CA Agen, 1re ch. civ., 12 juillet 2005, n° 03/01083
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cassagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brignol
Conseillers :
Mme Auber, M. Straudo
Avoué :
SCP Henri Tandonnet
Avocats :
SCP Nonnon - Faivre, SCP Prim-Geny
La société X... a été fondée le 1er janvier 1945 par Pierre X... et transformée en société anonyme le 18 avril 1974. Société familiale, elle compte parmi les associés Pierre X..., Ginette X... son épouse, Bertrand, Philippe et Marilyne, leurs enfants et d'autres personnes.
Sur fond de ce qui paraît être un conflit familial, Pierre X..., PDG de la SA X... et FILS a transmis :
- à Philippe X... le 3 septembre 2001, 1381 actions en pleine propriété et 570 actions en usufruit,
- à Isabelle X... 1 action.
Le 5 novembre 2001 à 9 h a été convoquée une Assemblée Générale qui devait notamment statuer sur la candidature d'Isabelle X... à un poste d'administration de la société.
Le même jour à 10 h, le Conseil d'Administration a désigné Philippe X... comme Président à la place de son père Pierre X....
Les 12, 14 et 15 juin 2002, Bertrand X... a fait assigner devant le tribunal de commerce d'AUCH la SA X... et FILS, Pierre X... et Isabelle X... pour :
- faire prononcer la nullité de la cession d'actions du 17 octobre 2001 intervenue entre Pierre X... et Isabelle X...,
- faire prononcer la nullité des décisions prises lors de l'Assemblée Générale Ordinaire du 5 novembre 2001,
- Faire prononcer la nullité en toutes ses résolutions, de la délibération du Conseil d'Administration du 5 novembre 2001,
- faire condamner solidairement Pierre X... et Isabelle X... à lui payer 3 000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le 2 juillet 2002, Ginette X... a fait assigner devant la même juridiction Philippe X... et Pierre X... pour :
- faire annuler la cession du 3 septembre 2001 de 1381 parts en pleine propriété pour une valeur de 552 400 F, consentie par Pierre X... au profit de Philippe X...,
- faire condamner solidairement Philippe X... et Pierre X... à lui payer 8 000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les défendeurs ont quant à eux soutenu la validité des cessions intervenues.
Par jugement du 23 mai 2003, la juridiction, après avoir ordonné la jonction des 2 actions, a considéré que la vente d'actions de Pierre X... à Philippe X... était conforme, tant sur le fond que sur la forme et ne pouvait être assimilée à une donation.
Elle a également considéré nulle la vente d'une action de Pierre X... à Isabelle X... pour non-respect de la clause d'agrément, valable la vente d'une action de Philippe X... à Isabelle X... et régulière l'Assemblée Générale Ordinaire du 5 novembre 2001 à 9 h.
Cette même décision a encore considéré comme dépourvu de valeur juridique le pouvoir d'Isabelle X... à Philippe X..., mais entériné les décisions prises en Conseil d'Administration le 5 novembre 2001 à 10 h dans le sens où Pierre X... Président, bénéficiait en cas d'égalité de vote, d'une voix prépondérante, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité.
Elle a également entérinée le procès-verbal du Conseil d'Administration, signé par le Président et un administrateur, en présence de Ginette X... et de Bertrand X... et débouté Philippe
GELAS et Isabelle X... du surplus de leurs demandes.
Enfin, il a été alloué à Philippe X... et à Isabelle X... 600 ç au titre de l'art 700, à la charge de Bertrand X... et de Ginette X..., également condamnés aux dépens.
Ginette X... a relevé appel de ce jugement et demande dans ses conclusions récapitulatives No 4 du 23 mars 2005 :
Au visa des articles 931,1422, 1426 et 1427 du Code Civil, AU PRINCIPAL
- réformer en toutes ses dispositions le jugement,
- dire et juger nulle et de nul effet la cession de 1381 actions dépendant de la communauté existant entre Pierre et Ginette X..., émise par la SA X... et réalisée par le seul Pierre X... au profit de son fils Philippe le 3 septembre 2001,
- condamner Pierre et Philippe X... in solidum au paiement de 7 500 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP TANDONNET avoués. SUBSIDIAIREMENT
- Si par extraordinaire, la Cour jugeait insuffisante son information sur le prix de cession véritable des titres de la SA X... au 3 septembre 2001,
- Ordonner une expertise pour évaluer les 1381 actions cédées par Pierre X... à Philippe au 3 août 2001, en tenant compte de la cession d'un bloc de contrôle,
- Réserver dépens et article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans leurs conclusions responsives et récapitulatives déposées le 24 novembre 2004, Pierre X..., Philippe X..., Isabelle X... et la SA X... et FILS demandent :
Vu les articles 1421, 1424 et 1428 du Code Civil,
Vu la position de la doctrine et la jurisprudence applicable en l'espèce ;
A TITRE PRINCIPAL
- Constater qu'en raison du caractère négociable des titres cédés et de l'absence de preuve par l'appelante de l'existence d'une quelconque fraude dans la dite cession, la cession de 1381 actions, intervenue entre Pierre X... et son fils Philippe X..., est parfaitement valable ;
- Si par extraordinaire, la Cour considérait qu'il ne s'agit pas d'une cession à titre onéreux mais d'une donation e Pierre X... à son fils ; A TITRE SUBSIDIAIRE
- Constater la parfaite validité de la "donation" éventuellement intervenue entre Pierre X... et Philippe X... des 1381 actions détenues en propre par Pierre X.... A TITRE INFINIMENT A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE
- Déclarer la validité partielle du transfert de titres intervenu entre Pierre X... et son fils Philippe X..., à hauteur des 1040 actions détenues en propre par Pierre X.... EN CONSÉQUENCE
- Confirmer purement et simplement le jugement du 23 mai 2003,
- Débouter Ginette X... de l'intégralité de ses demandes et notamment rejeter la demande d'expertise judiciaire sur la valorisation des titres cédés,
- Condamner Ginette X... à verser à Pierre et Philippe X..., ainsi qu'à la SA Etablissement X... et FILS 5 000 ç chacun, au titre de l'art 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP PATUREAU & RIGAULT, avoués. MOTIFS
Vu les conclusions déposées le 23 mars 2005 et le 24 novembre 2004 respectivement notifiées le 22 mars 2005 pour Ginette X... et le 23 novembre 2004 pour Pierre GELAS, Philippe X..., Isabelle X... et la SA X... et FILS.
