Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-85.130
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Pers
Avocat général :
M. Cuny
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi pour de multiples faits de violences sur la personne de son épouse commis entre le 10 décembre 2009 et le 10 mars 2013 ; qu'une procédure de divorce a été introduite par celle-ci et qu'une ordonnance de non-conciliation est intervenue le 3 avril 2013 ; que le tribunal correctionnel est entré en voie de condamnation et a prononcé sur les intérêts civils ; que le prévenu et la partie civile ont interjeté appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § § 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire du code de procédure pénale et des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de violences volontaires sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint sur la personne de Mme C... et l'a, en répression, condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement, assortie du sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans ;
" alors que tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai et dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; que la prévention, qui vise de manière imprécise des « coups », des « gifles » le fait de « projeter des objets au visage », « bousculer tout en injuriant », ne pouvait servir de fondement aux poursuites ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, sur une prévention ne permettant pas à M. X... de connaître de manière détaillée la nature et la cause des accusations portées contre lui, la cour d'appel a méconnu le texte conventionnel susvisé " ;
Attendu que le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau en ce qu'il invoque, pour la première fois devant la Cour de cassation, la méconnaissance de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, et comme tel irrecevable ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 222-13 du code pénal, de la règle énoncée à l'article 205 du code de procédure civile et des articles 427, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de violences volontaires sans incapacité par un personne étant ou ayant été conjoint sur la personne de Mme C... et l'a condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve d'une durée de deux ans ;
" aux motifs que s'agissant de violences conjugales, compte tenu des versions divergentes des époux, il conviendra de rechercher si les actes dénoncés par l'épouse ont eu lieu en présence de témoins, au cours de la période poursuivie ; que courant août 2010, Mme C..., alors qu'elle se trouvait dans la résidence secondaire du couple à Saint-Clément-les-Baleines pour y effectuer des travaux de peinture, a été victime de la part de M. X..., insatisfait de l'avance de la rénovation, d'une bousculade qui l'a projetée contre une armoire ; que ces faits se sont déroulés en présence de l'une de ses amies, Mme Marie-Kattel D..., venue l'aider et que M. X... n'avait pas vue au début de l'altercation l'ayant opposé à sa femme ; que Mme D...lui avait conseillé de déposer plainte ; que M. X... a fait valoir ne jamais avoir eu l'intention de « bousculer volontairement » son épouse qui avait peut-être buté sur un objet au sol qui l'aurait déstabilisée ; que Mme C... expose également que le 19 mars 2010, son mari s'est jeté sur elle en furie, la plaquant contre le mur et lui tirant les cheveux ; qu'elle ajoute que les enfants se sont interposés pour la défendre, en se faisant également bousculer, qu'elle a été projetée au sol et s'est réfugiée dans les toilettes, en rampant, tout en recevant des coups ; que M. X... a prétendu que son épouse s'était mise à hurler, attirant les enfants dans la pièce, alors qu'il cherchait à récupérer le décodeur du téléviseur qu'elle tenait dans sa main, derrière elle en lui faisant face ; qu'un certificat médical établi le jour même par le docteur E..., après examen de la plaignante, relève une contusion au niveau du scalp en occipital sans plaie ni hématome ; que la jeune Charlotte C..., née le 6 mai 2006, a spontanément évoqué devant son institutrice, le 28 mars 2013, un événement survenu alors qu'elle avait 4 ans et au cours duquel « papa a pris maman par la veste, l'a