Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-13.787
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Le Bret-Desaché, SCP de Nervo et Poupet
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 3 décembre 2013), que la société Sovaleg a constitué, au profit des sociétés Arkéa banque entreprises et institutionnels, Banque populaire Atlantique et Banque de Bretagne, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas (les banques), en garantie d'une ligne de crédit qu'elles lui accordaient, un gage sur des marchandises dont la détention a été confiée à la société Auxiga ; que la société Sovaleg ayant été mise en liquidation judiciaire, la société coopérative CLAL Saint-Yvi (la coopérative) a revendiqué la propriété de marchandises vendues à la société Sovaleg sous réserve de propriété et restées impayées, qui, selon les banques, faisaient partie de leur gage ;
Attendu que les banques font grief à l'arrêt de déclarer leur gage avec dépossession inopposable à la coopérative, de déclarer, en conséquence, bien fondée la revendication de celle-ci et de lui attribuer le prix de vente des marchandises concernées alors, selon le moyen :
1°/ que les juges du fond ne peuvent soulever d'office un moyen, sans inviter les parties à s'en expliquer ; qu'en se fondant, pour décider que le gage avec dépossession des banques exposantes était inopposable à la coopérative, sur le moyen qui n'avait été soulevé par aucune des parties, que les marchandises gagées et entreposées dans les locaux des sociétés Sovaleg, LFE et STEF, avaient, sans que leur substitution ait été admise, en partie disparu au jour de l'ouverture de la procédure collective de la société Sovaleg, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige, tels qu'ils ont été fixés par les parties ; qu'en énonçant que les marchandises remises en gage aux banques et entreposées dans les locaux des sociétés Sovaleg, LFE et STEF n'existaient plus au jour de l'ouverture de la procédure collective de la société Sovaleg et que leur substitution n'avait pas été prévue, quand aucune des parties n'avait contesté que les marchandises inventoriées chez Sovaleg le 25 février 2011 étaient gagées par clause de substitution au profit des exposantes, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3°/ qu'une clause de substitution peut être convenue dans un gage avec dépossession ; qu'en énonçant que le gage constitué au profit du pool bancaire n'avait été assorti d'aucune clause de substitution, ainsi qu'il résultait des courriers de la Sovaleg des 24 et 25 mars 2010, sans rechercher si l'acte de gage lui-même, en date du 18 février 2010, ne prévoyait pas une telle possibilité de substitution, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2333 du code civil ;
4°/ que le gage avec dépossession par entiercement est opposable, dès lors que le tiers convenu en a la maîtrise et que les entrées et sorties de marchandises sont contrôlées par lui ; qu'en retenant que les marchandises gagées et entreposées dans les locaux des sociétés Sovaleg, LFE et STEF n'étaient pas isolées des autres stocks, quand le tiers convenu, la société Auxiga, en avait seul la maîtrise, par des lettres de mise à disposition (marchandises entreposées dans les locaux des société LFE et STEF) et des commodats (marchandises laissées chez la société Sovaleg), qu'il les avait inventoriées et en contrôlait les entrées et sorties, la cour d'appel a violé les articles 1134, 2333 et 2337 du code civil ;
5°/ qu'aucune obligation ne pèse sur les banques, en leur qualité de créancier gagiste, de vérifier, lors de la constitution du gage, que les marchandises litigieuses ne sont pas grevées d'une clause de réserve de propriété ; qu'en retenant que les banques n'avaient pu de bonne foi appréhender, comme faisant partie de leur gage par substitution, les biens livrés à la société Sovaleg postérieurement aux marchandises remises initialement, la cour d'appel a violé les articles 1134, 2333 et 2337 du code civil ;
6°/ que le gage avec dépossession et entiercement est opposable aux tiers ; qu'en énonçant que la dépossession des marchandises entreposées dans les locaux de la société Sovaleg était fictive et équivoque, quand cette dépossession avait été constatée par un certificat de dépossession, qu'une partie des installations de la société Sovaleg avait fait l'objet de commodats (dûment enregistrés) au profit de la société Auxiga (portant sur les racks A à F), qu'une plaque était apposée sur chacun de ces racks qui étaient fermés par une chaîne et un cadenas dont seul le tiers constitué détenait les clés, la cour d'appel a violé les articles 1134, 2333 et 2337 du code civil ;
7°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; qu'en énonçant que la dépossession des marchandises entreposées dans les locaux de la société Sovaleg était fictive, car un constat d'huissier des 2 et 3 février 2011 démontrait que la chaîne censée interdire l'accès aux racks n'était pas fermée, sans répondre aux conclusions des exposantes ayant souligné qu'au jour du passage de l'huissier, la chaîne avait été ôtée afin de modifier le stock, en application de la clause de substitution, avec l'accord de la société Auxiga, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que l'entiercement caractérise la dépossession de biens gagés ; qu'en retenant que la dépossession des biens gagés dans les entrepôts des sociétés LFE et STEF n'était pas effective et dénuée d'équivocité, quand les marchandises avaient été remises, à la suite d'un inventaire contradictoire, à des dépositaires logisticiens par conventions de mise à disposition, la cour d'appel a violé les articles 1134, 2333 et 2337 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève, pour les marchandises entreposées dans les locaux des sociétés STEF et LFE, qu'aucune mention relative à des droits particuliers sur les marchandises n'était affichée ni sur la porte d'accès, ni à l'intérieur de ces locaux et que l'accès à la chambre froide et la manipulation des marchandises sur les racks ne faisaient l'objet d'aucune restriction, ni d'aucun système de sécurité ; qu'il relève ensuite, pour les marchandises entreposées dans les locaux de la société Sovaleg, qu'elles étaient stockées dans une chambre froide accessible à tout le personnel, sans système de sécurité, que six racks métalliques à l'intérieur de l'entrepôt portaient le panneau « Magasin prêté à usage Auxiga » mais que leur manipulation restait matériellement possible puisque la chaîne censée en interdire l'accès n'était pas fixée par un cadenas et qu'aucune autre mention relative à des droits particuliers sur des marchandises n'était affichée, ni sur la porte d'accès à la chambre froide, ni à l'intérieur et que la procédure prévoyant que deux employés de la société Sovaleg avaient qualité pour intervenir sur les racks A à F après déclaration ou demande d'autorisation à la société Auxiga, à la supposer respectée, ne suffisait pas pour matérialiser la dépossession puisque la société débitrice gardait la maîtrise des marchandises dès lors qu'une simple déclaration au tiers était considérée comme suffisante ; qu'il en déduit que rien ne permettait d'identifier et d'isoler, de manière non équivoque, les marchandises effectivement remises en gage et d'assurer la publicité de leur dépossession, de sorte que le gage obtenu par les banques, dont la dépossession ne s'était pas manifestée de manière non équivoque, ne primait pas le droit du vendeur avec réserve de propriété ; que, par ce seul motif, rendant inopérants les griefs des première, deuxième, troisième et cinquième branches, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.