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Décisions

Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-18.482

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme MOUILLARD

Rapporteur :

M. Sémériva

Paris, du 12 fév. 2016

12 février 2016

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 février 2016), que la société Hutchinson, propriétaire d’un fonds de commerce de fabrication d’objets en caoutchouc et notamment d’accessoires pour automobiles, exploité en location-gérance par la société Paulstra SNC (la société Paulstra), était propriétaire du brevet européen EP 0 6 910 481 couvrant des « perfectionnements aux bielles qui relient certains organes vibrants des véhicules aux caisses de ces véhicules » ; que la société Paulstra disposait d’une licence exclusive d’exploitation de ce brevet ; que ces deux sociétés ont agi en contrefaçon de ses revendications 1, 2, 4 et 5 contre la société Paul R. Industrie, devenue par la suite la société Steva Orléans, et la société CF Gomma Barre Thomas ; que cette dernière étant en redressement judiciaire, Mme G. et la SCP F.-G., respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers, ont été appelées en intervention forcée ; que la société CF Gomma Barre Thomas a fait l’objet d’un plan de cession au groupe Silver Point UKV ; que son fonds de commerce a ensuite été donné en location-gérance à la société Polymères Barre Thomas, devenue la société Cooper Standard France, qui a également été assignée en contrefaçon ; qu’un arrêt du 21 octobre 2011 a accueilli les demandes formées par les société Hutchinson et Paulstra, et ordonné une expertise afin d’être en mesure de statuer sur les préjudices ; que cet arrêt a été partiellement cassé, mais seulement en ce qu’il disait que les sociétés CF Gomma Barre Thomas et Cooper Standard France avaient commis des actes de contrefaçon des revendications 2, 4 et 5 du brevet en cause ; que le rapport d’expertise judiciaire ayant été déposé, la cour d’appel a statué sur l’indemnisation des actes de contrefaçon de la revendication 1 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés Hutchinson et Paulstra font grief à l’arrêt de rejeter une partie de leurs demandes indemnitaires alors, selon le moyen :

1°/ que, dans son dispositif, l’arrêt du 21 octobre 2011 a « dit que les bielles décrites dans les procès-verbaux des 23 et 24 mai et11 juillet 2005, 1er et 2 février 2007 ainsi que dans le rapport de calcul du 15 septembre 2006 et dans les mesures effectuées les 8 avril, 7 juillet, 28 août et 27 octobre 2010 » reproduisent les moyens de la revendication 1 du brevet EP 691 481 et « qu’en fabriquant, en détenant, en utilisant, en offrant, en mettant dans le commerce et en fournissant les moyens de mettre en oeuvre de telles bielles, notamment sur des moteurs de véhicules, les sociétés StevaOrléans et CF Gomma Barre Thomas ont commis des actes de contrefaçon de brevet à leur préjudice en application des articles L. 613-3, L. 613-4 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle » ; que cet arrêt a ainsi jugé que les sociétés StevaOrléans et CF Gomma Barre Thomas ont commis des actes de contrefaçon en fabriquant, utilisant, offrant, mettant dans le commerce et fournissant des moyens de mettre en oeuvre des bielles qui, telles celles décrites dans les documents susvisés, présentent une structure reproduisant les moyens de la revendication 1, sans limiter l’étendue de la masse contrefaisante aux seules références mentionnées dans les procès-verbaux, le rapport de calcul et les mesures effectuées susvisés ; que la cour d’appel, chargée d’évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon, restait saisie de la question de la détermination de l’étendue précise de cette masse contrefaisante ; qu’en retenant, au contraire, qu’il résulterait du dispositif de l’arrêt du 21 octobre 2011 que lamasse contrefaisante se limiterait aux seules quatre « premières références » spécifiquement visées dans les procès-verbaux des 23 et24 mai et 11 juillet 2005, 1er et 2 février 2007 ainsi que dans le rapport de calcul du 15 septembre 2006 et dans les mesures effectuées les 8 avril, 7 juillet, 28 août et 27 octobre 2010, la cour d’appel a méconnu la portée de l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt, en violation des articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

2°/ que l’autorité de chose jugée n’est attachée qu’à la contestation tranchée par le juge et ne dessaisit ce dernier que de cette seule contestation ; qu’à supposer même que l’arrêt du 21 octobre 2011 ait uniquement tranché la question du caractère contrefaisant des quatre « premières références » spécifiquement visées dans les procès-verbaux, le rapport de calcul et les mesures effectuées précités, l’autorité de chose jugée attachée à cet arrêt avait pour seul effet de dessaisir la cour d’appel de la contestation portant sur le caractère contrefaisant de ces quatre « premières références », et ne faisait pas obstacle à l’obligation pour elle de se prononcer sur la demande, formée par les sociétés Hutchinson et Paulstra dans le dispositif de leurs conclusions d’appel, tendant à voir inclure dans la masse contrefaisante les six « deuxièmes références » qui avaient été spontanément présentées par les sociétés Cooper Standard France et CF Gomma Barre Thomas, lors des opérations d’expertise, et qualifiées par ces deux sociétés, de bielles « identiques ou similaires portant des références différentes » de celles des quatre premières références ; qu’en estimant, au contraire, que l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 21 octobre 2011 lui interdirait de connaître d’une telle demande, la cour d’appel a violé les articles 480 et 481 du code de procédure civile ensemble l’article 1351 du code civil ;

