CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 29 septembre 2016, n° 15/16101
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
VS Partners (SARL), JPV Investissements (SARL)
Défendeur :
AJ Partenaires (Selarl), BTSG (SCP), Peek A Boo (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franchi
Conseillers :
Mme Picard, Mme Rossi
Le groupe Peek-A-Boo a été créé en 2010 dans le cadre d'une opération de LBO visant l'acquisition de la société Groupe BEABA, société holding de la société BEABA spécialisées dans la fabrication et la vente de matériel de puériculture. La société Peek-A-Boo a acquis en 2011 la société RED CASTLE France ayant la même activité dans une gamme complémentaire.
Les mauvaises performances de BEABA ont placé Peek-A-Boo dans l'impossibilité d'honorer les échéances de dette senior et son dirigeant, monsieur V. a sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc.
Le 29 janvier 2014 la présidence de la société Peek-A-Boo a été confiée à monsieur J., monsieur V. ayant été révoqué.
Une procédure de conciliation a ensuite été ouverte et Maître Picard a été désigné en qualité de conciliateur.
Un protocole de conciliation a été conclu le 22 décembre 2014 qui n'a pas reçu l'adhésion des investisseurs dirigeants d'origine en leur qualité d'actionnaires de Peek-A-Boo. C'est ainsi que la société Peek-A-Boo a sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde accélérée.
Le plan soumis aux créanciers puis au tribunal prévoyait la reconstitution des fonds propres de selon les modalités suivantes :
- une réduction du capital à zéro suivie d'une augmentation souscrite par compensation des créances d'OC suivie d'une augmentation de capital souscrite par compensation des créances d'OBSA suivie par une réduction du capital motivée par les pertes.
- l'émission d'emprunt obligataire d'un montant de 5.000.000 euros proposé à la souscription de tous les actionnaires,
- le réaménagement de la dette senior d'un montant de 27, 2 M€.
Ce plan a été soumis au vote du comité des établissements de crédit et assimilés et de l' assemblée unique des obligataires (AUO), aux assemblées des titulaires d'obligations convertibles et aux titulaires des BSA managers et des associés. L' assemblée unique des obligataires a approuvé le plan dans toutes ses dispositions et notamment celles relatives à la reconstitution des capitaux propres par la conversion de 100% des OC et de 100% des OCA le 6 mars 2015
Par jugement en date du 27 mars 2015, le tribunal a arrêté un plan de sauvegarde financière accélérée de la Sas Peek-A-Boo après avoir constaté que le comité des établissements de crédit a approuvé le plan dans toutes ses dispositions.
Par déclaration au greffe en date du 10 avril 2015 la Sas VS Partners et sept autres créanciers obligataires et actionnaires ont formé tierce opposition contre ce jugement.
Par jugement du 21 juillet 2015 le tribunal de commerce de Paris a déclaré la Sas VS Partners, la Sarl JPV Investissements, M. Jean-Paul V., M. Christophe B., M. Julien P., Mme Vanessa A., Mme Karine L. et Mme Elodie C. irrecevables en leur tierce opposition et les a condamné sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a relevé que les tiers opposants n'invoquaient pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers obligataires pour ce qui concerne le recours formé en leur qualité de créanciers obligataires et qu'en leur qualité d'actionnaires minoritaires ils étaient dans la même situation que tous les actionnaires. Le tribunal a également jugé que les tiers opposants n'établissaient pas que le jugement avait été rendu en fraude de leurs droits.
La Sas VS Partners, la Sarl JPV Investissements, M. Jean-Paul V., M. Christophe B., M. Julien P., Mme Vanessa A., Mme Karine L. et Mme Elodie C. ont interjeté appel de cette décision le 23 juillet 2015.
