CA Aix-en-Provence, 1re et 8e ch. réunies, 23 janvier 2020, n° 17/10185
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
L. Simon, OPTIQUE 'MATAIS' (SARL)
Défendeur :
KERVALENTINE (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Philippe COULANGE
Conseillers :
Madame Françoise FILLIOUX, Madame Laurence DEPARIS
Avocats :
SELARL A. & ASSOCIES, Me Anne C.
Suivant acte du 26 avril 2012, la SCI Valmur, aux droits de laquelle est venue la SNC Kervalentine le 2 mai 2016, a donné à bail commercial à la société Optique Matais des locaux situés dans la galerie marchande du centre de la Valentine à Marseille, pour un usage de 'optique, lunetterie et accessoire s'y rapportant avec faculté d'adjoindre l'activité d'audioprothésiste'et moyennant un loyer annuel de 110 000€ auquel s'ajoutait une part variable de 7 % du chiffre d'affaires et ce pour une durée de 10 ans.
Le preneur a versé à la bailleresse lors de son entrée dans les lieux la somme de 408 730€ HT en contrepartie 'des avantages de la propriété commerciale conférée au preneur et ce dès la prise d'effet du bail', le contrat précisant que ' de la commune intention des parties, cette somme ne constitue pas un complément de loyer'.
Le 1er décembre 2016, la société Optique Matais a été admise en redressement judiciaire et Maître L. désigné en qualité de mandataire judiciaire, puis en liquidation judiciaire par jugement du 15 mai 2017.
Par ordonnance du 26 juin 2017, le juge commissaire a constaté la résiliation du bail.
Par jugement contradictoire du 25 avril 2017, le tribunal de grande instance de Marseille a débouté la société Optique Matais de ses demandes.
La juridiction a estimé que les parties avaient expressément et par une clause claire et précise exclu la qualification de supplément de loyer au droit d'entrée de sorte qu'il n'appartenait pas au juge de s'immiscer dans l'essence du contrat et que la clause relative au droit d'entrée avait une cause et un objet : conférer la propriété commerciale au preneur.
Le 29 mai 2017, la société Optique Matais a interjeté régulièrement appel de ce jugement.
Dans ses conclusions déposées et notifiées le 3 août 2017, elle demande à la cour de :
* infirmer le jugement querellé,
* déclarer nul et de nul effet le versement du droit d'entrée,
* condamner la société Kervalentine à lui payer la somme de 408 730€ HT avec intérêt au taux de droit à compter de son versement,
A titre subsidiaire, si la clause n'est pas détachable : déclarer l'entier contrat de bail nul et condamner la société bailleresse à la restitution des loyers ;
* condamner la bailleresse au versement d'une somme de 50 000€ à titre de dommages et intérêts,
A titre subsidiaire : * condamner la société Kervalentine à lui payer la somme de 272 000€ correspondant au 5/9 de la somme versée lors de l'entrée dans les lieux,
En tout état de cause :
* la condamner à leur régler :
- 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et à prendre en charge les dépens.
Elle expose qu'il appartient aux juridictions de vérifier la réalité de la contrepartie accordée par la bailleresse au titre du droit d'entrée, que le contrat ne fait mention d'aucune contrepartie, que s'agissant d'un local dans un centre commercial, sa destination est nécessairement commerciale que le fait de conférer la propriété commerciale n'est pas une contrepartie efficace, que le contrat, qui au moment de sa formation, offre une contrepartie illusoire ou dérisoire est nul, que le bail lui-même mentionne 'les graves conséquences' d'un défaut de mise en oeuvre des engagements du preneur pour 'le centre commercial' et non le bailleur, que l'absence de cause et d'objet pour le bailleur est incontestable.
Elle soutient que cette clause est parfaitement détachable du contrat puisqu'il s'agit d'une obligation annexe dont ne dépend pas l'existence du contrat de bail.
Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que la somme assujettie à la TVA constitue un loyer et non une indemnité compensatrice d'un préjudice, que le bailleur doit lui rembourser au prorata temporis le temps restant à courir.
Aux termes de ses écritures déposées et notifiées le 29 juillet 2019, l'intimée conclut :
* à la confirmation du jugement,
* au rejet des demandes adverses,
* à la condamnation de la locataire à lui régler :
- 3 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et à prendre en charge les dépens.
Elle expose que le juge commissaire a constaté la résiliation du contrat de bail le 26 juin 2017 par ordonnance devenue définitive, que dès lors, le preneur ne peut plus en solliciter la nullité, que la clause litigieuse portant sur le droit d'entrée ne peut être détachée du contrat de bail au regard du montant versé, qu'ainsi la nullité de cette clause ne peut pas non plus être sollicitée.
Elle soutient également que les dispositions du contrat claires et explicites précisant la nature juridique du droit d'entrée ne peuvent être interprétées par le juge et ce d'autant que la commune intention des parties résultent des dispositions expresses du contrat.