Selon l'appelante, les actions litigieuses constitueraient des "titres non négociables" et leur cession serait intervenue en violation des droits de la communauté et d'une clause d'agrément prévu par l'article 11-2 des statuts.
Or et comme le font valoir les intimés, si les parts sociales sont par nature des droits sociaux non négociables, les actions sont-elles par nature des droits sociaux négociables, quelles que soient les dispositions statutaires, comme les clauses d'agrément. Ces clauses d'agrément figurant dans les statuts n'ont pas de conséquence sur la nature juridique des actions qui restent des titres négociables.
Alors que les droits sociaux non négociables ne peuvent être aliénés que du consentement des deux époux, les droits sociaux négociables qui dépendraient de la communauté peuvent être aliénés, indifféremment par l'un ou l'autre des époux, sans qu'il y ait lieu à se préoccuper de leurs pouvoirs, le principe étant d'ailleurs la gestion concurrente des époux. Sur le plan pratique, s'ils sont immatriculés au nom d'un seul époux, seul celui dont le nom est inscrit en compte pourra donner l'ordre de mouvement des titres.
Ainsi le conjoint n'a pas à être consulté, si la société à titres non négociables est transformée en une société à titres négociables, comme c'est le cas en l'espèce, qui pourront ensuite être l'objet d'opérations qui ne relèveront pas de l'article 1424 du Code Civil.
Pierre X... ayant seul la qualité d'associé pour les actions inscrites à son compte, que ces actions soient détenues en propre ou par la communauté, il pouvait céder seul à titre onéreux les actions inscrites à son compte et qui appartiendraient à la communauté, sans devoir bénéficier de l'autorisation de son épouse.
D'autre part, la clause d'agrément de l'article 11-2 des statuts n'avait pas à s'appliquer puisque l'hypothèse d'une cession à un descendant du cédant est expressément exclue de la soumission à l'agrément de la société.
Il apparaît ainsi que de son point de vue la cession de 1381 actions par Pierre X... à Philippe X... est valable.
L'appelante soutient également que cette cession serait frauduleuse et que le cessionnaire aurait user de l'état de faiblesse de son père pour se faire consentir la cession litigieuse à vil prix et au mépris des droits de Ginette X....
Cependant, c'est à juste raison que le Tribunal a estimé que la vente d'actions d'une société familiale à un enfant, pour lui donner les pouvoirs de gestion et de direction en vue de son redressement économique, n'avait pas pour but de nuire aux droits de Ginette X..., mais bien de servir l'intérêt commun de tous, y compris le sien, par la préservation de l'entreprise familiale.
Il apparaît en effet que Pierre X..., en faisant prévaloir l'intérêt social, n'avait pas l'intention de nuire aux intérêts de la communauté.
Le contraire peut même être soutenu, puisqu'en redressant la situation de l'entreprise, il préservait ainsi les intérêts de ses actionnaires, dont lui-même et son épouse, contribuant ainsi à l'enrichissement de la communauté.
Au demeurant, le bien-fondé de cette démarche parait confirmé par les résultats nets de l'entreprise qui est remontée d'une situation négative de 67 000 ç sur l'exercice 2003, à une situation positive de 70 845 ç sur l'exercice 2004, soit une croissance de 205.55 % en 1 an comme le soulignent les intimés. .
A ce résultat, s'ajoute une progression du chiffre d'affaires passé entre le 1er avril 2002 et le 30 septembre 2004 de 914 242 ç à 1 212 801 ç (progression de 32,66 % en 2 ans), ainsi qu'une cotation au G4+ auprès de la Banque de France, correspondant "à une capacité de l'entreprise à honorer ses engagements financiers assez forte...", alors que la cotation G5 antérieure traduisait "une capacité à honorer ses engagements financiers faibles..".
