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Décisions

Cass. com., 6 novembre 2012, n° 11-19.375

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Bordeaux, du 24 mars 2011

24 mars 2011

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 24 mars 2011), que se prévalant du brevet européen n ° EP 0682885 B2 délivré le 25 août 1999 sous priorité du brevet français FR 9406014 déposé le 10 mai 1994 pour un dispositif de fixation d'un casque de cycliste, la société Time sport international (société Time sport), après avoir fait procéder à une saisie contrefaçon de plusieurs casques dans un établissement appartenant à la société Temsa, exploité sous l'enseigne Intersport, a fait assigner en contrefaçon les sociétés Intersport France (société Intersport), centrale d'achat des magasins Intersport et fournisseur du casque "Nakamura", Ares Soreco, fournisseur du casque "selev", Comet, fournisseur du casque "GES", et Temsa ;

Sur la recevabilité du pourvoi incident, contestée par la société Time sport :

Attendu que la société Time sport soutient que ce pourvoi serait irrecevable aux motifs que le délai de deux mois était expiré à la date où la société Temsa a formé un pourvoi principal et que ce délai était lui-même expiré à la date à laquelle la société Intersport a rectifié son propre pourvoi ;

Mais attendu que l'arrêt ayant été signifié à la société Intersport le 14 avril 2011, il s'ensuit que le délai de pourvoi principal ouvert à cette société expirait le 14 juin suivant et que par voie de conséquence le pourvoi rectificatif déposé le même jour par cette société était recevable, peu important qu'à cette date le délai de pourvoi principal ouvert à la société Temsa fût expiré ; que le pourvoi incident relevé par la société Temsa le 12 décembre 2011, soit dans le délai de deux mois de la signification qui lui a été faite le 11 octobre 2011 du mémoire ampliatif, est donc recevable ;

Sur les premiers moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu que les sociétés Intersport et Temsa font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la partie française de la revendication 1 du brevet européen n° EP 0682885 B2, alors, selon le moyen :

1°/ que la cour d'appel a tout à la fois retenu, d'une part, sans que l'on sache précisément si elle se réfère à la modification apportée au brevet européen EP 0 682 885 B2 ou à la demande de brevet FR 94 06014, qu' « elle insiste à l'évidence sur la fonctionnalité du moyen breveté et non son résultat comme le soutient indûment la société Intersport France », d'autre part, approuvé l'analyse du tribunal, qui avait, quant à lui, considéré que la demande de brevet française antérieure comme la modification apportée au brevet européen se bornaient à décrire un résultat, et enfin, relevé que l'ajout apporté par la modification du brevet européen devrait s'analyser comme une simple description des effets obtenus par l'utilisation de l'invention, ce qui implique qu'il s'agirait de la simple description d'un résultat ; qu'en statuant ainsi, par des motifs ambigus ne permettant pas de savoir si elle a considéré que la modification de rédaction du brevet européen se bornait à décrire un résultat ou une fonction, et dans cette dernière hypothèse, que la fonction de traction nouvellement revendiquée par le brevet européen était déjà présente dans la demande de brevet français, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que la demande de brevet FR 94 06014, indiquant qu'«après mise en place sur le crâne de l'utilisateur, représenté en trait mixte, on constate que le patin d'appui occipital est en amont de l'axe 32 qui permet de bloquer le casque sur la partie correspondante de l'occiput évitant ainsi tout arrachement et limitant de façon très sensible les mouvements de bascule du casque », se bornait à indiquer le résultat obtenu après la mise en place du casque, à savoir le plaquage du patin occipital contre la partie occipitale basse sous l'occiput, mais ne décrivait nullement la fonction de traction exercée par la sangle occipitale ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré que la fonction de traction nouvellement revendiquée par le brevet européen ait déjà été présente dans la demande de brevet français FR 94 06014, elle a alors dénaturé celle-ci, en violation de l'article 1134 du code civil ;