tapée contre le mur. Je lui ai donné un coup de pied mais il m'a renvoyée dans l'autre mur. Ça m'a fait mal et mon petit frère criait » ; que la cour retiendra la déclaration de Charlotte compte-tenu de la précision, conforme aux déclarations de Mme C..., des termes qu'elle a employés étant précisé que Charlotte avait effectivement 4 ans à cette époque ; que Mme C... se plaint encore de violences et d'injures de la part de son mari qui, le 1er novembre 2012, au retour de vacances qu'il avait passées seul avec les enfants, avait constaté que son épouse en avait profité pour modifier la répartition du mobilier et ajouter un verrou à la porte de la chambre qu'elle voulait s'approprier et qu'il a alors « défoncée » ; que Mme C... expose qu'elle avait alors quitté le domicile pour la nuit et que le lendemain, de retour au domicile conjugal pour s'occuper des enfants, elle avait reçu de la part de son mari une gifle du revers de la main alors qu'il tentait de la faire sortir de la chambre dans laquelle elle s'était cloîtrée ; que M. X... a seulement reconnu s'être mis en colère, n'acceptant pas le fait que son épouse souhaite faire chambre à part ; que Mme C... a versé à l'appui de ses affirmations une photographie de la porte enfoncée de cette pièce ainsi qu'un certificat médical du docteur F..., daté du 5 novembre 2012, qui relève la présence d'une ecchymose au niveau de la lèvre inférieure droite de la partie civile ; que M. Guillaume X..., confirme que son père avait « ouvert la porte de la chambre de Caroline (...) en donnant un coup de pied dedans » ; que le 10 mars 2013, Mme Carine G...et M. Jean-Pierre H...ont vu Mme C... violemment poussée en arrière par son mari, alors que sur le seuil de la porte, elle se présentait, après la séparation de fait du couple, pour y rencontrer les enfants communs avec l'accord du mari ; qu'ils l'ont vue tomber au sol après avoir heurté un véhicule ; que M. X... a prétendu que son épouse avait fait exprès de tomber et qu'il ne l'avait pas poussée ; que cette scène a également eu pour témoin la petite Charlotte qui a déclaré à son institutrice : « papa a poussé maman contre la voiture, il a dit qu'elle avait fait cela toute seule, il a menti, c'était il y a pas longtemps » ; qu'un certificat médical du docteur I..., en date du 11 mars 2013, relevait concernant Mme C... : « une ecchymose en regard du grand trochanter de la cuisse droite sans hématome collecté, des dermabrasions centimétriques prérotuliennes droites, des douleurs à la palpation du poignet gauche avec dermabrasion en regard de la styloïde ulnaire gauche, des douleurs à la palpation de la tête du troisième métacarpe gauche, un décollement du bord libre du reliquat unguéal du pouce gauche » ; que Mme C... déclare également avoir été victime, le 27 janvier 2013, de nouvelles violences de son conjoint ; que cependant, M. Guillaume X..., présent sur les lieux, fournit une version contredisant les déclarations de la partie civile ; que de ce fait, la cour ne retiendra pas de violence à cette date ; qu'il apparaît encore que les violences physiques dont a été victime Mme C... se doublent de violences morales en ce que M. X... la traitait de « fainéante », lui criait dessus et multipliait les reproches à son encontre, selon Mmes Marie-Katel D...et Carine L..., qui exposent, également, avoir assisté à un repas de famille au cours duquel la belle-mère de Mme C... s'était montrée odieuse à son égard pendant toute la soirée sans aucune réaction du prévenu ; qu'il apparaît encore que dès le 4 mars 2013, c'est-à-dire avant même que l'ordonnance de non-conciliation n'ait été rendue, M. X... avait rassemblé les affaires de son épouse dans des cartons et des sacs-poubelle, lui signifiant ainsi qu'il s'était auto-attribué la jouissance du domicile conjugal ; que les événements survenus à la Toussaint 2012 apportent la démonstration que M. X... peut être capable de réactions violentes et d'autres témoins déclarent l'avoir vu, en d'autres circonstances, en colère « les yeux exorbités » ; que M. X... a également expliqué aux gendarmes, eu ce qui concerne les faits du 10 mars 2013, qu'il n'avait jamais donné à son épouse l'autorisation de venir à son domicile pour y chercher les enfants ; qu'alors que ces derniers lui rappelaient le contenu du message téléphonique, dans lequel ce dernier accordait à son épouse cette autorisation, il leur a fait la réponse suivante : « ce « oui » était un « oui » dans l'absolu dans la mesure où je considère qu'une mère puisse voir ses enfants mais ce n'était pas un « oui » pour qu'elle puisse venir chercher les enfants » que cette réponse démontre le peu de fiabilité des démonstrations du prévenu ; que ce dernier met encore en avant la grande fragilité de la santé mentale de son épouse « qui a notamment fait une tentative de suicide et qui a été hospitalisée pendant plusieurs semaines à Saujon (...) qui présente de sérieux troubles psychiatriques » qu'il a utilisé sa qualité de médecin traitant pour la faire hospitaliser en psychiatrie en mai 2011 ; que cette fragilité est invoquée uniquement par les praticiens en lien avec M. X... et par les parents de Mme C... avec lesquelles celle-ci entretient des relation difficiles ; qu'en revanche, les autres professionnels qui ont examiné Mme C..., sont d'un avis sensiblement différent ; que le compte rendu de séjour de Mme C..., établi le 9 juin 2011, par le docteur M..., psychiatre à Saujon, relève que l'acte de Mme C... était « manifestement à visée non suicidaire, que celle-ci est apparue tout à fait équilibrée au cours du séjour » ; que ce praticien ajoute que Mme C... « n'a présenté aucun trouble du comportement et est apparue très adaptée à la structure, (...) se présente par contre comme une petite fille craintive devant le diagnostic de son mari (...) qui la considère comme une borderline bipolaire (...). Je l'ai évidemment rassurée sur l'absence totale de lien avec un trouble de personnalité borderline puisqu'elle est à l'opposé même de ce type de diagnostic. (...) Elle ne présente d'ailleurs pas de traits d'immaturité » ; que le 8 mars 2013, le docteur M...a encore précisé qu'il n'existait pas de contre-indication à la possibilité pour Mme C... d'avoir la garde de ses enfants, et ce, contrairement à l'avis du prévenu ; que c'est notamment sur la base de ce certificat que le juge aux affaires familiales a fixé la résidence des mineurs au domicile maternel après avoir relevé les difficultés éprouvées par le prévenu « à maintenir la place de son épouse dans l'esprit de ses enfants » ; qu'un certificat médical du 26 mars 2013, établi par le docteur N..., médecin-psychiatre qui suit Mme C... depuis de nombreuses années, relève que Mme C... n'est atteinte d'aucune pathologie grave concernant sa spécialité ; qu'il ajoute qu'il n'était pas en accord avec le diagnostic posé par M. X... et que l'épouse de celui-ci ne souffrait pas de bipolarité ; qu'il expose qu'à la suite notamment de cette divergence de vue avec M. X... ce dernier s'était montré menaçant à son égard : « si je vous rencontre, je vous casserai la figure » ; que M. O..., maître de conférences à l'université de Poitiers, qui a encadré Mme C... lors de son stage en Master 2, entre le 21 mars et le 2 mai 201 1 puis du 19 septembre 2011 au 4 février 2012, évoque une étudiante persévérante, courageuse et adaptable au point qu'il lui a proposé, à l'issue de sa soutenance de mémoire, de participer à des travaux de recherche ; qu'aucun déséquilibre n'est évoqué par ce témoin ; que les éléments du dossier laissent encore apparaître que Mme C... a manifestement été la victime de violences conjugales survenues en dehors de la période de prévention puisqu'un voisin, M. Marc P...déclare l'avoir déjà vue « le visage tuméfié » ; que ce témoin précise encore « Jérôme était déjà comme cela avec sa première femme », ce que confirment les déclarations de cette dernière, dans le cadre d'une expertise psychologique alors qu'elle s'était plainte d'être moralement harcelée et d'être victime de violences conjugales ; que M. X... a effectivement fait l'objet, le 23 juillet 2002, d'un rappel à la loi pour violences sur son conjoint, l'intéressé précisant que celle-ci « cherchait à le pousser à bout » et le provoquait, reproche également formulé à rencontre de sa seconde épouse, Mme C... ; que Charlotte X... a également et manifestement assisté à des scènes de violence intra familiales puisqu'elle a déclaré à son institutrice, Mme