Elle précise que le versement de ce pas de porte représente la contre partie de la propriété commerciale, notamment les dispositions protectrices relatives aux baux commerciaux : droit au bail, indemnité d'éviction, stabilité du contrat.....
Elle souligne que la locataire a considéré ce droit d'entrée comme un élément de son patrimoine puisqu'elle l'a porté à l'actif de son bilan dès le premier exercice, que de surcroît, le bail contenait de nombreux avantages accordés par le bailleur au preneur dont une remise partielle de loyers pendant les deux premières années, une franchise de loyer pendant les 6 premières semaines, une autorisation de sous louer à la société Audio 2000.
Pour plus ample exposé, la cour renvoie aux écritures déposées par les parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 novembre 2019.
SUR CE :
Attendu que le contrat de bail conclu le 26 avril 2012 régissant le rapport des parties contient en page 15 une clause intitulée 'H' relative au versement d'une somme de 408 730€ HT par le preneur qualifiée de 'droit d'entrée' ; que les parties ont précisé que 'ce droit d'entrée restera acquis au bailleur en contrepartie des avantages de la propriété commerciale conférée au preneur et ce dès la prise d'effet du bail, en conséquence il est précisé que dans la commune intention des parties, cette somme ne constitue pas un complément de loyer' ;
Attendu qu'il convient de relever, ainsi que l'a fait à raison le juge de première instance, que le juge doit s'interdire toute requalification lorsque les termes de la convention sont clairs et précis, à peine de dénaturation, qu'en page 15 du contrat de bail, les parties ont exclu la qualification de complément de loyer pour caractériser la somme versée nommée 'droit d'entrée', que cette clause claire et précise n'est susceptible que d'un seul sens et qu'il n'existe aucune discordance ou ambiguïté avec d'autres stipulations du contrat ouvrant au juge la possibilité d'interpréter le vocable employé ;
Attendu que de surcroît, aucune circonstance de l'espèce ne milite en faveur d'un supplément de loyer, la locataire arguant elle-même d'un loyer convenu conforme à la valeur locative du bien loué voire supérieur et ayant mentionné cet avantage patrimonial dans son bilan comptable aux titres des immobilisations incorporelles dès la première année, démontrant que dans son esprit, cette somme correspondait sans équivoque à un droit d'entrée ; qu'en effet, en présence d'un montant normal du loyer par comparaison avec le loyer de locaux comparables, le versement du droit d'entrée ne peut que présenter le caractère de prix d'acquisition d'un élément d'actif incorporel du fonds de commerce dès lors que le loyer stipulé revêt un caractère normal voire excessif ;
Attendu que la locataire s'oppose à la validité de cette clause au motif que l'absence de cause et d'objet serait susceptible d'entraîner le prononcé de sa nullité ;
Attendu toutefois que le bail commercial est considéré comme un facteur d'altération de la propriété immobilière, dans la mesure où le droit au renouvellement du preneur constitue un facteur de sclérose de la propriété immobilière du bailleur, que la clause litigieuse indique que ce droit d'entrée qui constitue un élément incorporel du fonds de commerce du preneur, compense 'les avantages de la propriété commerciale conférée au preneur', que ce droit d'entrée représente donc le prix de revient d'un élément incorporel de l'actif immobilisé, c'est-à-dire le droit au renouvellement du bail acquis par le preneur ; que le bail commercial se traduit pour le preneur, par la création d'un élément d'actif nouveau, compte tenu du droit au renouvellement du bail que celui-ci acquiert ; que le droit d'entrée est le prix du droit au bail ;
Attendu que de surcroît et de façon surabondant, il convient de noter qu'en l'espèce, la somme versée au bailleur rémunère non seulement le droit au renouvellement du bail mais également la localisation particulière du local au sein d'un centre commercial comportant des enseignes nationales de nature à apporter au locataire une commercialité importante, qu'il s'agit d'un avantage distinct de la simple mise à disposition du local avec un droit de jouissance renouvelable, que le local situé dans un centre commercial, donc largement protégé contre la concurrence en raison de l'organisation même du centre, offrait une commercialité certaine au locataire ;
Attendu enfin que le bail prévoit également une franchise de loyer pendant 6 mois, une réduction partielle pendant les deux premières années, une autorisation de sous louer les locaux partiellement ou en totalité à une société Audio 2000 et une durée supérieure à la durée légale, autant d'avantages exorbitants du droit commun des baux témoignant d'une cause et d'un objet réel à la clause litigieuse ;
Attendu qu'il convient de confirmer la décision de première instance ;
Attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à ce titre à la société Kervalentine la somme de 1 500€ ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré,
CONDAMNE la société Optique Matais et Maître L. au paiement d'une somme de 1 500€ à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
LES CONDAMNE aux dépens d'appel.