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Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 18 mai 2016 ils demandent à la cour d'appel de :
Vu les dispositions des articles L. 225-96 sur renvoi de L. 227-1, L. 626-10, L. 661-3, R. 661-2, L. 626-31 et L. 626-32 du Code de commerce ;
Vu les dispositions de l'article 1836 du Code civil ;
Vu la Jurisprudence ;
Vu les pièces versées aux débats ;
- Déclarer les appelants recevables et biens fondés en leur appel du jugement rendu le 21 juillet 2015 par le tribunal de commerce de Paris,
Y faisant droit,
- Réformer ledit Jugement,
Et statuant à nouveau,
- Déclarer la tierce opposition des appelants recevable et bien fondée ;
En conséquence :
- Rétracter totalement le jugement du 27 mars 2015 en ce qu'il a arrêté le plan de sauvegarde financière accélérée de la société Peek-A-Boo ;
- Condamner la société Peek-A-Boo à verser aux appelants la somme de 15.000 € au titre des frais irrépétibles.
- Condamner la même aux entiers dépens, distraits au profit de la Scp R. B. M. sur son affirmation de droit.
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La société Peek-A-Boo et la Selarl AJ Partenaires représentée par Maître Maurice P., ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde financière accélérée de la société Peek-A-Boo, ont signifié leurs conclusions par voie électronique le 18 mai 2016. Ils demandent à la cour d'appel de :
Vu les dispositions des articles :
- L228-54, L626-34-1, R626-63, L626-32 et L626-17 du Code de commerce,
- 1836 du Code civil,
- 583 du Code de procédure civile ;
Vu la jurisprudence citée,
- déclarer les demandeurs irrecevables en leur tierce opposition,
Et en tout état de cause les dire mal fondés,
En conséquence
- Débouter les tiers opposants de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
- Condamner solidairement les demandeurs à payer à la société Peek-A-Boo la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner solidairement les demandeurs aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la Scp AFG, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
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La Scp BTSG représentée par Maître G. a signifié ses conclusions le 21 décembre 2015. Elle demande à la cour d'appel de :
- déclarer les tiers opposants irrecevables et en tout état de cause les dire mal fondés, en conséquence les débouter de leurs demandes et les condamner solidairement à payer à Maître G., ès qualités, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
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Le ministère public a signifié son avis le 13 juin 2016. Il considère que la tierce opposition est irrecevable, les tiers opposants étant doublement représentés par le mandataire judiciaire d'une part et par le représentant de la masse d'autre part.
SUR CE
Sur la recevabilité à agir
Sur la recevabilité à agir en qualité de créanciers obligataires minoritaires
Les tiers opposants font valoir qu'au sein de la société Peek-A-Boo les créanciers obligataires étaient composés des associés porteurs d'obligations convertibles et du mezzaneur, porteur obligations à bons de souscription d'actions. Or la loi ne fait aucune différence entre les différents types de créanciers obligataires qui composent la masse, réunis dans une assemblée unique, l' assemblée unique des obligataires , et devant être traités de manière strictement identique. Cependant la lecture du jugement de sauvegarde montre que les créances OC des appelants sont convertis en actions ordinaires alors que les créances OBSA du mezzaneur sont converties en actions de préférence catégorie B (ADP B). Le plan prévoit que les titulaires d'ADP B bénéficient par rapport aux titulaires d'actions ordinaires d'un rang privilégié sur la répartition du prix de cession de la société Peek-A-Boo en cas de sortie. Il en résulte que les créanciers obligataires n'ont pas été traités de manière égalitaire, le mezzaneur ayant bénéficié d'un bien meilleur traitement.
Ils soutiennent que le dirigeant et l'associé majoritaire de cette société n'ont sollicité l'ouverture de la procédure de sauvegarde financière accélérée qu'aux seules fins de passer outre le refus des obligataires et associés minoritaires de régulariser le protocole de conciliation. L'objectif de la procédure de sauvegarde financière accélérée est d'imposer le plan de restructuration élaboré par les seuls majoritaires et établissements de crédit.
Ils affirment donc, en leur qualité de créanciers obligataires minoritaires, détenir un droit propre justifiant la recevabilité de leur tierce-opposition.
La société Peek-A-Boo et la Selarl AJ Partenaires font valoir que les appelants n'invoquent aucun préjudice et aucun moyen distincts de celui qu'aurait subi la masse des obligataires. Ils ont été traités de la même façon que les autres porteurs d'OC.
