Livv
Décisions

CA Bordeaux, ch. civ. 4, 5 janvier 2017, n° 16/03375

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

Avocats :

Me Maxwell, SCP Michel, Me Taillard, Me Fribourg

TGI Périgueux, du 8 mars 2016, n° 14/008…

8 mars 2016

EXPOSE DU LITIGE :

La SCI Zucchi a été placée en liquidation judiciaire selon jugement du 1er octobre 2012. Dans le cadre de la réalisation de ses actifs, a été mis en vente un ensemble immobilier composé d'un corps de ferme de trois bâtiments ainsi que des actifs mobiliers dépendant de la société Domaine de Leymeronnie, elle-même en liquidation judiciaire. Monsieur et Madame V. ont manifesté leur volonté d'acheter la propriété. Un accord sur le prix est intervenu. Par ordonnances en date des 2 et 26 septembre 2013, les juges commissaires du tribunal de grande instance et du tribunal de commerce de Périgueux ont autorisé la cession de gré à gré respectivement de l'immeuble et des actifs mobiliers.

Par assignation du 18 avril 2014, la SELARL Hirou, en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SCI Zucchi, a fait assigner les époux V. devant le tribunal de grande instance de Périgueux pour voir constater leur refus de passer l'acte authentique réitérant le transfert de la propriété de la SCI Zucchi et les voir condamner au paiement du prix (soit la somme de 590.000 euros au titre du prix de cession de l'immeuble outre 10.000 euros au titre de la cession des meubles), le jugement à intervenir devant tenir lieu d'acte translatif de propriété, ainsi qu'une somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts et 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 18 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Périgueux a ordonné la réouverture des débats et invité la SELARL Hirou ès qualité notamment à justifier de la notification de la décision du juge commissaire aux personnes mentionnées au bas de l'ordonnance du 2 septembre 2013 (débiteurs, acquéreurs et créanciers).

L'affaire a été renvoyée à l'audience du 10 mars 2015. La SELARL Hirou ès qualité a souhaité modifier ses demandes et a sollicité la condamnation des époux V., sur le fondement de l'article 1184 du code civil, à la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Les consorts V. ont conclu au débouté de la SELARL Hirou ès qualité ainsi que sa condamnation au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire en date du 8 mars 2016, le tribunal de grande instance de Périgueux a :

- déclaré fautive l'attitude de Monsieur et Madame V. consistant à refuser de régulariser l'acte d'acquisition de la propriété de la SCI Zucchi ;

- condamné solidairement M. et Mme V. à payer à la SELARL Hirou en qualité de liquidateur de la SCI Zucchi la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Monsieur et Madame V. de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamné Monsieur et Madame V. aux dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

Monsieur et Mme V. ont relevé appel du jugement par déclaration en date du 23 mai 2016.

Dans leurs dernières conclusions, remises et notifiées le 23 juin 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, ils demandent à la cour de :

- réformer le jugement,

- dire et juger que leur consentement a été vicié tant par les manoeuvres du liquidateur que par celles de Madame Z.,

- en conséquence, dire nulle la vente autorisée par l'ordonnance du juge commissaire du 02 septembre 2013,

- condamner la SELARL Hirou ès qualité à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la SELARL Hirou ès qualité à leur payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Maxwell Bertin Barthélémy Maxwell.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 19 juillet 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la SELARL Hirou en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SCI Zucchi demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la carence des époux V. qui, après leur engagement ferme et irrévocable mentionné à l'ordonnance définitive du juge commissaire du 02 septembre 2013, n'ont donné aucune suite à cet engagement, et en ce qu'il a déclaré fautive leur attitude,

- lui donner acte de sa renonciation à solliciter que l'arrêt à intervenir tienne lieu d'acte translatif de la propriété des immeubles mentionnés au dispositif de l'assignation,

- vu l'article 1184 du code civil,

- infirmer le jugement quant à la somme allouée à titre de dommages et intérêts et condamner les époux V. à lui régler ès qualité une somme de 150.000 euros outre celle de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2016.

Le Ministère Public a déclaré s'en rapporter par mention au dossier en date du 02 août 2016. Cet avis a été communiqué aux parties par les soins du greffe.

MOTIFS :

Sur la demande principale :

Les appelants, réitérant devant la cour les moyens soutenus devant le tribunal, allèguent qu'ils n'ont commis aucune faute en refusant de donner suite à une vente qui, contrairement aux affirmations de l'intimée, n'était pas parfaite, voire était nulle, leur consentement ayant été vicié tant par les manoeuvres du liquidateur que par celles de Madame Z..