Q... : « j'ai peur que papa se fâche contre maman et la tape (...) Je ne veux pas que papa fâche maman et tape de nouveau maman » ; que l'enfant a réitéré ses propos devant M. Pierre R..., directeur de l'école, qui l'a reçue en pleurs ; que Mme C... a été examinée par M. Daniel S..., expert psychologue, qui a relevé, dans son rapport du 2 mars 2013, qu'elle présentait un état de stress aigu contenu par des défenses adaptatives ; qu'il décrit une personnalité sujette à une névrose de caractère qui ne créait pas de déformation trop nette dans la réalité ou d'amputation trop toxique du narcissisme d'autrui ; qu'il note que le sujet faisait des efforts considérables pour garder un équilibre personnel et pour que la structure familiale tienne bon jusqu'à ce que soient instaurées des mesures judiciaires pour stabiliser le fonctionnement familial ; que l'examen n'a pas révélé de facteurs de nature à influencer les dires de la partie civile ; que l'expert relève encore un harcèlement financier source d'une altération du fonctionnement social et que le sujet tendait à se dépersonnaliser craignant, au moment de son hospitalisation, d'être atteint d'une maladie mentale, ce qui n'était pas le cas ; que l'expert expose encore que Mme C... vivait dans la peur et voulait protéger ses enfants ; qu'elle refusait de développer des conduites d'évitement, son combat pour ses enfants l'aidant à tenir ; qu'il a mis en évidence que Mme C... « se disqualifie et porte la culpabilité de la victime » ; qu'en conséquence, les violences reprochées au prévenu sont établies ;
" 1°) alors que la preuve est libre en matière répressive hors les cas où la loi en dispose autrement ; qu'il en est ainsi de l'interdiction du témoignage des descendants sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps ; que cette prohibition énoncée à l'article 205 du code de procédure civile n'est que l'expression d'un principe fondamental inspiré par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille, dont l'application ne saurait être limitée à la procédure civile ; qu'en se fondant sur les témoignages des enfants du couple X..., après avoir constaté qu'une procédure de divorce était en cours, la cour d'appel, qui a fondé sa conviction sur des éléments de preuve procédant de l'inobservation de la règle de droit susénoncée, n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que les violences morales supposent un acte volontaire provoquant une sérieuse émotion impliquant un choc ou un trouble psychologique ; que l'arrêt retient, au titre de violences morales, que M. X... traitait sa femme de fainéante et multipliait les reproches à son encontre, qu'il n'avait pas réagi lorsque, au cours d'un dîner, sa mère s'était montrée odieuse à l'égard de son épouse et qu'il était capable de réactions violentes ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs ne permettant pas de caractériser un acte volontaire de nature à causer un choc émotif à la victime, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que les juridictions répressives ne peuvent statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance de renvoi ou la citation qui les a saisies ; qu'en fondant sa décision sur des violences morales non visées à la prévention et sur des faits dont elle a expressément relevé qu'ils avaient été commis « en dehors de la période de prévention », la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue matérielle et temporelle de sa saisine, a violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de violences sur son épouse, la cour d'appel se fonde, outre sur des déclarations de tiers attestant de plusieurs épisodes de violences physiques et morales dont celle-ci a été victime, sur le témoignage des enfants du couple ainsi que sur des certificats médicaux ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les dispositions de l'article 205 du code de procédure civile, relatives au divorce, ne sont pas applicables devant la juridiction pénale en raison du principe de la liberté de la preuve, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui revient, pour le surplus, à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause dont ils étaient saisis, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.