De plus les intérêts de la masse sont défendus par son représentant. Or les tiers opposants sont titulaires d'obligations convertibles au titre de deux emprunts obligataires émis par la société Peek-A-Boo en 2010 et en 2011. Par une décision du 29 septembre 2014 l' assemblée générale des obligataires OC2010 et OC2011 ont voté chacune la nomination de la société Vigny Participations en qualité de représentant de la masse pour une durée indéterminée avec les pouvoirs de gestion les plus étendus en vue de la défense des intérêts des porteurs d'obligations et intenter toutes actions en justice au nom des porteurs d'obligations.
Il en résulte que la tierce opposition ne pouvait être exercée que par le représentant de la masse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La société Peek-A-Boo et la Selarl AJ Partenaires ajoutent que sous couvert de tierce opposition les appelants cherchent a contester les décisions prises par l'AUO le 6 mars 2015 ce qu'ils se sont abstenus de faire dans le délai de 10 jours de l'article R 626-63 du code de commerce.
La Scp BTSG fait valoir que les tiers opposants sont irrecevables à agir. Ils n'invoquent aucun préjudice distinct de celui qu'aurait subi la masse des obligataires puisqu'ils n'ont pas été traités différemment des autres obligataires titulaires d'obligations convertibles en actions. En tout état de cause les intérêts de la masse ne sont défendus que pas son représentant, en l'espèce la société Vigny Participation. La tierce opposition ne pouvait être exercée que par le représentant de la masse après y avoir été dûment autorisé par l' assemblée générale des obligataires .
De même ils sont irrecevables en raison du non-respect des dispositions de l'article L 626-34-1 du code de commerce selon lequel les créanciers ne peuvent former une contestation qu'à l'encontre de la décision du comité ou de l' assemblée dont ils sont membres.
La cour rappelle qu'aux termes des dispositions de l'article L 626-32 du code de commerce relatives à la sauvegarde financière accélérée, l' assemblée unique des obligataires délibère sur le projet de plan adopté par les comités de créanciers.
Ce n'est que lorsque le projet de plan obtient l'approbation des comités de créanciers et de l' assemblée des obligataires qu'il est présenté au tribunal.
En l'espèce, le comité des établissements de crédit a approuvé le projet le 6 mars 2015 puis le projet a été soumis à l' assemblée unique des obligataires qui a approuvé le plan de sauvegarde avec 95, 43 % des voix, soit à plus de la majorité des deux tiers du montant des créances obligataires détenues par les porteurs ayant exprimé leur vote.
La cour relève que les assemblées des titulaires d'obligations convertibles en actions 2010 et celle des titulaires d'obligations convertibles en actions 2011 ainsi que l' assemblée des titulaires BSA Managers et l' assemblée de la collectivité des associés se sont réunies le même jour afin de voter sur la mise en oeuvre des diverses opérations de réduction et augmentation du capital social telles que figurant dans le plan. Les assemblées d' obligataires ont notamment désigné la société Vigny Participation en qualité de représentant de la masse des obligataires .
Aux termes de l'article L 626-34-1 du code de commerce 'Le tribunal statue dans un même jugement sur les contestations relatives à l'application des articles L 626-30 à L 626-32 et sur l'arrêté ou la modification du plan.
Les créanciers ne peuvent former une contestation qu'à l'encontre de la décision du comité ou de l' assemblée dont ils sont membres'.
L'article R 626-63 du code de commerce dispose que le créancier obligataire a un délai de dix jours pour contester le vote de l' assemblée unique des obligataires .
La cour observe en premier lieu que les appelants étaient représentés par le représentant de la masse des obligataires et qu'ils n'ont donc pas qualité à agir sauf à établir qu'ils auraient un intérêt distinct de celui de l'intérêt collectif des créanciers obligataires . Pour ce faire ils soutiennent qu'ils sont traités différemment du mezzaneur, porteur d'OBSA, et que la loi ne fait aucune différence entre ces différents obligataires au sein de la masse alors que le plan prévoit que les OC sont convertis en actions ordinaires et que les OBSA du mezzaneur sont converties en actions de préférence.
