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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 18 décembre 2014, n° 14/04555

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Occasion 2000 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franchi

Conseillers :

Mme Picard, Mme Rossi

TGI Paris, du 9 janv. 2014, n° 11/10163

9 janvier 2014

Par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 18 octobre 2004, la société Polytitan  dont l'activité était celle d'opérations commerciales, industrielles ou financières concernant les matières plastiques, et "la fabrication d'autres produits chimiques organiques de bases", a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire convertie le 18 juillet 2006 en liquidation judiciaire. Maître C. a été désigné ès qualités de liquidateur.

Le 18 novembre 2004, la scp C. L. H., commissaire-priseur, a établi un inventaire estimatif des éléments d'actifs mobiliers corporels de la société Polytitan.

Le 27 septembre 2006, la société Occasion 2000 s'est portée acquéreur de divers actifs de la société Polytitan dont cinq cuves pour le prix de 2.287,04 euros ttc. Elle n'a pu entrer en possession des cuves quatre d'entre elles devant faire l'objet d'une dépollution, et le 4 juin 2007, maître C. a proposé d'en restituer le prix. Le 13 juin suivant la société Occasion 2000 a refusé ce remboursement et a obtenu en référé suivant ordonnance du 8 décembre 2009 du président du tribunal de grande instance de Senlis la condamnation sous peine d'astreinte de la SCI Laboratoire Et Industrie, propriétaire des lieux, à lui remettre les cuves. Le 21 décembre 2010, la société Occasion 2000 a accepté l'annulation amiable de la vente et la restitution du prix.

C'est dans ce contexte que la société Occasion 2000 a assigné maître C. en réclamant à ce dernier pris en son nom personnel 30.000 euros de dommages et intérêts au motif qu'il aurait engagé sa responsabilité à son égard en offrant à la vente aux enchères des cuves dont il ne pouvait ignorer du fait des activités de la société Polytitan qu'elles contiendraient des substances nocives soumises à dépollution.

Dans un  jugement en date du 9 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Paris  a donné acte à la société Occasion 2000 de ce qu'elle renonçait à ses demandes formées à l'encontre de monsieur C., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Polytitan, a rejeté les demandes de la société Occasion 2000 à l'encontre de maître C. à titre personnel en considérant que le préjudice allégué n'était pas démontré, a donc dit sans objet le demande de garantie formée par ce dernier contre la scp C. L. H. et a condamné le mandataire au profit de celle-ci au paiement de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclaration au greffe en date du 28 février 2014, la société Occasion 2000 a interjeté appel de cette décision.

Dans des écritures notifiées par voie électronique le 18 septembre 2014, la société Occasion 2000 demande à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil , d'infirmer le jugement du 9 janvier 2014 en toutes ses dispositions ; dire que maître C. en ne s'assurant pas de la conformité des cuves mises en vente à la réglementation environnementale et en n'informant pas les acquéreurs de la présence de produits toxiques dans les cuves proposées à la vente a commis des fautes caractérisées qui engagent sa responsabilité ; condamner en conséquence maître C. à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices avec intérêts de droit à compter de la décision. Elle réclame 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Sur son préjudice, elle fait état de frais d'avocat, d'huissier, de déplacement et d'une perte de chance de réaliser une plus-value sur la revente du métal.

Dans des écritures notifiées par voie électronique le 22 septembre 2014, maître Didier C. pris en son nom personnel demande à la cour de confirmer le jugement attaqué et de débouter la société Occasion 2000 de l'ensemble de ses prétentions. Subsidiairement, il sollicite la garantie de la scp C. L. H. de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être mises à sa charge. Il réclame à la société Occasion 2000 et subsidiairement à la scp C. L. H. la somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Il fait valoir que la société Occasion 2000 lui impute à tort une responsabilité qui résulte selon lui de la seule faute de la scp C. L. H., commissaire-priseur, qui contrairement à lui connaissait la présence de produits toxiques et en avait nécessairement informé les acquéreurs. Il expose n'avoir quant à lui été destinataire que des informations erronées de la gérante de la société Polytitan. Il rappelle que le commissaire-priseur a effectué l'inventaire, la prisée et la vente des cuves et avait sollicité une société de dépollution préalablement à la vente. Il lui fait grief d'avoir mentionné à son inventaire "4 cuves de matières premières et de fuel" sans faire état d'une quelconque toxicité, attendant sept mois après la vente pour l'informer d'une difficulté liée à l'existence de produits chimiques.

