CA Douai, 2e ch. sect. 1, 23 janvier 2020, n° 18/01559
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Bonduelle (SCA), Pierre et Benoit Bonduelle (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Molina, Mme Créon
Avocats :
Me Deleforge, Me Poulain, Me Laurent, Me Bonan, Me Mennesson
Vu le jugement contradictoire rendu le 5 février 2018 par le tribunal de commerce de Dunkerque qui a :
- déclaré irrecevable M. X et Mme Y en leur action dirigée à l'encontre de la SCA Bonduelle,
- débouté M. X et Mme Y de toutes leurs prétentions dirigées à l'encontre de la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et à l'encontre de M. Z,
- condamné solidairement entre eux M. X et Mme Y à payer la somme de 1.500 euros à la SCA Bonduelle, la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et M. Z au titre l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné solidairement entre eux M. X et Mme Y aux entiers dépens,
Vu l'appel interjeté le 13 mars 2018 par Mme Y et M. X,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 septembre 2019 par Mme Y et M. X qui demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de Commerce de Dunkerque rendu le 5 février 2018 tant en ce qu'il déclare irrecevable la demande de M. et Mme Y qu'en ce qu'il les en déboutés sur le fond,
- condamner la SCA Bonduelle, la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et M. Z solidairement au paiement d'une somme de 164.340 euros à Monsieur E en raison du préjudice financier subi par lui, ainsi qu'une somme de 50.000 euros à M. et Mme Y en raison du préjudice moral subi par eux,
- condamner la SCA Bonduelle, la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et M. Z solidairement au paiement d'une somme de 7.000 euros à M. et Mme Y en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance, avec distraction au profit de Me Deleforge (avocat),
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 30 septembre 2019 par la société Bonduelle, la société Pierre et Benoit Bonduelle et M. Z, qui demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque du 5 février 2018 en toutes ses dispositions, y ajoutant,
- condamner in solidum Monsieur C E et Madame Z E à verser la somme de 20.000 euros à la société Bonduelle SCA, à la société Pierre et Benoît Bonduelle et à M. Z au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens,
Vu l'ordonnance de clôture du 2 octobre 2019 ;
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la SCA Bonduelle (ci après la société Bonduelle) est la holding d'un groupe spécialisé dans l'alimentation végétale, dont les actions sont cotées en bourse et que la SAS Pierre et Benoit Bonduelle (ci après la société PBB) est l'associé commandité de la SCA Bonduelle.
En sa qualité de société cotée, la société Bonduelle est amenée à lever des capitaux sur les marchés financiers. Elle a ainsi émis à plusieurs reprises des bons de souscription ou d'acquisition d'actions remboursables (Y), notamment en 2007 et 2009, permettant à leur détenteur d'acquérir des actions Bonduelle pendant une certaine période et moyennant le paiement d'un certain prix.
En 2009, la société Bonduelle a proposé à tous les porteurs de Y 2007 de les leur échanger contre des Y 2009.
Par courrier du 17 juillet 2014 adressé à M. Z, représentant de la masse des porteurs de Y 2007, M. X a sollicité la convocation d'une assemblée générale aux fins de statuer sur sa demande de conversion de ses titres en Y 2009.
Un refus lui a été opposé par M. Z par courrier du 23 juillet 2014 et par la SCA Bonduelle par courrier du 24 juillet 2014.
Invoquant ces refus de convocation d'une assemblée générale comme étant à l'origine d'une faute ayant fait perdre à M. X une chance de souscrire à une offre de désintéressement avantageuse en 2015, M. X et Mme Y, ont, selon actes d'huissier des 13 et 16 novembre 2015, fait assigner les sociétés Bonduelle et PBB ainsi que M. Z devant le tribunal de grande instance de Dunkerque pour obtenir réparation de leurs préjudices tant financier que moral.
Le juge de la mise en état a déclaré le tribunal de grande instance de Dunkerque incompétent au profit du tribunal de commerce de Dunkerque.
Le tribunal a essentiellement déclaré irrecevable l'action de M. X et de Mme Y dirigée à l'encontre de la SCA Bonduelle, et les a déboutés de toutes leurs prétentions dirigées à l'encontre de la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et de M. Z.
M. et Mme XY, appelants, font grief aux premiers juges d'avoir ainsi statué en faisant valoir qu'ils ne critiquent pas les actes ou délibérations de la SCA Bonduelle mais reprochent aux intimés de leur avoir refusé illégitimement la convocation d'une assemblée générale des porteurs de Y 2007 afin qu'il soit statué sur une demande d'échange de leurs titres avec des Y 2009 et qu'ils sollicitent en outre réparation d'un préjudice moral ; sur le fond, ils invoquent des fautes commises par les intimés ayant conduit à l'éviction illégitime de M. X et lui ayant fait perdre une chance de souscrire à l'offre de désintéressement mise en oeuvre en 2015 qui lui aurait permis de vendre ses titres au prix unitaire de 18 euros.