3°/ qu'un brevet européen ne peut bénéficier de la priorité d'une demande antérieure qu'à la condition de porter sur la même invention que celle-ci ; que cela suppose que l'homme du métier puisse, en faisant appel à ses connaissances techniques générales, déduire l'objet des revendications du brevet européen de façon directe et non ambiguë, de la demande antérieure considérée comme un tout ; que tel n'est pas le cas lorsque la revendication du brevet européen comprend une caractéristique nouvelle qui n'était pas présente dans la demande antérieure ; qu'en l'espèce, la revendication 1 du brevet européen EP 0 682 885 B2, telle que maintenue après modification effectuée, en cours de procédure devant la chambre de recours de l'OEB, en vue d'obtenir la délivrance du brevet après une première décision de la division d'opposition de l'OEB qui avait révoqué le brevet, se distinguait de la demande de brevet FR 94 06014, dont la priorité était revendiquée, par l'ajout des termes « de manière que lors de l'encliquetage du moyen de liaison amovible (16), la sangle occipitale assure une traction sur le patin occipital qui se trouve plaqué contre la partie occipitale basse sous l'occiput sans aucune possibilité de retrait » ; qu'en retenant que cette caractéristique ne pouvait s'analyser qu'en une description des effets obtenus par l'utilisation de l'invention faisant l'objet de la demande antérieure de brevet FR 94 06014, qui indiquait dans sa description « après mise en place sur le crâne de l'utilisateur, représenté en trait mixte, on constate que le patin d'appui occipital est en amont de l'axe 32 qui permet de bloquer le casque sur la partie correspondante de l'occiput évitant ainsi tout arrachement et limitant de façon très sensible les mouvements de bascule du casque », cependant que cette demande de brevet antérieure se bornait à indiquer le résultat obtenu après la mise en place du casque, à savoir le plaquage du patin occipital contre la partie occipitale basse sous l'occiput, mais ne décrivait nullement la fonction nouvellement revendiquée de traction exercée par la sangle occipitale, qui ne ressortait ainsi pas de façon directe et non ambiguë de la demande antérieure considérée comme un tout, la cour d'appel a méconnu la portée du brevet européen EP 0 682 885 B2, en violation de l'article 69 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 ;

4°/ que pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à une décision rendue à l'occasion d'un autre litige, et n'ayant pas l'autorité de chose jugée ; qu'en retenant que si la chambre de recours de l'OEB avait validé le brevet européen EP 0 682 885 B2, dans sa forme modifiée, tout en lui conservant le bénéfice de la priorité du brevet français FR 94 06014, ce serait nécessairement en raison de leur stricte identité, la cour d'appel, qui s'est ainsi déterminée par voie de simple référence à une décision antérieure qui ne disposait d'aucune autorité de chose jugée entre les parties au présent litige, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que le seul fait que l'objet des revendications du brevet européen, délivré ou maintenu sous une forme modifiée, ne s'étende pas au-delà du contenu global de la demande de brevet européen déposée à l'origine ne suffit pas pour que la condition d'identité d'invention entre ce brevet européen et la demande nationale dont la priorité est revendiquée soit satisfaite ; qu'en retenant, en l'espèce, que les inventions couvertes par le brevet européen EP 0 682 885 B2 et la demande de brevet français FR 94 06014 seraient nécessairement identiques, dès lors qu'il avait été constaté par la chambre de recours de l'OEB que les caractéristiques ajoutées à la revendication 1 du brevet européen EP 0 682 885 B2 n'étaient pas de nature à étendre la protection au sens de l'article 123(2) de la Convention sur le brevet européen, la cour d'appel a violé les articles 87 et 123 de la Convention sur le brevet européen ;

Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, qu'à la suite de la décision de la chambre de recours de l'Office européen des brevets, a été ajoutée à la revendication 1 du brevet européen la mention "de manière que lors de l'encliquetage du moyen de liaison amovible, la sangle occipitale assure une traction sur le patin occipital qui se trouve plaqué contre la partie occipitale basse sous l'occiput sans aucune possibilité de retrait", alors que, dans la demande de brevet français, il était mentionné dans la description "qu'après mise en place sur le crâne de l'utilisateur, on constate que le patin d'appui occipital est en amont de l'axe 32 ce qui permet de bloquer le casque sur la partie correspondante de l'occiput, évitant ainsi tout arrachement et limitant de façon très sensible les mouvements de bascule de ce casque" ; qu'il en déduit que la modification de rédaction du brevet européen ne couvre pas une fonction nouvelle mais ne constitue qu'une description précise et détaillée des effets obtenus par la mise en oeuvre des caractéristiques de l'invention que l'homme du métier pouvait tirer directement de la description du brevet français ; que de ces constatations et appréciations la cour d'appel, qui ne s'est pas déterminée par référence à la décision rendue par la chambre de recours de l'Office européen des brevets, a pu, par des motifs dénués de tout caractère ambigu et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, déduire que le brevet européen recouvrait une invention identique à la demande de brevet français et pouvait bénéficier de la priorité de cette demande antérieure ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les seconds moyens du pourvoi principal et du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis :

Attendu que les sociétés Intersport et Temsa font grief à l'arrêt d'avoir retenu que le brevet européen n ° EP 0 682 885 B2 était contrefait et de les avoir condamnées à payer une certaine somme à titre provisionnel, alors, selon le moyen :