Les époux V. soutiennent que même s'il y avait accord sur le prix, ils avaient posé à la venderesse, qui n'y a jamais répondu, plusieurs questions précises, portant sur des éléments déterminants de leur consentement ; qu'ils attendaient que leur soit soumis le projet de compromis qu'ils n'ont reçu qu'après l'ordonnance du juge commissaire autorisant la vente de gré à gré ; qu'ils ont alors découvert que de nombreux points déterminants ne correspondaient pas à ce qui leur avait été annoncé. Ils ajoutent que la jurisprudence n'a jamais considéré l'autorisation donnée par le juge commissaire comme valant vente parfaite ; que la décision du juge n'est qu'une simple autorisation d'agir qui ne traduit pas, par elle-même, un accord sur la chose et sur le prix ; que les règles générales s'appliquent ; que notamment l'intervention du notaire reste nécessaire, qui doit effectuer toutes les vérifications habituelles ; qu'en conséquence l'ordonnance du juge commissaire, rendue sur la base d'une offre caduque (puisque soumise à une condition suspensive déterminante, la validité d'un accord de prêt, qui n'existait plus) n'a aucune valeur.

Ils soutiennent qu'en conséquence, les consentements n'ont pas été valablement échangés ; qu'ils étaient fondés à refuser de donner suite et n'ont commis aucune faute de nature à engager leur responsabilité.

L'intimée fait valoir en réponse que les arguments avancés par les appelants sont impuissants à remettre en cause la situation découlant de la force de chose jugée attachée aux ordonnances du juge commissaire en date des 02 et 26 septembre 2013.

Elle relève qu'en vertu des dispositions, d'ordre public, de l'article L.642-18 du code de commerce (qui dispose que « le juge commissaire fixe la mise à prix et les conditions essentielles de la vente ») l'offre d'achat de gré à gré d'un élément d'actif mobilier ou immobilier d'un débiteur en liquidation judiciaire échappe aux dispositions du code civil régissant la forme de la vente. ; que dans un tel cadre, la vente de l'immeuble est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire qui l'autorise, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée, même si elle n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge commissaire ; que si rien n'interdit aux parties de convenir de conditions suspensives supplémentaires, ces conditions doivent nécessairement apparaitre dans l'ordonnance qui autorise la vente ; que dès lors qu'en l'espèce, l'ordonnance du 02 septembre 2013 était soumise à la condition unique de la décision du juge commissaire de la juridiction commerciale en charge de la liquidation judiciaire de la société Domaine de Leymeronnie sur l'offre d'acquisition des biens meubles présentée par les époux V., condition qui s'est réalisée, la vente est devenue parfaite dès l'expiration du délai d'appel. Elle soutient qu'en conséquence, les conditions dont se prévalent aujourd'hui les appelants, telles que celle tenant à l'octroi d'un prêt ou celle relative à la remise de certains documents afférents à la garantie décennale de la piscine et des travaux d'assainissement, ne peuvent produire aucun effet quant à la validité de la cession dans la mesure où elles n'ont pas été érigées en conditions suspensives de la vente dans l'ordonnance du juge commissaire dont elle souligne que les époux V., à qui elle a été notifiée par courriers recommandés reçus les 07 et 11 septembre 2013, n'en ont pas relevé appel dans le délai de 10 jours qui leur était imparti de sorte qu'elle a acquis force de chose jugée, et que la vente de l'immeuble était parfaite en application de l'article L.642-18 du code de commerce.

Le droit commun de la vente ne peut en effet s'appliquer en bloc dès lors que l'ordonnance du juge commissaire est un détour nécessaire imposé par le droit des procédures collectives. Cependant, les spécificités de la procédure collective ne doivent pas conduire à écarter les principes qui régissent le droit commun des contrats. Ainsi, si l'ordonnance du juge commissaire rend la vente parfaite, il est constant que le transfert effectif du droit de propriété est en revanche différé au jour de la signature de l'acte de cession, acte dont il a été jugé qu'il avait pour effet de rendre la cession définitive.

Par ailleurs, si la pratique est hostile à présenter aux juges commissaire des offres assorties de conditions, ce procédé n'est ni interdit ni impossible. Il est évident que ces conditions suspensives doivent être posées par les candidats acquéreurs avant que l'ordonnance soit rendue. En revanche, la question se pose de savoir si ces conditions doivent être reprises dans le corps de l'ordonnance pour pouvoir être invoquées par eux.

Cette question a été récemment tranchée par un arrêt de la Cour de cassation, qui a considéré que les conditions mentionnées dans l'offre, même non reprises dans la décision du juge commissaire, s'imposaient, et que la vente ne pouvait se réaliser que si les conditions suspensives étaient levées, le liquidateur ne pouvant les ignorer pour exiger la signature de l'acte ou des dommages et intérêts. (Com. 27 septembre 2016 ' n°14-22372.)

