Livv
Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 27 juin 2012, n° 10/03277

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bancal

Conseiller :

Mme Rouger

Avocats :

SCP Michel Puybaraud, Me Dorlane, Me Frago

T. com. Bordeaux, du 6 mai 2010, n° 2009…

6 mai 2010

Selon acte sous seing privé du 28 février 2005 les époux B. se sont portés acquéreurs auprès de M. B., gérant de la SARL BEILLEREAU, d'un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie, traiteur, chocolatier exploité à Andernos les Bains (33510) sous l'enseigne aux Saveurs d’Andernos moyennant un prix de 190.000 € sous conditions suspensives notamment d'obtention d'un prêt au plus tard le 31 mars 2005.

Les époux B. ont versé entre les mains du notaire chargé de rédiger l'acte authentique de vente une somme de 56.837 € à titre de dépôt de garantie.

La SARL BEILLEREAU a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire simplifié selon jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 23 mars 2005.

Ce redressement a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 27 avril 2005 avec poursuite d'activité jusqu'au 16 mai 2005, la SELARL MALMEZAT-PRAT étant désignée en qualité de mandataire liquidateur. 

Par requête du 29 avril 2005 le mandataire liquidateur de la SARL BEILLEREAU a saisi le juge-commissaire sur le fondement de l'article L. 622-18 du code de commerce aux fins de se voir autoriser à céder le fonds de commerce aux époux B. moyennant le prix de 190.000 € .

Par ordonnance du 4 mai 2005 le juge-commissaire a ordonné la cession du fonds de commerce de la SARL BEILLEREAU au profit des époux B..

Les époux B., contestant avoir formé une quelconque offre auprès du mandataire liquidateur et ne souhaitant pas poursuivre l'acquisition en raison de la procédure collective du vendeur, ont formé opposition à cette ordonnance et, par jugement du 14 septembre 2005, le tribunal de commerce de Bordeaux a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire du 4 mai 2005.

Par acte du 21 octobre 2005 la SELARL MALMEZAT-PRAT faisait délivrer aux époux B. une sommation de se présenter en l'étude du notaire pour signer l'acte authentique

de vente. Un procès-verbal de carence était établi par Me LAPEGUE, notaire, le 8 novembre 2005.

Par arrêt du 28 novembre 2006 la cour d'appel de Bordeaux a déclaré irrecevable l'appel diligenté par les époux B. à l'encontre du jugement du 14 septembre 2005.

Par arrêt du 27 mai 2008 la cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi formé par les époux B. à l'encontre de cet arrêt.

Sur saisine du mandataire liquidateur, par ordonnance du 20 juin 2007, le juge-commissaire à la liquidation de la SARL BEILLEREAU a autorisé la vente du fonds de commerce au profit de la SARL Pavé Saint Médard.

Les consorts F., bailleurs indivis des locaux dans lesquels était exploité le fonds de commerce, ont formé opposition à cette ordonnance en invoquant des loyers impayés malgré un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 15 juillet 2005 (loyers impayés de mai, juin, juillet 2005) et l'échéance du bail commercial au 31 juillet 2006.

Par jugement du 5 décembre 2007 le tribunal de commerce a constaté la renonciation de la SARL LE PAVE SAINT MEDARD à acquérir le fonds en l'absence de financement ainsi que l'accord intervenu entre la SELARL MALMEZAT-PRAT ès-qualités et le bailleur aux termes duquel le liquidateur acceptait d'abandonner le droit au bail du fonds de commerce de la SARL BEILLEREAU au profit des bailleurs en contrepartie de l'abandon par ces derniers des loyers impayés.

Au visa des articles L. 622-18 ancien du code de commerce et 1147 du code civil, par acte du 27 mai 2009, la SELARL MALMEZAT-PRAT ès-qualités a assigné les époux B. devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de les entendre condamner à lui payer une somme de 237.002,23 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de leur opposition à passer l'acte de cession du fonds de commerce des suites de l'ordonnance du juge-commissaire du 4 mai 2005 outre intérêts au taux légal de 8,5 % sur la somme de 198.341,65 € et au taux légal sur le solde de 38.160,58 € à compter du 1er juillet 2009 représentant :

- 190.000 € au titre de la privation du prix de vente

- 8.450,39 € représentant les dépenses réalisées entre le 5 mai 2005 et le 14 avril 2008 pour préserver le fonds

- les intérêts conventionnels de la créance nantie du Crédit Agricole sur le principal de 198.341,65 € déduction faite d'une somme de 26.655,52 € retirée de la vente aux enchères publiques du matériel et du mobilier garnissant le fonds.

Par jugement du 6 mai 2010 le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la SELARL MALMEZAT-PRAT de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à Mme B. la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SELARL MALMEZAT-PRAT ès-qualités a interjeté appel de ce jugement le 25 mai 2010.