Sur la recevabilité de l'action dirigée à l'encontre de la SCA Bonduelle,
Aux termes de l'article L. 228-54 du Code du commerce applicable par renvoi de l'article L. 228-103 du même code, "Les représentants de la masse, dûment autorisés par l'assemblée générale des obligataires, ont seules qualités pour engager, au nom de ceux-ci, les actions en nullité de la société ou des actes et délibérations postérieures à sa constitution, ainsi que toutes autres actions ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires (...).
Toute action intentée contrairement aux dispositions du présent article doit être déclarée d'office irrecevable".
En l'espèce, les époux XY reprochent aux intimés d'avoir refusé illégitimement à M. X la convocation d'une assemblée générale des porteurs de Y 2007 afin qu'il soit statué sur une demande d'échange de ses titres avec des Y 2009.
Cette action est de nature à intéresser l'ensemble des obligataires placés dans la même situation, à savoir l'ensemble des porteurs de Y encore en circulation, M. X ne possédant que près de la moitié de ceux encore en circulation car non échangés suite à l'offre de 2009.
Il en résulte que, sauf pour le préjudice moral qui est invoqué, les époux XY ne peuvent, en invoquant un refus illégitime de convocation d'une assemblée générale des porteurs de Y 2007, s'affranchir des dispositions impératives de l'article précité et que seul le représentant de la masse, dûment habilité pour assurer la défense des intérêts communs des obligataires, était recevable à agir, soit en l'espèce M. Z, sous réserve toutefois d'y être autorisé par l'assemblée générale de ces porteurs.
Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable M. X et Mme Y en leur action dirigée à l'encontre de la SCA Bonduelle, mais ce seulement en ce que l'action a pour objet la défense des intérêts communs des obligataires, la demande relative à la réparation d'un préjudice moral étant quant à elle recevable.
Sur les fautes des intimés
Selon les appelants, le refus de convoquer l'assemblée générale des obligataires sollicitée par M. X en 2014 serait fautif et la nomination de M. Z en tant que représentant de la masse des porteurs de Y 2007 serait irrégulière. Ils développent en outre une argumentation relative au "contexte ultérieur de rachats en bloc des Y 2009 détenus par la SAS Pierre et Benoît Bonduelle".
Sur le refus de convoquer l'assemblée générale des obligataires sollicitée par M. X en 2014
Se prévalant des dispositions des articles L228-58 et L228-103 du Code de commerce ainsi que d'une réponse de l'AMF du 22 septembre 2014 et indiquant que M. Z détenait 9.130 Y 2007 sur les 18.033 en circulation, M. et Mme Y reprochent aux intimés, dans le dispositif de leurs dernières écritures, et à M. Z dans les motifs de ses mêmes écritures, de n'avoir pas convoqué d'assemblée générale des porteurs de Y 2007 pour décider de leur conversion en Y 2009, alors que M. X en a fait la demande le 17 juillet 2014 après avoir questionné la société Bonduelle le 4 juillet 2014 sur "le traitement inéquitable des porteurs de Y X".
Selon l'article L228-58 du Code de commerce précité, ' L'assemblée générale des obligataires est convoquée par le conseil d'administration, le directoire ou le représentant légal de la société, par les représentants de la masse ou par les liquidateurs pendant la période de liquidation.
Un ou plusieurs obligataires, réunissant au moins le trentième des titres d'une masse, peuvent adresser à la société et au représentant de la masse une demande tendant à la convocation de l'assemblée.
Si l'assemblée générale n'a pas été convoquée dans le délai fixé par décret en Conseil d'Etat, les auteurs de la demande peuvent charger l'un d'entre eux de poursuivre en justice la désignation d'un mandataire qui convoquera l'assemblée'.
L'article L228-103 alinéa 2 du même code ajoute que ' les assemblées générales des titulaires de ces valeurs mobilières sont appelées à autoriser toutes modifications au contrat d'émission et à statuer sur toute décision touchant aux conditions de souscription ou d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission (...)'.