1°/ que dans leurs conclusions d'appel les société Intersport et Temsa faisaient valoir que les dispositifs incriminés ne reprenaient pas la caractéristique de la revendication 1 du brevet européen EP 0 682 885 B2, selon laquelle « lors de l'encliquetage du moyen de liaison amovible (16), la sangle occipitale assure une traction sur le patin occipital qui se trouve plaqué contre la partie occipitale basse sous l'occiput sans aucune possibilité de retrait » ; qu'en se bornant à constater l'existence de sangles arrières ou occipitales passant par le patin d'appui occipital, et à relever que ces sangles étaient fixées dans la partie supérieure arrière de la coque, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces sangles exerçaient bien une fonction de traction sur le patin lors de l'encliquetage du moyen de liaison amovible, comme l'exigeait cette revendication, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que deux moyens sont équivalents lorsque, bien qu'étant de forme différente, ils exercent la même fonction, en vue d'un résultat de même nature ; que la contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le brevet n'exerce pas une fonction connue ; qu'en retenant que les différences invoquées quant à la structure et au mode de fixation de la platine, au point de départ des sangles latérales et à l'unicité de la sangle ne constitueraient que des « différences de détail de mise en oeuvre de moyens qui demeurent toujours équivalents », sans s'expliquer sur la nature de la fonction exercée par les moyens mis en oeuvre dans les dispositifs litigieux, et sans constater que cette fonction serait nouvelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 613-2, L. 613-3 et L. 614-9 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que l'offre, la mise dans le commerce, l'utilisation, la détention en vue de l'utilisation ou la mise dans le commerce d'un produit contrefaisant n'engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause, ce qu'il appartient au demandeur à l'action en contrefaçon de prouver ; qu'en retenant que les sociétés Intersport et Temsa, en tant que vendeurs professionnels spécialisés dans les articles de sport, ne pouvaient invoquer leur ignorance ou considérer que la société Time Sport devait faire la preuve qu'elles avaient agi en connaissance de cause, sans constater que les sociétés Intersport et Temsa auraient engagé leur responsabilité pour des faits autres que la seule commercialisation des produits litigieux, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 9 du code de procédure civile, 1315 du code civil et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ qu'en se bornant à retenir qu'étant spécialisées dans le commerce d'articles de sport, les sociétés Intersport et Temsa ne pouvaient ignorer la teneur des produits qu'elles distribuent, et devaient s'assurer de la provenance de ceux-ci, sans constater que ces sociétés auraient eu connaissance de l'existence des droits revendiqués par la société Time sport sur le brevet européen EP 0 682 885 B2, ou du caractère contrefaisant des produits litigieux, la cour d'appel, qui s'est ainsi déterminée par des motifs impropres à établir que les sociétés Intersport et Temsa auraient commis les faits qui leur étaient reprochés en connaissance de cause, a violé l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ qu'en relevant que les sociétés Intersport et Temsa confiaient la fabrication de certains de leurs produits à des sous-traitants, sans constater précisément qu'elles auraient eu l'initiative de la fabrication des casques litigieux, et quand, en tout état de cause, la société Time sport n'incriminait aucun acte de fabrication à l'encontre de ces sociétés, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt, qui constate que, dans le brevet européen, la mention relative à la traction exercée par la sangle occipitale sur le patin occipital lors de l'encliquetage du moyen de liaison s'analyse comme une simple description du résultat obtenu par la mise en oeuvre de l'invention, relève, par motifs adoptés, que les casques incriminés comportent un dispositif de fixation occipitale en forme de patin solidarisé à la partie arrière du casque par une sangle articulée avec une liaison amovible à accrochage et décrochage rapides de telle sorte que la fixation se fait par un cliquetage unique avec un blocage au niveau occipital, interdisant le retrait du casque ; qu'il relève encore, par motifs propres et adoptés, que s'il existe quelques différences d'agencement quant à la forme du patin et à la présence d'une mollette destinée à ajuster plus précisément le patin sur l'occiput, celles-ci ne constituent que des adjonctions voire des améliorations qui ne constituent que des procédés de mise en oeuvre des moyens de l'invention ; que la cour d'appel, qui a déduit de ces constatations et appréciations que les casques incriminés reproduisaient les caractéristiques essentielles de la revendication 1 du brevet n° EP 0 682 885 B2, a pu, sans avoir à procéder à la recherche visée par les première et deuxième branches que ses constatations rendaient inopérante, statuer comme elle a fait ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que les sociétés Intersport et Temsa, spécialisées dans le commerce de sport, développaient des rayons consacrés au sport cycliste, qu'elles vendaient en masse des articles relevant de ce domaine et en confiaient même la fabrication à des sous-traitants au travers d'une centrale d'achat, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la troisième branche, statuer comme elle a fait ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

Condamne les sociétés Intersport France et Temsa aux dépens lesquels seront supportés par moitié par chacune d'elles ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne chacune à payer à la société Time sport international la somme de 2 500 euros ; rejette les demandes de la société Comet ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille douze.