Vu les dernières écritures signifiées le 23 mai 2011 par la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités, appelante, aux termes desquelles elle sollicite la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et que la Cour, au visa des articles L 622-18 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause, 1134,1146, 1147 et 1152 du code civil :

- constatant que le caractère parfait de la vente litigieuse ne peut plus être discuté depuis que l'ordonnance du juge commissaire a acquis force de chose jugée, constatant que dès le prononcé de cette ordonnance, exécutoire par provision, la venderesse était en droit de mettre en demeure les acquéreurs de respecter leurs obligations en réalisant la vente et en payant le prix, constatant enfin que l'intégralité du fonds de commerce, et notamment le droit au bail, a été préservé jusqu'à la transaction avec les bailleurs de décembre 2007, juge que les époux B. ont engagé leur responsabilité contractuelle en refusant de déférer à cette mise en demeure

- constatant que l'inexécution de leurs obligations a causé un préjudice dont l'indemnisation ne peut être limitée au montant de la clause pénale prévue à l'acte sous seing-privé puisque cet acte ne constitue pas le fondement de sa demande et que surabondamment ce montant est manifestement dérisoire, condamne les époux B. à lui payer ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL BEILLEREAU à titre de dommages et intérêts la somme principale de 237.002,23 € augmentée des intérêts au taux de 8,5 % sur 198.341,65 € et au taux légal sur le solde de 38.660,58 € à compter du 1er juillet 2009 et jusqu'à parfait paiement

- constatant l'attitude abusive des époux B. en première instance, les condamne à lui payer à titre de dommages et intérêts spécifiques la somme de 5.000 €

- condamne en outre les époux B. à lui payer la somme de 20.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières écritures signifiées le 6 juillet 2011 par les époux B., intimés, aux termes desquelles ils sollicitent que la Cour:

A titre principal,

- constate que par l'effet du commandement de payer en date du 15 juillet 2005 la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL BEILLEREAU a perdu tout droit au bail à compter du 16 août 2005

- en conséquence, juge que la sommation de passer acte délivrée aux époux B. le 21 octobre 2005 est dépourvue d'objet en raison de la perte d'un élément constitutif du fonds de commerce

- juge qu'ils avaient un motif légitime de refuser de passer l'acte de cession du fonds de commerce de la SARL BEILLEREAU

- déclare injustifiée l'action engagée à leur encontre par le mandataire liquidateur et l'en déboute

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où l'action engagée à leur encontre serait estimée justifiée,

- juge que seule l'indemnité forfaitaire conventionnellement prévue par le compromis de vente du 28 février 2005 peut être due et en conséquence, juge que les dommages et intérêts auxquels ils pourraient être condamnés ne peuvent excéder 19.000 €

En toute hypothèse,

- juge infondée la demande de dommages et intérêts spécifiques présentée par le mandataire liquidateur et l'en déboute

- déboute la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

- confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités à leur payer la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- y ajoutant, condamne la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL BEILLEREAU à leur payer la somme de 3.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture intervenue le 30 avril 2012,

SUR CE, LA COUR :

Par ordonnance du 4 mai 2005 le juge-commissaire, saisi par la mandataire liquidateur de la SARL BEILLEREAU sur le fondement de l'article L. 622-18 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 , a ordonné la cession au profit de M. Claude B. et de Mme Incarnation P. son épouse du fonds de commerce de boulangerie, pâtisserie, salon de thé, traiteur, chocolatier Aux Saveurs d’Andernos exploité ..., dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire, moyennant le prix de 190.000 € net vendeur, payable à la signature de l'acte de cession et dit que le transfert de propriété s'effectuera au jour de la prise de possession.

Sur appel des époux B., par jugement du 14 septembre 2005, le tribunal de commerce de Bordeaux a confirmé cette ordonnance.

L'appel diligenté par les époux B. à l'encontre de ce jugement a été déclaré irrecevable par arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 28 novembre 2006 et le pourvoi diligenté par les époux B. à l'encontre de cet arrêt a été déclaré non admis par décision de la cour de cassation du 27 mai 2008.

Il en résulte que l'ordonnance du juge-commissaire du 4 mai 2005 a acquis force de chose jugée et ne peut plus être remise en cause et que les premiers juges ne pouvaient motiver la décision entreprise en retenant que la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités n’a pas été saisie d'une offre directe, laquelle aurait dû en tout état de cause être déclarée nulle pour erreur substantielle sur la chose'.

Cela étant, la vente de gré à gré d'un élément d'actif du débiteur en liquidation judiciaire, ordonnée par le juge-commissaire sur le fondement de l'article L. 622-18 ancien du code de commerce, est parfaite dès l'ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée d'une part, ce qui est le cas en l'espèce, et de l'accomplissement des actes matériels de cession du bien en cause, d'autre part.

Il en résulte que le transfert de propriété au profit des cessionnaires n'est opéré que par l'intervention de l'acte authentique de vente, soit de manière volontaire, soit de manière forcée.

Or en l'espèce, aucun acte de vente n'a été signé entre la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités et les époux B., ceux-ci s'y étant opposés en indiquant par LRAR du 27 octobre 2005 qu'ils confirmaient leur décision de ne pas donner suite à cette affaire, s'interrogeant sur la réelle capacité du mandataire liquidateur à vendre le fonds de commerce et notamment à délivrer à l'acquéreur un bail commercial renouvelé à l'échéance du mois de juillet 2006.

