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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 31 mai 2018, n° 17/00996

BOURGES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Notre Dame (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulquier

Conseillers :

M. Guiraud, M. Perinetti

TGI Nevers, du 20 juin 2017

20 juin 2017

Exposé :

Par ordonnance rendue le 15 novembre 2016, le président du tribunal de grande instance de Toulon a condamné Michel M. et la SA M. HOLDING à verser à la SCI Notre-Dame la somme de 117 542,39 €.

Selon acte du 1er février 2017, la SCI Notre-Dame a fait pratiquer une saisie vente de meubles corporels à l'encontre de Monsieur M..

Le 24 février suivant, celui-ci a assigné la SCI Notre-Dame devant le juge de l' exécution en demandant à ce dernier de prononcer la nullité de la saisie vente et de condamner la SCI à lui verser la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts.

Par jugement rendu le 20 juin 2017, le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Nevers a débouté Monsieur M. de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux entiers dépens.

Le juge de l' exécution a relevé, en effet, qu'il était justifié que suivant acte du 23 décembre 2016, il avait été procédé dans un exploit unique à la signification de l'ordonnance de référé servant de fondement aux poursuites et au commandement de payer exigé par les textes.

Il a relevé que le procès-verbal de saisie vente indiquait, jusqu'à preuve contraire, que l'occupant avait refusé l'accès des lieux et qu'il avait dû être procédé à une ouverture par un serrurier en présence d'une autorité de police, dont les nom, qualité et signature figuraient bien au procès-verbal.

Le juge de l' exécution a relevé, en outre, qu'il résultait de l'article 1413 du Code civil que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu peut être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Monsieur M. a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 30 juin 2017.

Le 12 décembre 2017, Monsieur M. a déposé une requête en inscription de faux sur le fondement des articles 306 et suivants du code de procédure civile.

Il demande en effet à la cour de dire, en application de l'article 307 du même code , que le procès-verbal en date du 1er février 2017 établi par Maître D. pour la société QUALIJURIS 58, huissiers de justice associés, est un faux et de condamner la SCI Notre-Dame à lui verser la somme de 3 000 € à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de sa requête, Monsieur M. soutient que l'huissier instrumentaire mandaté par la SCI a forcé la porte de son domicile le 1er février 2017 pour procéder à une saisie du mobilier, ce qui a eu pour effet de déclencher le système d'alarme.

Il précise n'avoir jamais été averti de la visite de l'huissier - à laquelle il ne se serait pas opposé.

Il soutient que le procès-verbal de saisie vente établi le 1er février 2017 par Maître D. est un faux puisqu'il contient de nombreuses mentions fausses et ne répond pas aux exigences de l'article R 221-16 du code des procédures civiles d' exécution .

En effet, alors même que l'huissier de justice a indiqué avoir dû faire procéder à l'ouverture forcée de la porte du domicile car Monsieur et Madame M. lui en auraient refusé l'accès, Monsieur M. soutient que personne n'était présent au domicile lorsque l'huissier s'y est présenté.

Il fait remarquer que l'huissier de justice a indiqué qu'il lui avait été répondu «il n'existe pas» à la question de savoir s'il existait des biens ayant fait l'objet d'une saisie antérieure, alors même que personne ne se trouvait au domicile à ce moment-là.

Il ajoute que le procès-verbal ne mentionne pas les nom, prénom et qualité des personnes qui ont assisté aux opérations de saisie - soit le brigadier E. et la personne accompagnant l'huissier prenant des photographies - contrairement aux exigences de l'article R 221-16, 7ème alinéa, du code des procédures civiles d' exécution .

Monsieur M. produit principalement un courrier électronique rédigé le 5 septembre 2017 par le commandant de police Étienne P., relatant les conditions dans lesquelles il a assisté Me D. le 1er février 2017.

La SCI Notre-Dame demande quant à elle à la cour de débouter Monsieur M. de l'ensemble de ses demandes et, à titre reconventionnel, de dire que la procédure d'inscription de faux relève de l'intention de nuire lui causant un préjudice justifiant de lui accorder une indemnité de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre la somme de 3 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI Notre-Dame estime que l'oubli par l'huissier de mentionner la présence de sa stagiaire ainsi que de l'assistant de l'officier de police judiciaire ne cause aucun préjudice à Monsieur M..

Elle ajoute que lorsque l'intervention de l'officier de police judiciaire s'avère superflue comme en l'espèce, l'absence d'indication de ses nom et prénom ne peut entraîner la nullité de l'acte.

La procédure a été communiquée au parquet général qui a indiqué s'en rapporter à droit le 7 mars 2018.

SUR QUOI :

Attendu qu'en application de l'article 306 du code de procédure civile, l'inscription de faux est formée par acte remis au greffe par la partie ou son mandataire muni d'un pouvoir spécial ; l'acte établi en double exemplaire doit, à peine d'irrecevabilité, articuler avec précision les moyens que la partie invoque pour établir le faux (') ; que selon l'article 308 du même code , il appartient au juge d'admettre ou de rejeter l'acte litigieux au vu des éléments dont il dispose, avec faculté, s'il y a lieu, d'ordonner toutes mesures d'instruction nécessaires ;

Qu'en l'espèce, le conseil de Monsieur M., dûment titulaire d'un pouvoir spécial établi par ce dernier le 11 décembre 2017, a déposé le lendemain au greffe de la cour une requête en inscription de faux visant le procès-verbal de saisie-vente établi le 1er février 2017 par Maître D., de la SELARL QUALIJURIS 58, huissiers de justice associés à Nevers, en soutenant que cet acte contenait diverses mentions erronées ;

