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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 1 décembre 2016, n° 14/08829

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Palau

Conseillers :

Mme Lauer, M. Bouchard

Avocats :

Me Lefevre, Me Grassaud

TGI Nanterre, 1re ch., du 6 nov. 2014, n…

6 novembre 2014

Par actes sous seing privé du 15 décembre 2009, Z… a fait donation à ses fils, Dominique et X…, de la nue-propriété de 2.498 parts sociales (soit 1.249 parts chacun), qu'il détenait en toute propriété, de la Sarl Electro Copernic, lui-même en conservant l'usufruit.

Le 15 décembre 2009, Messieurs Dominique et X… ont chacun rempli un formulaire Cerfa de déclaration de don manuel prévoyant que les droits de mutation seraient nuls.

Suivant proposition de rectification du 15 mai 2012, l'administration fiscale a estimé que la condition relative à la modification des statuts limitant les droits de l'usufruitier aux décisions concernant exclusivement l'affectation des bénéfices, requise pour l'exonération partielle prévue à l'article 787 B du code général des impôts, n'était pas remplie. Elle a réclamé à Messieurs Dominique et X… une somme de 26.389 euros chacun au titre des droits d'enregistrement.

Un avis de mise en recouvrement a été émis.

Par acte du 18 novembre 2013, Messieurs Dominique et X… ont fait assigner Z… devant le tribunal de grande instance de Nanterre, sur le fondement des dispositions des articles 931 et 1109 du code civil, aux fins en principal, de voir ordonner l'annulation des donations.

Par jugement du 6 novembre 2014, le tribunal a rejeté leurs demandes étant précisé que le défendeur n'a pas comparu.

Il a considéré que le formalisme imposé par les articles L 221-14 et L 223-14 du code de commerce, applicables, avait été respecté, qu'ils auraient pu prétendre à l'exonération des droits si les statuts avaient été modifiés et que l'erreur ne peut provenir de l'application des dispositions légales.

Par déclaration du 10 décembre 2014, Messieurs Dominique et X… ont interjeté appel.

Dans leurs dernières écritures en date du 9 mars 2015, Messieurs Dominique et X… sollicitent l'infirmation du jugement.

Ils demandent que les donations en date du 15 décembre 2009 soient jugées nulles et de nul effet, et que Z… soit condamné à payer à chacun d'eux la somme de 2.392 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Messieurs Dominique et X… exposent que leur père leur avait indiqué que l'opération était destinée à protéger la société de l'action d'éventuels créanciers et qu'ils ne seraient redevables d'aucune somme.

Ils rappellent l'article 931 du code civil et reconnaissent qu'il a été admis que les donations qui se caractérisent par la remise matérielle et réelle d'un bien meuble peuvent faire l'objet d'un don manuel et qu'il en est de même, nonobstant leur dématérialisation, des titres au porteur.

Ils affirment que cette exception n'a pas été étendue aux parts sociales de société, notamment de Sarl. Ils soulignent qu'à la différence de celles-ci, les actions sont fongibles et négociables et font état de la définition des titres financiers donnée par l'article L 211-1 II du code monétaire et financier et du principe de leur négociabilité.

Ils font valoir que les parts sociales se transmettent selon la procédure, plus lourde, de l'article L 221-14 du code de commerce ce que confirme l'article L 223-13 du même code.

Ils en concluent qu'il existe une différence de nature entre les actions et les parts sociales tenant notamment à la procédure de transmission et que c'est cette différence qui explique que la possibilité de dons manuels a été étendue aux actions.

Ils soutiennent que, dès lors, le «'don manuel’ » des parts sociales intervenu le 15 décembre 2009 est irrégulier, et donc nul, car non conforme à l'article 931 du code civil.

Ils reprochent au tribunal d'avoir considéré qu'en cas de donation de parts sociales, et non d'actions, l'écrit exigé par l'article L 221-14 du code de commerce pouvait être un acte sous seing privé malgré l'article 931 du code civil.

Surabondamment, ils invoquent un vice du consentement, leur accord ayant été subordonné à l'absence de paiement de droits. Ils soulignent que cette donation, limitée à la nue-propriété, ne leur rapporte rien du vivant du donateur.

Ces écritures ont été signifiées par huissier à la personne de Z….

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 septembre 2016.

Considérant que la cession des parts sociales d'une Sarl doit, selon l'article L 221-14 du code de commerce, être constatée par écrit'; que les articles L 221-14 et L 223-14 du code de commerce précisent les conditions de l'opposabilité de la cession à la société et aux tiers, à défaut d'une signification conforme à l'article 1690 du code civil, et la majorité requise pour céder ces parts à des étrangers à la société';

Considérant que la nature de l'écrit requis n'est pas précisée’ ;

Mais considérant que ces dispositions qui organisent les modalités de cession, à quelque titre que ce soit, des parts sociales d'une Sarl ne peuvent, en l'absence de toute énonciation contraire, déroger aux règles régissant les donations’ ;

Considérant que l'article 931 du code civil dispose que «'tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire’ », à peine de nullité';

Considérant que, par dérogation, les donations se caractérisant par une remise matérielle et réelle au donataire d'un bien meuble corporel peuvent faire l'objet d'un don manuel et échapper à ce formalisme’ ;

Considérant qu'il en est de même, nonobstant leur dématérialisation, des actions de sociétés’ ; que celles-ci sont des titres financiers négociables selon une procédure simplifiée';

Mais considérant qu'il s'agit en l'espèce de parts sociales de Sarl’ ; que l'article L 223-12 du code de commerce dispose que les parts sociales ne peuvent être représentées par des titres négociables'; 'qu'elles ne sont donc pas négociables';

Considérant qu'à la différence des actions, ces parts ne sont, ainsi, pas négociables selon une procédure simplifiée ; que les modalités de leur transmission sont prescrites par l'article L 221-14 précité’ ;

Considérant que, compte tenu de leur différence de nature, les modalités de transmission des parts sociales et des actions sont donc différentes’ ; que si la simple transmission des actions par un virement de compte à compte peut être assimilée à la «'tradition'» permettant l'existence d'un don manuel, le formalisme imposé pour la transmission des parts sociales de Sarl exclut toute «'tradition'» et donc tout don manuel de celles-ci';

Considérant que la donation entre vifs de parts sociales requiert dès lors, conformément à l'article 931 du code civil, un acte notarié’ ;

Considérant que la nullité sanctionnant la violation de cette disposition est d'ordre public';

Considérant qu'à défaut d'avoir été passées en la forme notariée, les donations litigieuses sont donc nulles’ ; que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions';

Considérant qu'en équité, les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées’ ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement

Statuant de nouveau de ses chefs :

Annule les donations en date du 15 décembre 2009 par lesquelles Z… a fait donation à Messieurs Dominique et X…, chacun, de la nue-propriété de 1.249 parts sociales de la société Electro Copernic,

Y ajoutant :

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Z… aux dépens de première instance et d'appel,

Autorise Maître Grassaud, avocat, à recouvrer directement à son encontre ceux des dépens qu'il a exposés sans avoir reçu provision.