Mais attendu que le produit contrefaisant est celui dont il est jugé qu’il réalise matériellement la contrefaçon en mettant en oeuvre, sans autorisation, les enseignements du brevet ; que la masse contrefaisante est constituée de l’ensemble des produits répondant à cette définition ; que, saisie de conclusions soutenant, non pas que les six références de bielles présentées en cours d’expertise caractérisaient aussi une contrefaçon, à l’instar des quatre modèles ayant fait l’objet de l’arrêt du 21 octobre 2011, mais que, mettant pareillement en oeuvre les enseignements du brevet, les bielles correspondantes feraient partie de la masse contrefaisante retenue par cet arrêt, c’est à juste raison que la cour d’appel a retenu que les sociétés Hutchinson et Paulstra n’étaient pas fondées à se prévaloir d’une masse excédant le périmètre défini par les quatre références ayant donné lieu à une déclaration judiciaire de contrefaçon ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen:

Attendu que les sociétés Hutchinson et Paulstra font le même grief à l’arrêt alors, selon le moyen, que le juge ne peut se fonder sur l’insuffisance des preuves fournies par le demandeur pour refuser d’évaluer le montant d’un préjudice dont il constate l’existence dans son principe ; que le titulaire d’un brevet qui n’exploite pas personnellement l’invention est en droit d’être indemnisé du préjudice économique que lui cause la contrefaçon, ne serait-ce qu’au titre des redevances qui lui auraient été dues si le contrefacteur lui avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte ; qu’en relevant, pour refuser d’accorder toute indemnisation à la société Hutchinson au titre de son préjudice économique, que cette société ne fournirait « aucun élément d’appréciation permettant à la cour de lui allouer, autrement que de manière hypothétique et arbitraire, une somme forfaitaire supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte » et « aucun élément sur les gains que lui aurait rapportés la licence du brevet », tout en ayant constaté que cette société, qui est titulaire du brevet en cause mais ne l’exploite pas elle-même, avait été victime d’actes de contrefaçon, la cour d’appel, qui s’est ainsi fondée sur l’insuffisance des preuves fournies par les parties pour refuser d’évaluer un préjudice dont l’existence s’inférait pourtant de ses propres constatations, a violé l’article 4 du code civil ;

Mais attendu qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; que l’arrêt relève que la société Hutchinson a donné en licence exclusive le brevet en cause à sa filiale, dans le cadre d’un contrat de location-gérance global lui assurant, en contrepartie, une rémunération financière globale dont une part non déterminable résultait de l’exploitation de l’invention, qu’elle soutenait que cette rémunération ne pouvait être dévoilée à des concurrents, du fait du secret des affaires et qu’elle justifiait son refus de fournir des renseignements sur ce point, lors des opérations d’expertise, en affirmant qu’il n’est pas « classique », du moins dans les relations entre breveté et licencié, de faire payer une telle « redevance contractuelle » entre sociétés du même groupe ; qu’il retient que les parties adverses lui opposaient à juste titre qu’elle s’était affranchie des règles de preuve et avait entendu échapper aux demandes réitérées de l’expert relatives au prix ou aux modalités de détermination de prix de la concession de licence à la société Paulstra et que la référence au contrat conclu avec la société Cooper Standard ne pouvait être tenue comme un standard des redevances pratiquées, dans la mesure où les circonstances, à savoir l’interdiction prononcée par l’arrêt du 21 octobre 2011 et la menace d’une rupture de stock face à ses partenaires commerciaux, n’avaient pu qu’influer sur la négociation de la redevance convenue ; qu’il constate en conséquence que la société Hutchinson ne fournit aucun élément sur les gains que lui aurait rapportés la licence de ce brevet, ni aucun élément d’appréciation permettant de lui allouer, autrement que de manière hypothétique et arbitraire, une somme forfaitaire « supérieure au montant des redevances ou droit qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte » ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu, sans refuser l’indemnisation d’un préjudice dont elle admettait le principe, retenir que l’existence même de ce préjudice n’était pas établie ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés Hutchinson et Paulstra font grief à l’arrêt de rejeter partiellement les demandes indemnitaires de la société Paulstra alors, selon le moyen,que dans leurs conclusions d’appel, elles faisaient valoir que c’était à tort que l’expert avait évalué le gain manqué de la société Paulstra sur la base du chiffre d’affaires réalisé par les contrefacteurs, et soulignaient que ce gain manqué devait être calculé en prenant en considération le prix de vente que la société Paulstrapratiquait elle-même sur ses propres bielles et dont elle justifiait ; qu’en retenant qu’il convenait, pour calculer le gain manqué, de se reporter aux tableaux synthétiques dressés par l’expert en pages 51 à 54 de son rapport, sans s’expliquer sur la contestation ainsi soulevée par la société Paulstra sur la méthode de calcul retenue par l’expert, la cour d’appel a entaché sa décision d’une insuffisance de motivation, en violation de l’article 455 du code de procédure civile :

Mais attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer sur le détail de l’argumentation des parties, a fixé les bases d’évaluation du préjudice ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Hutchinson et Paulstra SNC aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer à la société Steva Orléans la somme globale de 3 000 euros et à la société Cooper Standard France, à la société CF Gomma Barre Thomas, à Mme G., en sa qualité d’administrateur judiciaire et de commissaire à l’exécution du plan de la société CF Gomma Barre Thomas et à la SCP F.-G., prise en la personne de Mme G., en sa qualité de représentant des créanciers de la société CF Gomma Barre Thomas, la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille dix-huit.