Sur le lien de causalité, il fait valoir qu'il appartenait à la société Occasion 2000 d'interroger le commissaire-priseur sur le contenu des cuves qu'elle a vues sur place préalablement à la vente.

Sur le préjudice, il fait valoir que le prix a été intégralement restitué ; que l'éventualité d'une plus-value à la revente n'est pas établie ; que les factures de frais et honoraires ne sont pas détaillées et que leur lien avec le litige n'est pas démontré ou encore que lesdits frais et honoraires relèvent de l'application des dispositions des articles 700 et 699 du code de procédure civile. S'agissant des frais de déplacement, il oppose qu'aucun accord n'était intervenu entre les parties en raison des difficultés rencontrées.

Il fait valoir qu'il ne saurait lui être reproché de ne s'être pas acquitté du paiement des devis de dépollution dont le coût était très élevé au regard des disponibilités de la liquidation.

Dans des écritures notifiées par voie électronique le 16 octobre 2014 la scp A. C. D. L. et Laurent H. demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré sans objet la demande de garantie et a condamné maître C. à lui payer la somme de 1.000 euros pour ses frais irrépétibles. Elle conclut au mal fondé des demandes subsidiaires de ce dernier et lui réclame 5.000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'il appartenait au liquidateur se substituant à la société Polytitan de faire toute diligence et de ne pas lui donner instruction de vendre alors qu'il y avait des diligences préalables à accomplir pour s'assurer du contenu des cuves qu'il savait pleines. Elle souligne encore que ce contenu était sans réelle surprise du fait de l'activité de la société Polytitan.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 octobre 2014.

SUR CE,

Sur les demandes de la société Occasion 2000 formées à l'encontre de maître C. à titre personnel

- la faute reprochée

En présence d'une installation classée pour la protection de l'environnement, maître C. en sa qualité de liquidateur judiciaire était responsable aux lieu et place de la gérante de la société Polytitan du respect de la législation applicable. Pesait à ce titre sur lui l'obligation personnelle d'identifier les produits et déchets chimiques contenus dans les cuves et d'assurer la mise en oeuvre des mesures de dépollution imposées par la législation en vigueur.

Aussi ne pouvait-il pas offrir sans réserve à la vente des cuves dont il avait la charge d'assurer la dépollution. Dès lors, en laissant acquérir les dites cuves par la société Occasion 2000 il a engagé sa responsabilité civile personnelle à l'égard de cette dernière qui n'a pas pu entrer en possession des biens cédés. Maître C. ne saurait valablement prétendre que la société Occasion 2000 a acquis à ses risques et périls, alors en tout état de cause qu'il incombait au vendeur de faire procéder à la dépollution, il ne peut plus valablement se retrancher derrière les déclarations que lui auraient faites la gérante de la société liquidée sur le contenu des cuves qu'il lui appartenait de vérifier, ni davantage opposer les éventuels manquements du commissaire-priseur, restant pleinement tenu à l'égard de l'acquéreur d'assurer la délivrance du produit proposé à la vente.

Il convient en conséquence d'indemniser les préjudices de la société Occasion 2000 étant directement résultés de la faute personnelle du liquidateur judiciaire tenu à réparation intégrale.

- les préjudices résultant de la faute

Le prix de cession a été intégralement restitué à la société Occasion 2000.

La société Occasion 2000 réclame remboursement de frais de déplacement à hauteur de 2.213,08 euros. A ce titre, elle fait état du déplacement à deux reprises de deux de ses salariés avec un camion les 5 octobre 2006 et 4 août 2008 pour le coût de 2.000 euros en vue de l'enlèvement des cuves. Dans une télécopie du 4 août 2008, elle annonçait pourtant un déplacement à venir avec deux camions "pour début septembre". De plus et dans tous les cas, alors que la difficulté tenant au nettoyage des cuves n'était pas réglée, la société Occasion 2000 n'était pas fondée à engager des frais en vue de leur enlèvement. Reste le déplacement de deux salariés le jour de l'adjudication, la somme de 213 euros réclamée à ce titre sera allouée.

