CA Paris, 14e ch. B, 5 novembre 1999, n° 1999/11347
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
BTCS (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cuinat
Conseillers :
M. André, M. Valette
Avoués :
SCP D’Auriac-Guizard, Me Huyghe
Avocats :
Me Zerbib, Me Roberti
Mme X a relevé appel d’une ordonnance de référé rendue le 16 avril 1999 par le Président du Tribunal de Commerce de PARIS qui a dit n’y avoir lieu a référé sur sa demande d’expertise formée en application des dispositions de l’article 64-2 de la loi du 24 juillet 1966 et a mis les dépens à sa charge.
A l’appui de son appel, Mme X expose dans ses conclusions récapitulatives du 7 septembre 1999 qu’elle est associée minoritaire au sein de la société BTCS dont son fils, M. Y, est le gérant ;
Elle fait grief à celui-ci d’avoir conclu le 1er décembre 1997 un contrat de location-gérance du fonds de commerce de la société avec la SARL BONNETAIN THIERRY CONSEIL SERVICE INDUSTRIE (BTCS INDUSTRIE) dont il est l’associe majoritaire pour détenir la quasi intégralité des parts sociales de celle-ci, et ce, sans avoir sollicité l’autorisation de l’assemblée générale de la société BTCS conformément aux dispositions de l’article 50 de la loi du 24 juillet 1966.
Elle estime que la mise en location-gérance n’est sans doute destinée qu’à faire échapper progressivement l’actif de la société BTCS au profit d’une société tierce contrôlée par M. Y, et ce, à son seul préjudice en raison de ce qu’il lui est dû au litre de son compte-courant d’associé la somme de 787.767 F.
Elle fait état par ailleurs de ses craintes relatives au paiement par la société BTCS de frais ou de charges ne lui incombant pas, telle que la souscription d’un contrat d’abonnement auprès de la société FRANCE TELECOM pour l’ouverture d’une ligne téléphonique installée à VELLERON alors que la société BTCS ne dispose d’aucun établissement secondaire dans cette localité. Pour ces raisons, elle demande à la Cour :
- d’infirmer l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
- de designer tel expert qu’il plaira à la Cour avec mission :
. de se rendre au siège social de la société BTCS situé <adresse> ;
. de se faire remettre tous documents relatifs à la mise en location-gérance depuis le 1er décembre 1997 de la société BTCS au profit de la société BTCS INDUSTRIE ;
. de donner son avis sur la régularité de cette mise en location-gérance, notamment au regard de l’absence de toute convocation préalable de l’assemblée Générale, et des conventions règlementées par l'article 50 de la Loi du 24 juillet 1966 ;
. de donner son avis sur l’opportunité de cette mise en location-gérance eu égard au fonctionnement de la société BTCS, de sa comptabilité, de ses résultats, de ses perspectives d’avenir, et eu égard également aux demandes de remboursement de compte courant, notamment de la requérante, Mme X ;
. dire si cet acte de gestion permettra le remboursement des comptes courants d’associés ;
. dire si cette mise en location-gérance constituait un acte de gestion normal et de l’intérêt de la société BTCS, eu égard, en outre, à l’absence de tout recueillement préalable de l’avis des associes, et si, à terme, cet acte de gestion ne risque pas de mettre en péril la société ;
. de vérifier, d’une manière générale, I‘imputabilité des charges réglées par la société BTCS et la réalité des frais qu’elle a régies pour les années 1997 et 1998, et en particulier vérifier la régularité du contrat d’abonnement avec FRANCE TELECOM pour le numéro de ligne <n°>, pour une adresse d’installation située à VELLERON, <adresse>.
- de mettre les honoraires de la présente expertise a la charge de la société conformément aux dispositions de l’article 64-2 alinéa 3 de la loi du 24 juillet 1966, et en tant que de besoin, de condamner celle-ci a verser à I’appelante, Mme X, une somme provisionnelle 6gale au montant des frais d’expertise qu’il plaira a la Cour de fixer.
- de condamner la société BTCS k lui payer la somme de 5.000 F en vertu de 1’article 700 du NCPC, ainsi qu’aux dépens.
Dans ses dernières conclusions du 30 septembre 1999, la société BTCS, intimée, objecte que les opérations relevant de la compétence de I ‘assemblée des associes ne peuvent être assimilées a des actes de gestion et, de ce fait, n’entrent pas dans les prévisions des articles 226 et 64-2 de la loi du 24 juillet 1966 ; qu’il n’entre pas non plus dans les prévisions dudit article 64-2 de confier à un expert le soin d'établir un rapport de la gestion d’une société dans son ensemble ainsi que le demande à tort Mme X par la vérification “d’une manière générale de I‘imputabilité des charges réglées par la société BTCS et la réalité des frais qu’elle a régies pour les années 1997 et 1998.
Pour ces raisons, elle conclut à l’irrecevabilité des demandes de Mme X.
Subsidiairement, elle prétend que l’opération litigieuse n’est pas entachée d’irrégularité, ni contraire à l’intérêt social.
S’agissant de la souscription contestée d’un abonnement téléphonique à VELLERON, elle affirme que celui-ci a été en réalité contracté par la société BONNETAIN THIERRY CONSEIL SERVICE INDUSTRIE pour sa salariée. Elle demande dans ces conditions à la Coin de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Si la Cour estimait devoir accueillir la demande d’expertise, elle sollicite que soit rejetée la mission expertale proposée par Mme X et de mettre à sa charge le montant de la provision à valoir sur la rémunération de I ’expert. En tout état de cause, elle demande de condamner Mme X à lui payer la somme de 20.000 F sur le fondement de l’article 700 du NCPC, ainsi qu’aux entiers dépens.