Le mandataire liquidateur n'a par ailleurs entrepris à l'encontre des cessionnaires aucune action en justice aux fins d'obtenir un titre de vente opérant transfert de propriété et obligation de paiement du prix.

Le transfert de propriété du fonds litigieux ne s'est donc jamais opéré au profit des époux B..

Il est établi que par acte du 21 octobre 2005 la SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités a fait délivrer aux époux B. une sommation d'assister à la vente le 8 novembre 2005 à 14 H 30 en l'étude de M° LAPEGUE, les époux B. n'ayant pas déféré à cette sommation, et un procès-verbal de carence ayant été dressé par le notaire.

Or à cette date, les bailleurs indivis des locaux dans lesquels était exploité le fonds litigieux avaient fait délivrer le 15 juillet 2005 à la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités un commandement de payer l'arriéré de loyers des mois de mai, juin et juillet 2005 visant la clause résolutoire.

Des suites de ce commandement, la SELARL MALMEZAT PRAT a saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux par acte du 1er août 2005 aux fins d'en voir constater la nullité à titre principal, et subsidiairement, de voir suspendre les effets de la clause résolutoire et de se voir accorder un délai au regard de l'instance pendante devant la juridiction commerciale concernant la cession du fonds de commerce.

La SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités s'est désistée de cette instance et de son action par conclusions signifiées le 14 décembre 2007, un accord étant intervenu entre les parties et le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté ce désistement d'instance et d'action et le dessaisissement consécutif de la juridiction par ordonnance du 20 décembre 2007.

Dans l'intervalle, la SELARL MALMEZAT PRAT avait obtenu le 27 juin 2007 une nouvelle ordonnance du juge-commissaire autorisant cette fois la cession du même fonds de commerce à la SARL LE PAVE SAINT MEDARD et les bailleurs (co-indivisaires F.) l'avaient assignée par acte du mois d'août 2007, en présence des époux B., devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir constater que par l'effet de la clause résolutoire le bail se trouvait résilié à l'égard de la SELARL MALMEZAT PRAT depuis le 15 août 2005, aucun loyer courant n'étant réglé depuis le 1er mai 2005 et le commandement délivré le 15 juillet 2005 étant resté sans effet, sollicitant la libération des lieux.

Cet acte établit qu'à la date à laquelle la SELARL MALMEZAT PRAT avait fait sommation aux époux B. de comparaître devant le notaire pour établir l'acte authentique de cession emportant transfert de propriété, la clause résolutoire de plein droit visée au commandement du 15 juillet 2005 était considérée acquise par les bailleurs, aucune décision de suspension de ses effets n'étant intervenue, et ce, pour défaut de paiement des loyers dus par la SARL BEILLEREAU postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire depuis

le 1er mai 2005 et que par ailleurs aucun loyer n'a été réglé postérieurement à sa délivrance.

La situation restait inchangée au 28 février 2007 lors de la mise en demeure réitérée de passer l'acte de vente et de payer le prix du fonds adressée au conseil des époux B. le 28 février 2007 et aux époux B. eux-mêmes par courrier recommandé du 25 avril 2007.

Les consorts F. ne se sont désistés de cette instance en référé qu'en décembre 2007 selon ordonnance de dessaisissement du 3 décembre 2007.

Il ressort du jugement du tribunal de commerce du 5 décembre 2007, à la suite duquel les différents désistements susvisés ont été exprimés, que l'accord intervenu entre les bailleurs et la SELARL MALMEZAT PRAT, en dehors de toute participation des époux B., consistait en l'abandon par les bailleurs des loyers impayés par la SARL BEILLEREAU et la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités en contrepartie de l'abandon par la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités du droit au bail aux bailleurs et de la prise en charge de l'enlèvement du matériel et du nettoyage des lieux avant remise des clés dans la limite du prix de vente du matériel.

A la date de la sommation de comparaître devant le notaire pour signer l'acte authentique de cession du fonds de commerce, tout comme en mai 2007, les époux B. justifiaient donc d'un motif légitime et d'une cause étrangère exclusive de toute faute de leur part pour s'opposer à la signature de l'acte de vente et au paiement du prix, le droit au bail, élément essentiel du fonds de commerce, étant d'ores et déjà perdu du fait du non règlement des loyers par la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités depuis le 1er mai 2005 et de l'acquisition de la clause résolutoire depuis le 15 août 2005.

En conséquence, par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités de l'ensemble de ses demandes.

La SELARL MALMEZAT PRAT ès qualités qui succombe supportera les dépens d'appel.

Il n'apparaît pas en revanche équitable de mettre à sa charge une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel

Condamne la SELARL MALMEZAT PRAT ès-qualités de mandataire liquidateur de la SARL BEILLEREAU aux dépens d'appel avec autorisation de recouvrement direct en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.