CA Rennes, 3e ch. com., 20 septembre 2016, n° 15/05751
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Crédit Agricole du Morbihan, Caisse Régionale de Crédit (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme André, Mme Jeannesson
Avocats :
Me Durain, Me Guenno-Le Parc
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 24 avril 2013, le tribunal de commerce de Vannes a ouvert le redressement judiciaire de Mme X, immatriculée en 2011 au titre d'une activité artisanale de maçonnerie, procédure qu'il a converti en liquidation judiciaire le 24 juillet suivant, Me Y étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Les époux X avaient acquis le 20 juillet 2007, un immeuble sis à Locmaria-Grandchamp, 5 Clos de Talhouet, cadastré section ZI n° 111, financé par un prêt de 150 000 euros consenti par la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel du Morbihan (le Crédit agricole), prêt garanti par un privilège du prêteur de deniers et une hypothèque conventionnelle. Ils ont le 19 septembre 2008 fait publier une déclaration d'insaisissabilité de ce bien.
Saisi par la requête déposée le 13 avril 2015 par le Crédit agricole, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de Mme X a, par ordonnance du 7 juillet 2015, après avoir convoqué les époux X, accueilli la requête et ordonné la vente de l'immeuble à la barre du tribunal de grande instance de Vannes sur la mise à prix de 195 000 euros.
Mme X a relevé appel de cette ordonnance, demandant à la cour de l'infirmer, de rejeter la demande du Crédit agricole et de le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 1382 du code civil et de 5 000 euros également sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Crédit agricole conclut, vu les articles L.643-2, L.523-2 et L.526-12 du code de commerce, à la confirmation de l'ordonnance critiquée et à la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Mme X le 7 octobre 2015 et pour le Crédit agricole le 24 novembre 2015.
A l'audience, la cour a invité les parties à s'expliquer sur l'application à l'immeuble en cause des règles de la procédure collective et partant sur le pouvoir du juge-commissaire d'ordonner la vente du bien.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'ordonnance critiquée a été prise sur le fondement des articles :
- L. 642-18 du code de commerce selon lequel les ventes d'immeubles dépendant d'une procédure de liquidation judiciaire ont lieu conformément aux articles 2204 à 2212 du code civil, à l'exception des articles 2206 et 2211, sous réserve que ces dispositions ne soient pas contraires à celles du code de commerce, le juge-commissaire fixant la mise à prix et les conditions essentielles de la vente ;
- L. 643-2 du code de commerce selon lequel les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque et le Trésor public pour ses créances privilégiées peuvent, dès lors qu'ils ont déclaré leurs créances même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire.
Mme X oppose au Crédit agricole la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble qu'elle a fait publier postérieurement à l'octroi des prêts consentis par lui les 20 juillet 2007 et 1er juillet 2008.
Mais en application de l'article L.526-2 du code de commerce, cette déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits sont nés après sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. Or la créance hypothécaire et le second prêt invoqués par le Crédit agricole ont été consentis avant la publication de la déclaration d'insaisissabilité et n'ont pas été consentis à l'occasion de l'activité professionnelle entreprise le 1er mars 2011 par Mme X de sorte que le moyen n'est pas fondé.
L'appelante se prévaut également du fait qu'elle aurait exercé son activité sous forme de EIRL et qu'elle avait déclaré l'affectation de son patrimoine à hauteur de 500 euros. Cependant elle ne démontre pas avoir effectué les formalités rendant cette affectation opposable au Crédit agricole dont les droits sont antérieurs à cette affectation. Au demeurant, les créances invoquées par le Crédit agricole ne sont pas nées à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle de Mme X de sorte que la banque a pour gage général le patrimoine non affecté à cette activité. Ce moyen est donc également inopérant.
Cependant si un créancier, titulaire d'une sûreté réelle, à qui la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur en liquidation judiciaire est inopposable en application de l'art. L. 526-1 du code de commerce, peut faire procéder à sa vente sur saisie immobilière, il ne poursuit pas cette procédure d'exécution dans les conditions prévues par l'art. L. 643-2 du code de commerce, lequel concerne seulement le cas où un créancier se substitue au liquidateur n'ayant pas entrepris la liquidation des biens grevés dans les trois mois de la liquidation et non celui où le liquidateur est légalement empêché d'agir par une déclaration d'insaisissabilité qui lui est opposable. Il en résulte que ce créancier n'a pas à être autorisé par le juge-commissaire pour faire procéder à la saisie de l'immeuble qui n'est pas, en ce cas, une opération de liquidation judiciaire (Cf. Com. 5 avr. 2016, 14-24.640).
Il appartient donc au créancier d'agir selon les règles applicables en matière de saisie immobilière et non sur le fondement de l'autorisation que le juge-commissaire n'avait pas le pouvoir de lui accorder, l'immeuble ne dépendant pas de la liquidation judiciaire de Mme X. L'ordonnance sera en conséquence infirmée, le créancier hypothécaire devant procéder à la saisie immobilière de l'immeuble selon les règles de droit commun et non selon celles réglementées par l'article L.642-18 du code de commerce.
L'appelante succombant dans ses prétentions, sa demande accessoire ne peut qu'être rejetée.
L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile. Les dépens resteront à la charge de la débitrice qui échoue dans sa tentative de s'opposer à la saisie immobilière de l'immeuble.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Constate que l'immeuble appartenant à Mme X ne dépend pas de sa procédure de liquidation judiciaire de sorte que sa saisie est régie par les dispositions de droit commun de la procédure de saisie immobilière ;
En conséquence,
Infirme l'ordonnance rendue le 7 juillet 2015 par le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de Mme X ;
Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme X aux entiers dépens.