Dans ces conditions, c'est à juste titre que les intimés soutiennent que la cession des 1381 actions n'est pas entachée de fraude, puisque réalisée dans l'intérêt commun, elle a assuré de facto la sauvegarde de la société familiale.
Ainsi Pierre X... n'a pas nui aux intérêts de son épouse dans la communauté par cette cession d'actions à son fils.
Selon l'appelante, la cession litigieuse, au prix de 400 Francs l'action, réalisée à vil prix serait constitutive d'une donation déguisée qui serait nulle. Elle estime en effet qu'entre le moment de la donation-partage de 1992 où la nu-propriété de l'action était cédée à 1 800 Francs (valeur en pleine propriété ramenée à 2 250 Francs) et celui de la cession du 3 septembre 2001, où les actions ont été cédées pour 400 Francs, les titres n'ont pu perdre une telle valeur.
Sur ce point, c'est très logiquement que les intimés, après avoir rappelé les pertes de la société entre le 31 mars 2000 (exercice 99) et le 31 mars 2002 (exercice 01) de l'ordre de 256 170 ç en se fondant sur le tableau de la SA X..., en déduisant que dans ces conditions l'action a pu effectivement perdre de sa valeur.
D'autre part l'évaluation de la société faite par le cabinet AREXCO en octobre 2002, comme le font valoir les intimés, ne se limite pas à une seule méthode de calcul, ou à une simple valorisation mathématique, mais envisage 4 méthodes différentes de valorisation de l'action, dont est dégagée une moyenne pondérée (valeur mathématique, valeur de productivité, valeur par un coefficient de MBA, méthode de Goodwill).
Même si l'expert a réalisé son rapport postérieurement à la cession, il n'en reste pas moins qu'il s'est fondé sur les bilans sociaux antérieurs, et que la valeur qu'il a retenue, correspond largement, comme le font valoir les intimés, à la valeur de l'action rapportée à la juste valorisation de la société au moment de la cession.
Ainsi, l'analyse du rapport conclut, pour chacune des 4 méthode, à la valeur de 52 ç, soit environ 341 Francs, par action de sorte que le prix de cession de 400 Francs ne saurait être qualifié de dérisoire ni même de vil prix. Dans ces conditions, il n'apparaît pas nécessaire d'organiser une expertise.
La remise en cause par l'administration fiscale, encore invoquée par l'appelante, n'est pas déterminante, puisque d'une part elle se fonde sur la reprise du déficit foncier constatée pour les revenus de 98, et d'autre part sur les cessions de valeurs mobilières réalisés en 2001. Cependant, l'administration prend soin de préciser à cet égard, que le montant des plus-values correspondant aux parts cédées à Mr et Mme X... Philippe reste fixée à 77 977 ç, mais souligne qu'il ne donne pas lieu à imposition immédiate, compte tenu des conditions de réalisation de cette cession à l'intérieur du groupe familial.
La seule dissimulation de ces documents, simplement alléguée, est insuffisante pour démontrer la mauvaise foi des intimés, puisque le courrier était adressé à Monsieur ou Madame X... Pierre, alors qu'au surplus une plus-value peut avoir diverses causes, dont aucune n'est ici précisée.
Selon l'appelante, le prix de cession n'aurait pas été honoré par Philippe X..., ce qui laisserait présumer l'intention libérale du donateur, et elle observe de plus que selon l'échéancier produit en appel, le premier terme intervient en 2004, donc après l'assignation, pour expirer en 2012, et qu'il émane d'un créancier âgé de 80 ans à la date de la cession. Elle y voit une manoeuvre éculée dissimulant une donation déguisée en vente fictive.
Cependant, Philippe X... montre qu'il respecte cet échéancier, puisqu'il verse régulièrement chaque année 8 000 ç correspondant au prix de cession des actions (versements du 28 juillet 2003 et du 23 juillet 2004), et justifie également que le montant de ces remboursements est en adéquation avec ses revenus mensuels de l'ordre de 3 050 ç.
Dans ces conditions la cession réalisée ne peut être assimilée à une cession intervenue à vil prix et encore moins à une donation déguisée.
Il doit donc être retenu, en conclusion, qu'en raison du caractère négociable des titres cédés et en l'absence de la preuve rapportée de l'existence d'une fraude l'entachant, la cession des 1381 actions doit être tenue pour valable.
Le jugement déféré sera donc confirmé et l'appelante condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à verser aux intimés la somme de 3 000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort ;
Reçoit l'appel jugé régulier ; le déclare mal fondé.
Confirme le jugement du 23 mai 2003,
Rejette la demande d'expertise présentée par l'appelante,
Condamne Ginette X... aux dépens d'appel, avec distraction au profit de la SCP PATUREAU & RIGAULT, avoués, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile,
La condamne en outre à verser à Pierre, Philippe et Isabelle X... et à la SA Etablissements X... et FILS, la somme globale 3 000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.