La société Occasion 2000 réclame également remboursement de frais d'avocat et d'huissier, cependant, elle n'est pas fondée à réclamer à maître C. paiement de frais engagés dans le cadre de la procédure de référé ayant donné lieu à l'ordonnance précitée du 8 octobre 2009 et à laquelle ce dernier n'était pas partie, alors de plus, qu'il ne pouvait être procédé à l'enlèvement des cuves avant leur dépollution, enlèvement auquel elle a finalement renoncé. Quant aux frais engagés au titre de la présente procédure, ils seront pris en compte du chef des frais irrépétibles ou des dépens, étant observé que lors de la première instance, la société Occasion 2000 a été déboutée de ses prétentions en l'absence de tout élément ou pièce justifiant de l'existence des préjudices allégués, et, dès lors, sans examen des fautes prétendues.

Enfin, la société Occasion 2000 fait état d'une perte de chance de réaliser des plus-values sur la revente des cuves. Elle prétend ainsi à une perte de 21.800 euros. Cependant, outre que la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, il ne peut qu'être constaté en l'espèce, que si le liquidateur n'avait pas été défaillant, les cuves n'auraient pas été offertes à la vente, puisque la trésorerie dont il disposait ne suffisait pas à la prise en charge du coût de dépollution. Dès lors, il n'existe pas de lien causal entre le préjudice prétendu et la faute du liquidateur judiciaire. En conséquence, et la société Occasion 2000 n'ayant pas soutenu que la cession litigieuse lui avait fait perdre une chance d'acquérir d'autres biens, elle sera déboutée de ce chef en l'absence de toute autre argumentation développée au soutien de la demande d'indemnisation.

Sur la demande de garantie

Il ressort de la télécopie du 23 septembre 2008, adressée à maître C. par l'acquéreur, que le commissaire-priseur - qui ne le conteste pas - avait indiqué lors de la vente que la mise à disposition des cuves se ferait rapidement, après leur dépollution.

Dans ces conditions, alors que le commissaire-priseur connaissait les obligations pesant sur le vendeur en matière de dépollution et qu'il ne prétend pas avoir été induit en erreur par le liquidateur judiciaire quant à l'avancement des démarches en découlant pour ce dernier, il convient de retenir que certes mandaté à cet effet, il a néanmoins commis une faute en organisant la vente sans délai et sans plus ample information. Cette faute, ainsi caractérisée, a pris part à la réalisation du préjudice de la société Occasion 2000 et fonde de condamner le commissaire-priseur à garantir maître C. à hauteur de la moitié des condamnations prononcées à son encontre au profit de l'acquéreur.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de confirmer la décision des premiers juges s'agissant des frais irrépétibles et des dépens, la société Occasion 2000 ayant été valablement déboutée de ses prétentions pour n'avoir pas alors établi la réalité d'un préjudice.

L'équité justifie de condamner maître C. au paiement de la somme de 2.000 euros à la société Occasion 2000 au titre de ses frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la scp A. C. D. L. et Laurent H. à la garantir de ce chef à hauteur de la moitié. Toutes autres demandes sur ce fondement étant rejetées.

Enfin, la solution retenue fonde de condamner in solidum monsieur Didier C. pris à titre personnel et la scp A. C. D. L. et Laurent H. aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu 9 janvier 2014 en ce qu'il a débouté la société Occasion 2000 de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de monsieur Didier C. à titre personnel, et le confirme sur les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;

Statuant à nouveau,

Condamne monsieur Didier C. à titre personnel à payer à la société Occasion 2000 les sommes de 213 euros à titre de dommages et intérêts et de 2.000 euros du chef des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la scp A. C. D. L. et Laurent H. à garantir monsieur Didier C. des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de la moitié ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne in solidum monsieur Didier C. à titre personnel et la scp A. C. D. L. et Laurent H. aux dépens avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la scp AFG, avocats.