SUR CE,
Considérant qu’il résulte des pièces versées aux débats que la SARL BTCS constituée le 1er mars 1981 a pour activité la distribution, la commercialisation de tons produits issus directement ou indirectement du verre, de la céramique, des métaux et des produits destines au broyage et du matériel de broyage, le conditionnement, l’emballage et la manutention, ainsi que la commercialisation d’articles de fantaisie et de parure, notamment les bijoux fantaisie, la maroquinerie, les foulards, les ventes au d6tail, en gros et demi-gros ;
que le capital social de la société, d’un montant de 50.000 F est divise en 500 parts sociales de valeur nominale de 100 F chacune et est réparti comme suit:
M. Y : 248 parts sociales
Mme X : 126 parts sociales
Indivision dépendant de la succession de
M. Z : 126 parts sociales
que M. Y en est le gérant désigné ;
qu’aux termes d’un acte sous-seing privé du 1er décembre 1997, la société BTCS, représentée par son gérant, a donné en location-gérance son fonds de commerce à la SARL BONNETAIN THIERRY CONSEIL INDUSTRIE, représentée par sa gérante Mlle W, pour une durée d’un an renouvelable d’année en année par tacite reconduction, moyennant un loyer annuel de 120.000 F HT.
Considérant que I’examen des procès-verbaux de I‘assemblée générale ordinaire annuelle établis les 26 février 1999 et 26 mars 1999, fait apparaitre que s’il a été débattu des raisons pour lesquelles il a été signe par le gérant un contrat de gérance, cette convention n’a pas été soumise à l’approbation de I‘assemblée ;
qu’il s’ensuit que la décision prise par M. Y, es qualités de gérant de la société BTCS, de conclure avec la société BONNETAIN THIERRY CONSEIL INDUSTRIE, constitue, en l’absence de tout vote de I‘assemblée générale des associés, un acte de gestion au sens de I’article 64-2 de la loi du 24 Juillet 1966 ;
Considérant que la mise en location-gérance de ce qui apparait comme constituant le principal actif de la société BTCS, au profit d’une autre société dont il est établi que M. Y détient 99 % des parts sociales présente un caractère suspect; que cette opération est de nature à faire craindre légitimement à Mme X un transfert indirect de l’actif de la société BTCS, d’autant que les documents produits par M. Y se révèlent insuffisants pour justifier l’opération ;
Considérant qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer I’ordonnance entreprise et statuant à nouveau, d’ordonner l’expertise de gestion sollicitée par Mme X, laquelle sera toutefois exclusivement limitée à l’opération litigieuse ci-dessus analysée ;
Qu’elle ne saurait être en effet étendue au problème général des charges de la société BTCS ;
Considérant qu’en application de l’article 64-2 de la loi du 24 Juillet 1966, les honoraires de l’expert désigne seront à la charge de la société BTCS ;
Considérant que la société BTCS qui succombe sur l’appel de Mme X doit être condamnée aux dépens et ne peut prétendre au bénéfice de l’article 700 du NCPC.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
Déclare Mme X recevable et bien fondée en son appel ;
En conséquence :
Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Désigne M. Robert GANDUR, demeurant 84 rue de Grenelle a 75007 PARIS en qualité d’expert, lequel aura pour mission :
. de recueillir les explications des parties ;
. de prendre connaissance de tous les documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission ;
. d’examiner la situation financière de la société BTCS avant la mise en location-gérance de son fonds de commerce ;
. de déterminer les incidences de la mise en location-gérance de son fonds de commerce sur la situation de la société BTCS ;
. de donner son avis sur le montant de la redevance versée par la société locataire-gérant;
. de rechercher si la mise en location-gérance du fonds de commerce de la société BTCS est de nature à créer un transfert indirect de son actif social;
. de fournir tous éléments permettant à la juridiction éventuellement compétente de déterminer si la mise en location-gérance du fonds de commerce de la société BIOS est contraire ou non à I ’intérêt social ;
. de répondre a toutes questions écrites des parties;
Dit que la société BTCS devra consigner au greffe de la Cour la somme de 25.000 F à valoir sur la rémunération de l’expert avant le 15 décembre 1999, faute de quoi la désignation de I ‘expert sera caduque ;
Dit que cette somme doit être versée au régisseur d’avances et de recettes de la Cour d’appel de PARIS, 34 quai des Orfevres 75055 PARIS Louvre SP ;
Dit que dans les 2 mois à compter de sa désignation, l’expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l’article 280 du NCPC, et qu’a défaut d’une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l’expert;
Dit que l’expert devra déposer son rapport au Greffe de la Cour dans le délai de 4 mois à compter de la date de la notification par le greffe du versement de la consignation ;
Désigne M. VALETTE, Conseiller, pour contrôler les opérations d’expertise ;
Dit que, pour toute correspondance ou demande de renseignement, l'Expert ou la partie intéressée devra s’adresser à M. Daniel BOULANGER, Greffier en Chef, Bureau des expertises, Cour d’appel de Paris, 34 quai des Orfevres, 75055 PARIS Louvres SP ;
Dit n’y avoir lieu a application de l’article 700 du NCPC ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société BTCS aux entiers dépens incluant les honoraires de l’expert avec le droit pour la SCP D’AURIAC-GUIZARD, Avoue, de les recouvrer directement dans les conditions de l’article 699 du NCPC.