Que l'examen de ce procès-verbal fait apparaître que l'huissier de justice a indiqué que l'accès au domicile de Monsieur M. lui avait été refusé, de sorte qu'il avait été contraint de faire procéder à l'ouverture forcée des portes ; qu'en effet, l'officier ministériel a coché la case «l'accès m'étant refusé» dans le paragraphe intitulé «ouverture forcée des portes» ainsi rédigé : «en l'absence de l'occupant du local ( ), ou de l'occupant de son chef ( ), ou l'accès m'étant refusé (x), j'ai fait ouvrir la porte par un serrurier requis à cet effet, en présence des personnes prévues à l'article L 142-1 de l'ordonnance numéro 2011-1895 du 19 décembre 2011. Mes opérations terminées, j'ai fait refermer la porte par ledit serrurier» ;

Que l'inexactitude de cette mention se trouve suffisamment établie par le courrier électronique rédigé le 5 septembre 2017 par le commandant de police Étienne P. - qui assistait l'huissier de justice lors de cet acte - lequel indique : «sur instructions du directeur départemental de la sécurité publique de la Nièvre, j'ai effectivement assisté Maître D. en ma qualité d'OPJ le 01/02/2017 afin de pénétrer dans le domicile des époux M.. Je confirme que la maison était inoccupée lorsque le serrurier a procédé à l'ouverture de la porte d'entrée (')» ;

Que la cour observe, d'ailleurs, que cette circonstance n'est pas contestée par la SCI Notre-Dame, laquelle indique dans ses écritures : «Michel M. refusait catégoriquement notamment par téléphone l'accès de son domicile à l'huissier. C'est ce qui a entraîné le recours à un serrurier dont l'intervention a été d'autant plus utile qu'au moment où l'huissier est intervenu, il n'y avait personne. Madame Dominique M., prévenue par le déclenchement de l'alarme, est donc revenue au domicile conjugal où elle a trouvé Me D.» ;

Qu'en raison de l'absence de Monsieur ou de Madame M. à leur domicile au moment de l'ouverture des portes, il est par ailleurs établi la fausseté des mentions de ce procès-verbal selon lesquelles l'huissier de justice, d'une part, «certifie avoir préalablement aux opérations de saisie réitéré verbalement la demande de paiement ainsi que les dispositions concernant les biens saisis et le délai de vente amiable» et, d'autre part, indique : «je vous informe qu'à défaut de paiement intégral, je vais procéder sur-le-champ à la saisie de vos biens. En outre, je vous mets en demeure de me faire connaître les biens ayant fait l'objet d'une saisie antérieure ayant conservé effet. À quoi il m'a été répondu par la partie saisie, à qui j'ai signifié le présent acte : il n'existe pas [une saisie antérieure en cours]» (page 2 du procès-verbal) ;

Qu'en outre, l'article R 221-16, 7° du code des procédures civiles d' exécution prévoit que l'acte de saisie doit comprendre l'indication, le cas échéant, des nom, prénom et qualité des personnes qui ont assisté aux opérations de saisie, lesquelles apposent leur signature sur l'original et les copies, sauf l'hypothèse de refus de leur part, auquel cas il doit en être fait mention dans l'acte ;

Que le procès-verbal litigieux mentionne, dans le paragraphe intitulé «ouverture forcée des portes» : «(') Les personnes suivantes m'ont prêté assistance (article R 221-16,7°) : Brice L., serrurier, Étienne P., OPJ (commandant)», sans mentionner la présence du brigadier E. et de la personne accompagnant l'huissier, ainsi que cela résulte du courrier électronique précité de Monsieur P. («(') Mon assistant était le brigadier E. Y. Me D. était effectivement accompagné d'une personne de son cabinet, laquelle a pris des clichés photographiques tout au long de l'intervention» (pièce numéro 3 du dossier de Michel M.) ;

Que la SCI ne peut utilement soutenir que l'intervention de la police aurait présenté un caractère superflu en l'espèce, de sorte que l'absence d'indication du nom et du prénom de Monsieur E. serait sans incidence, alors même qu'en application de l'article L 142 - 1 du code des procédures civiles d' exécution résultant de l'ordonnance numéro 2011 - 1895 du 19 décembre 2011, - expressément visé par l'huissier dans son acte - ce dernier ne pouvait pénétrer dans les lieux en l'absence de leurs occupants qu'en présence du maire de la commune, d'un conseiller municipal ou d'une autorité de police ou de gendarmerie requise pour assister au déroulement des opérations ou, à défaut, de deux témoins majeurs ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de faire droit à la requête en inscription de faux déposée par Monsieur M. visant le procès-verbal établi le 1er février 2017 par Maître D. ; qu'il devra être fait mention de la présente décision en marge dudit acte en application du premier alinéa de l'article 310 du code de procédure civile ;

Que l'équité commandera d'allouer au requérant une indemnité de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

- Déclare faux le procès-verbal de saisie vente établi le 1er février 2017 par Maître D. de la SELARL QUALIJURIS 58, huissiers de justice associés à Nevers ;

- Dit qu'il sera fait mention du présent arrêt en marge dudit acte ;

- Déboute la SCI Notre-Dame de ses demandes ;

- Condamne la SCI Notre-Dame à verser à Michel M. une indemnité de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure d'inscription de faux.