Ce texte ne confère toutefois pas aux porteurs de Y réunis en assemblée le pouvoir de proposer une modification de leurs termes à la société qui les a émis, ce qu'indique d'ailleurs la 'Note d'Opération' de la société Bonduelle produite en pièce 5 par les appelants en son article 2.1.2 intitulé 'Possible modification des modalités des Y' et selon lequel 'conformément à l'article L. 228-103 du code de commerce, l'assemblée générale des porteurs de Y peut modifier les termes des Y sur proposition ou avec l'accord de la société, dès lors que les porteurs présents ou représentés approuvent les modifications à la majorité des deux tiers des voix exprimées'.
La réponse de l'AMF faite à M. X le 22 septembre 2014 va également dans ce sens lorsqu'elle indique "Au regard de l'article L. 226-58, vous êtes en droit de demander la convocation d'une assemblée générale des porteurs de Y 2007, durant toute la durée de vie de cet instrument financier. Pour autant, le motif de la convocation doit porter sur un motif recevable".
Les époux XY indiquent eux-mêmes dans leurs dernières écritures que 'il se serait agi a minima pour lui (M. Z) d'une première étape en vue de faire ensuite remonter la décision vers les organes représentatifs de la SCA Bonduelle'.
Il y a lieu enfin de relever que la demande de M. X a été faite le 17 juillet 2014 et non pas le 4 juillet 2014 comme indiqué dans les écritures des appelants et que les Y 2007 devenaient caducs automatiquement et de plein droit le 24 juillet 2014 à 17h30 (heure de Paris) conformément à la note d'information Bonduelle susvisée, de sorte que la demande de conversion de M. X s'avérait en tout état de cause impossible compte tenu des délais de convocation de l'assemblées des porteurs.
En conséquence, les époux XY ne démontrent pas le caractère fautif du défaut de convocation de l'assemblée des porteurs de Y 2007.
Sur la nomination de M. Z comme représentant de la masse
Les appelants consacrent ensuite de longs développements à 'la légitimité de M. Z en tant que représentant de la masse des porteurs de Y 2007' soutenant que 'il (M. Z) était particulièrement proche de la direction de la société Bonduelle' puisque 'il était à l'époque directeur financier (et donc salarié) de Bonduelle SA, filiale à 99,98 % de la SCA Bonduelle'.
Pour autant, le caractère fautif du défaut de convocation de l'assemblée des porteurs de Y 2007 n'ayant pas été démontré, les critiques formulées à l'encontre de la nomination de M. Z en tant que représentant de la masse des porteurs de Y 2007, à les supposer fondées, sont sans portée.
Sur l'offre 2015
Les époux XY critiquent enfin l'offre 2015 à l'occasion de laquelle Bonduelle a proposé à tous les porteurs de Y 2009 de les leur racheter au prix de 18 euros tout en invoquant non sans une certaine contradiction une perte de chance de participer à cette offre.
Ils précisent dans leurs dernières écritures qu'il s'agit de 'd'exposer à la cour une vision complète de l'opération et de démontrer que le traitement de M. et Mme Y s'inscrit dans un schéma global destiné à favoriser de manière illégale l'intérêt de certains actionnaires au détriment notamment de porteurs de titres donnant accès au capital comme M. X, voire au détriment de la SCA Bonduelle elle-même' et que 'l'offre de désintéressement ne change rien en l'espèce'.
Aucune faute des intimés consécutive à la demande de M. X de convoquer une assemblée générale des porteurs de Y 2007 pour décider de leur conversion en Y 2009 n'ayant été démontrée, les époux XY ne peuvent utilement invoquer une perte de chance de participer à l'offre 2015 de rachat des Y 2009 au prix de 18 euros, M. X ayant été libre de participer en temps utile à l'offre publique d'échange de 2009.
En définitive le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. X et Mme Y de l'ensemble de leur demandes dirigées à l'encontre de la SAS Pierre et Benoit Bonduelle et de M. Z.
Aucun préjudice résultant d'opérations montées au détriment fautif de leurs intérêts, n'étant en outre démontré, le préjudice moral qui est invoqué de ce chef sera également rejeté.
Sur les autres demandes
Les époux XY qui succombent seront condamnés aux entiers dépens.
Enfin les intimés ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge ; il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 5 février 2018 par le tribunal de commerce de Dunkerque sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable M. X et Mme Y en leur demande de réparation d'un préjudice moral.
Statuant de ce chef et y ajoutant,
Déclare recevable M. X et Mme Y en leur demande de réparation d'un préjudice moral.
Déboute M. et Mme Y de l'ensemble de leurs demandes.
Condamne in solidum M. X et Mme Y à verser à la SCA Bonduelle à la société Pierre et Benoît Bonduelle et à M. Z, ensemble, la somme totale de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne in solidum M. X et Mme Y aux entiers dépens.