie responsables de leur préjudice, et en mettant celui-ci à la charge exclusive de M. Z..., les juges du fond ont violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve que la Cour d'appel, répondant aux conclusions, retient qu'il n'était pas établi que les A.G.F. aient eu la possibilité de déceler l'erreur dès lors qu'elles n'avaient pas eu personnellement accès à l'instance pénale, que le fait de détenir le rapport de l'expert qu'elles avaient elles-mêmes choisi pour leur assuré était à lui seul inopérant et qu'au surplus, la lecture du rapport du docteur Z... n'attirait pas nettement l'attention sur la discordance entre les considérations contenues dans le corps de ce rapport au sujet de l'incapacité de la victime et le taux d'incapacité chiffré dans le conclusif ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors que, selon le moyen, les A.G.F., ayant réglé aux lieu et place de leur assuré les condamnations prononcées à son encontre par l'arrêt ayant homologué ce rapport d'expertise, ne pouvaient prétendre obtenir de M. Z... une indemnité supérieure au préjudice que celui-ci avait pu leur causer directement par suite de son erreur matérielle ; que les juges du fond devaient, dès lors, déterminer avec précision quel chef de la condamnation prononcée contre M. Y... était imputable à cette erreur, faute de quoi leur arrêt ne procède pas à l'indemnisation du préjudice effectivement causé par M. Z..., et, dénué de base légale, viole l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que par motifs adoptés, la Cour d'appel, justifiant légalement sa décision et hors de toute violation du texte susvisé, a fixé le préjudice des A.G.F. en tenant compte de la différence entre l'indemnité versée par cet assureur et celle qu'il aurait versée si le taux exact d'incapacité avait été retenu ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.