CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 29 octobre 2009, n° 08/02876
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Les 2 Primos (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maron
Conseillers :
Mme Brylinski, Mme Beauvois
Avoués :
SCP Lefevre Tardy & Hongre Boyeldieu, SCP Debray-Chemin
Avocats :
Me Soumet-Doumenjou, Me Grosman
FAITS ET PROCEDURE :
La SARL LES 2 PRIMOS, dont le capital social initial s'élève à 13. 500 euros comporte 500 parts sociales, a pour gérant Frédéric Y....
Saniye X... était associée avec celui-ci à parts égales :
- Saniye X... : 250 parts sociales soit : 6. 750 euros,
- Frédéric Y... : 250 parts sociales soit : 6. 750 euros.
Faisant suite à une décision de la gérance en date du 02 novembre 2005, il a été procédé à une augmentation de capital social, par incorporation du compte courant de Frédéric Y... d'un montant de 100. 000 euros, portant ainsi le capital social de 13. 500 euros à 113. 500 euros.
La nouvelle répartition du capital social est devenue :
- Saniye X... : 30 parts sociales soit : 6. 810 euros,
- Frédéric Y... : 470 parts sociales soit : 106. 690 euros.
Saniye X... estimant que Frédéric Y... avait procédé à une augmentation de capital, sans qu'elle en était informée, a contesté cette initiative.
Aussi, par acte en date du 21 juin 2007, a-t-elle assigné la SARL LES 2 PRIMOS devant le tribunal de commerce de VERSAILLES, pour obtenir l'annulation de l'augmentation de capital décidée le 02 novembre 2005 par le seul Frédéric Y... en sa qualité de gérant de la SARL LES 2 PRIMOS, et la condamnation de la SARL LES DEUX PRIMOS à lui verser une somme de 2. 000 euros de dommages et intérêts.
Par le jugement déféré, en date du 14 mars 2008, le tribunal de commerce de VERSAILLES a notamment dit que la SARL LES 2 PRIMOS était la même société que la SARL LES DEUX PRIMOS, que Mlle Saniye X..., Mlle Saniye X... et Mme Saniye X... étaient la même personne physique puis a débouté celle-ci de sa demande d'annulation de l'augmentation de capital social de la SARL LES 2 PRIMOS et de sa demande de dommages intérêts.
Au soutien de l'appel qu'elle a interjetéé contre cette décision, Saniye X... fait valoir que le courrier du 3 novembre 2005 que Frédéric Y... lui a adressé l'a été à l'adresse suivante : Madame X...,... 27270 GRAND CAMP, sans mention « chez Monsieur F..., ce qui explique, son nom ne figurant pas sur la boîte à lettres, que ce courrier ait été retourné.
Dans ces conditions, l'augmentation de capital à laquelle il a été procédé n'est conforme ni au code de commerce, ni aux statuts et il y a lieu de l''annuler.
En effet, selon les articles L223-26 et suivants du code de commerce, les décisions sont prises en assemblée. Toutefois les statuts peuvent stipuler qu'à l''exception de celles prévues au premier alinéa de l'article L223-26, toutes les décisions ou certaines d'entre elles peuvent être prises par consultation écrite des associés ou pourront résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte.
Par ailleurs, aux termes des articles L223-32 et suivants du même code, les dispositions de l'article L223-7 sont applicables aux augmentations de capital par souscription de parts sociales. S'agissant des augmentations de capital social par incorporation de réserves ou de bénéfices, l'article L. 223-30 alinéa 3 prévoit que la décision peut en être prise par les associés représentant au moins la moitié des parts sociales. En l'espèce, il ne s'est pas agit d'une telle augmentation de capital, puisque ce sont non les réserves ou les bénéfices qui y ont été incorporés, mais le compte courant d'un associé. Par ailleurs, Frédéric Y... détenait la moitié des parts sociales, tout comme l'appelante ; il ne détenait donc pas une majorité.
Aussi appartenait-il au gérant des 2 PRIMOS de convoquer une assemblée générale extraordinaire dans les formes et conditions prévues par la loi.
Au surplus, Frédéric Y... se serait-il appuyé sur l'article 7 des statuts, comme il le fait valoir, que cet article est en contradiction avec le code de commerce et qu'il doit être déclaré nul. En effet, l''instauration d''un quorum constaté en fonction des parts possédées par les associés « présents ou représentés » est incompatible avec la consultation écrite.
En toute hypothèse, la procédure adoptée par Frédéric Y... n'est pas même conforme aux statuts. En effet, les statuts prévoient que « le capital social pourra être augmenté ou réduit en vertu d'une décision de la gérance après mise en demeure et passé un délai de quinze jours de ladite mise en demeure adressée aux associéés ». Or la décision de la gérance a été prise sans mise en demeure, celle-ci ayant été postérieure à la décision.
De surcroît, Saniye X... n'a jamais reçu la mise en demeure, expédiée à une adresse incomplète.
Enfin, le fait que le centre de formalité des entreprises et le greffe du tribunal de commerce n'aient pas soulevé d'objection à la décision prise ne saurait la valider, ni le premier ni le second ne disposant d'un droit de contrôle sur la régularisation d'opérations internes à la vie de l'entreprise.
Du fait de la décision illégale de Frédéric Y..., Saniye X... s'est trouvée évincée de toutes les décisions et, de facto, de son capital, ses parts sociales ayant perdu toute valeur.
Aussi demande-t-elle, outre que soit déclarés nul l'article 7 des statuts de la société, l'annulation de l'augmentation de capital et la condamnation de Frédéric Y... et de la SARL LES 2 PRIMOS à lui payer 2 000 € de dommages intérêts et 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL LES 2 PRIMOS rappelle que l'article L. 223-27 du code de commerce prévoit que les statuts peuvent stipuler qu'à l'exception de celles prévues au premier alinéa de l'article L. 223-26, toutes les décisions ou certaines d'entre elles peuvent être prises par consultation écrite des associés ou pourront résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte.