En l'espèce, les appelants font grief au mandataire liquidateur et au vendeur d'avoir omis de prendre en compte les conditions auxquelles leur proposition était assortie.

Les premiers juges ont rejeté leur demande en relevant qu'ils produisaient pour seuls justificatifs des mails échangés avec les vendeurs ou leur notaire, tous postérieurs à la vente, concernant diverses questions sur l'assainissement, les subventions etc, mais aucun élément démontrant l'existence de manoeuvres dolosives de la part du vendeur ou même l'existence d'une erreur excusable de leur part portant sur les qualités substantielles de la chose vendue.

Pour la première fois en cause d'appel, les époux V. versent aux débats un courrier en date du 21 mai 2013 adressé par leur notaire Maître Carbonnier à Maître Hirou, dans lequel Maître Carbonnier exprime sans ambiguïté que ses clients se proposent d'acquérir :

- d'une part, la propriété immobilière appartenant à la SCI, au prix convenu de 590.000 euros sous les conditions suspensives suivantes :

- obtention d'un prêt pour financer ladite acquisition ;

- obtention préalable à la signature de toute promesse, de tous documents afférents à la garantie décennale tant de la piscine que des travaux d'assainissement

- d'autre part, l'intégralité du mobilier figurant sur les inventaires de la société Domaine de Leymeronnie au prix convenu de 10.000 euros, lesdites acquisitions étant indissociables l'une de l'autre et devant impérativement s'effectuer concomitamment, à peine de caducité de l'offre.

Il n'est justifié d'aucune réponse à ce courrier, dont le contenu n'a, à l'évidence, été porté à la connaissance ni du notaire en charge du compromis, dont l'acte ne comporte aucune mention de ces conditions, ni à celle du juge commissaire qui a statué au vu de la requête du mandataire liquidateur, lequel ne fournit aucune explication sur ce point.

Il ressort des nombreux messages adressés par les époux V. à leur notaire au cours des mois suivants qu'ils n'ont pas pris la mesure de la portée de l'audience ni de l'ordonnance rendue le 02 septembre 2013 par le juge commissaire, interprétée par eux comme une simple autorisation ne valant pas en elle-même vente, non plus d'ailleurs que leur propre notaire qui, dans un mail à eux adressé le 31 octobre 2013, leur indique que son confrère ne semblant pas avoir pris bonne note de leurs exigences relatives à l'assainissement (...), je vous saurais gré de me faire part très précisément des points sur lesquels vous souhaitez avoir une réponse rapide et précise, sans laquelle nous ne signerons pas.

Quoi qu'il en soit, il résulte clairement de ces pièces que les appelants avaient expressément conditionné l'achat de l'immeuble à la réalisation de plusieurs conditions suspensives qui n'ont pas été intégrées au projet soumis à l'accord du juge commissaire, sans que la responsabilité puisse leur en incomber dans la mesure où ils soutiennent, sans être contredits, n'avoir jamais été destinataires du compromis de vente avant que le juge commissaire statue. Il s'en déduit que la vente ne pouvait se réaliser qu'après levée des conditions ; que faute pour le liquidateur de l'avoir fait, il n'est fondé ni à exiger la signature de l'acte (ce à quoi il a d'ailleurs renoncé en cours d'instance) ni à réclamer aux appelants des dommages et intérêts.

Le refus des appelants de régulariser la vente n'étant pas fautif, la demande d'indemnisation formée par l'intimée ne saurait prospérer. Le jugement qui a condamné les époux V. au paiement d'une somme de 10.000 euros sera infirmé.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts :

Les époux V. forment, pour la première fois en cause d'appel, une demande dommages et intérêts à hauteur de 10.000 euros pour réparer le préjudice subi dû au « stress généré par cette affaire ». Cependant, faute de rapporter la preuve d'un préjudice particulier comme de l'existence d'une faute caractérisée imputable à la SELARL Hirou ès qualité envers qui ils forment cette demande, ils en seront déboutés.

Sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des époux V. les sommes exposées par eux en première instance et en appel et non comprises dans les dépens. La SELARL Hirou ès qualité sera condamnée à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de leurs frais de première instance et d'appel.

La SELARL Hirou ès qualité sera condamnée aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Périgueux en date du 08 mars 2016

Statuant à nouveau,

Déboute la SELARL Hirou, en qualité de liquidateur de la SCI Zucchi, de toutes ses demandes

Déboute les époux V. de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts

Condamne la SELARL Hirou ès qualité à payer aux époux V. la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la SELARL Hirou ès qualité aux entiers dépens de première instance et d'appel.