Or l'article 7 des statuts prévoit que « le capital social pourra être augmenté ou réduit en vertu d'une décision de la gérance après mise en demeure et passé un délai de quinze jours de ladite mise en demeure adressée aux associés ».
Par analogie avec les règles applicables aux sociétés anonymes, l'article L. 223-30 alinéa 3 du code de commerce, la décision d'augmentation du capital par incorporation de réserves ou de bénéfices peut être prise par les associés représentant seulement la moitié des parts sociales. Or, antérieurement à l'augmentation de capital litigieuse, Frédéric Y... possédait déjà 50 % du capital et chacun des associés a été consulté, ce qui leur a permis de faire valoir leur position.
En outre, la régularité de la procédure a été contrôlée tant par le centre de formalité des entreprises que par le greffe du tribunal de commerce.
Saniye X... ne saurait, non plus, se retrancher derrière le fait qu'elle n'a pas retiré le pli qui lui avait été adressé. Il avait, en effet, été expédié à l'adresse qu'elle avait elle-même donnée dans son courrier du 23 juillet 2005. Ce courrier a, au demeurant, été retourné non avec la mention NPAI, mais avec la mention « retour à l'envoyeur », ce qui démontre bien que la destinataire a été parfaitement avisée par les services postaux de ce qu'un courrier recommandé AR était en instance.
Sur le prétendu non-respect du délai de quinze jours, la SARL LES 2 PROMOS fait valoir que la décision de la gérance du 2 novembre 2005 a bien été adressée dans le délai de 15 jours puisque la lettre recommandée AR a été adressée le 3 novembre et que les formalités d'augmentation du capital ont été effectuées postérieurement à ce délai. En l'espèce, la publication dans un journal d'annonces légales est intervenue le 13 décembre 2005 et l'enregistrement auprès des services fiscaux le 6 janvier 2006. L'ensemble des pièces a été communiqué au CFE le 2 mars 2006 et le greffe du tribunal de commerce a édité un nouveau K bis le 8 mars.
Sur la demande de dommages intérêts, Saniye X... ne justifie pas du préjudice moral qu'elle invoque. Par ailleurs, les résultats de la société démontrent qu'il était impossible de distribuer des dividendes. La SARL LES 2 PRIMOS demande condamnation de Saniye X... à lui payer 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Attendu que les statuts de la SARL LES 2 PRIMOS ont été déposés au greffe du tribunal de commerce de VERSAILLES le 19 janvier 2005 ; que leur remise au centre de formalité des entreprises, non plus que leur dépôt consécutif au greffe ne sauraient valoir vérification de la régularité juridique de leurs stipulations, ni le CFE, ni le greffe n'ayant pour mission d'opérer un tel contrôle ;
Attendu que l'article 7 desdits statuts stipule notamment que « le capital social pourra être augmenté ou réduit en vertu d'une décision de la gérance après mise en demeure passé un délai de quinze jours de ladite mise en demeure adressée aux associés conformément aux dispositions des articles 61, 62 et 63 de la loi du 24 juillet 1966, et des articles 47, 48 et 49 du décret du 23 mars 1967 » ;
Attendu que selon l'article L223-27 du code de commerce, les décisions sont, dans les sociétés à responsabilité limitée, prises en assemblée ; que toutefois, les statuts peuvent stipuler qu'à l'exception de l'approbation du rapport de gestion, de l'inventaire et des comptes annuels établis par les gérants, toutes les décisions ou certaines d'entre elles peuvent être prises par consultation écrite des associés ou pourront résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L223-30 du même code que les modifications statutaires d'augmentation du capital doivent, à l'exception de celles qui interviennent par incorporation de bénéfices ou de réserves, être décidées par les associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'une augmentation de capital par incorporation d'un compte courant ne saurait être décidée par le gérant, même après « mise en demeure » adressée aux associés ; que par voie de conséquence, l'article 7, dernier alinéa, des statuts de la SARL LES 2 PRIMOS, est nul, en ce qu'il contient une stipulation contraire aux prescriptions légales ; que, par voie de conséquence, l'augmentation de capital décidée par Frédéric Y..., gérant de la SARL LES 2 PRIMOS, doit être annulée ;
Attendu, sur la demande de dommages intérêts de Saniye X..., que celle-ci est irrecevable en ce qu''elle est dirigée contre Frédéric Y..., non partie à la présente procédure ; qu'en ce qu'elle est dirigée contre la SARL LES 2 PRIMOS, pour une décision prise en application d'une stipulation nulle des statuts auxquels elle a elle-même participé en s'associant à parts égales avec Frédéric Y... dès la constitution de la société, et qu'elle a elle-même signé, elle ne saurait être admise ;
Attendu que la demande de Saniye X... fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre Frédéric Y..., non partie à la présente procédure ;
Attendu que l'équité conduit à condamnation de la SARL LES 2 PRIMOS à payer à Saniye X... la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau,
Constate la nullité de l'article 7, dernier alinéa, des statuts de la SARL LES 2 PRIMOS,
Annule l'augmentation de capital de cette société décidée le 2 novembre 2005,
Dit irrecevables les demandes de Saniye X... dirigées contre Frédéric Y...,
Déboute Saniye X... de sa demande de dommages intérêts dirigée contre la SARL LES 2 PRIMOS,
Condamne LES 2 PRIMOS à payer à Saniye X... la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens,
Admet la SCP LEFEVRE-TARDY-HONGRE-BOYELDIEU, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.