Il ressort cependant de la composition de la masse des créanciers obligataires que le mezzaneur (Indigo) porteur d'OBSA n'est pas majoritaire (21 M€), le porteur d'obligations majoritaire étant la société Bridge Point (BPSF) pour 33 M€.
Les appelants porteurs d'OC au même titre que la société BPSF étaient de ce fait majoritaires et ne justifient donc pas d'une intérêt distinct de celui de la masse des obligataires, représentée par la société Vigny Participations.
La cour observe en deuxième lieu qu'en vertu des textes précités les appelants auraient dû exercer leur recours à l'encontre de la décision prise par l' assemblée unique des obligataires , composée par une majorité d' obligataires ayant des droits identiques aux leurs.
Ainsi, et quand bien même les appelants auraient un intérêt distinct de celui des autres obligataires, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ils sont tenus d'exercer leur recours à l'encontre de la décision prise par l' assemblée unique des obligataires , ce recours étant alors examiné par le tribunal dans la même instance que celle arrêtant le plan. En l'absence d'un tel recours les appelants sont forclos à exercer un recours contre la seule décision arrêtant le plan et notamment une tierce opposition.
La tierce opposition des appelants en leur qualité d' obligataires est donc irrecevable.
Sur la recevabilité à agir en qualité d'associés minoritaires
Les appelants font valoir en premier lieu que le dirigeant de la société, monsieur J., ne représentait pas les associés mais la société. En effet sa nomination aux fonctions de président est contestée judiciairement, il a un intérêt personnel et patrimonial opposé aux associés minoritaires aux opérations de restructuration , il n'a pas hésité à faire de fausses déclarations aux associés minoritaires lors de la procédure de conciliation. Au surplus, tout associé s'avère recevable et bien fondé à exercer seul une demande de nullité du plan dès lors que celui-ci le contraint à augmenter ses engagements au sein de la société sans son consentement exprès, en contradiction avec les dispositions des articles L. 626-10 alinéa 3, et L. 225-96 sur renvoi de L. 227-1 du Code de commerce dans une SAS, ainsi que 1836 alinéas 2 du Code civil.
La société Peek-A-Boo et la Selarl AJ Partenaires font valoir que les associés sont réputés être représentés à l'instance par le dirigeant social. La tierce opposition n'est pas ouverte aux associés dont la responsabilité est limitée à concurrence de leur apport. Ils ajoutent que la cour d'appel a confirmé l'ordonnance de référé du 14 novembre 2014 par un arrêt du 23 février 2016 déboutant les demandeurs de leur contestation de la nomination de monsieur J.. Enfin, la demande n'est pas non plus recevable sur le fondement de l'article 1836 alinéa 2 du code civil dès lors qu'aucune augmentation de leurs engagements d'associés n'est induite par la mise en oeuvre du plan de SFA.
La Scp BTSG soulève l'irrecevabilité de la tierce opposition en qualité d'associés, ces derniers étant représentés à l'instance par le dirigeant social.
La cour relève que monsieur J. est le dirigeant de la société et que tant qu'il conserve cette qualité il représente les associés. Les actions diligentées par les appelants pour contester sa nomination n'ont pour l'instant donné lieu à aucune décision qui serait exécutoire. Une telle action n'est pas suffisante pour ôter à monsieur J. sa qualité de dirigeant social et donc de représentant des associés.
La cour note au demeurant que le plan ne prévoit aucune augmentation des engagements des actionnaires. La conversion des obligations en capital aura pour effet éventuellement d'augmenter les engagements des obligataires mais non celle des actionnaires.
Ils sont donc également irrecevables à agir en cette qualité.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
La société Peek-A-Boo sollicite le paiement de la somme de 8.000 euros sur ce fondement.
La Scp BTSG, représentée par Maître G., ès-qualités, sollicite le paiement de la somme de 5.000 euros à ce titre.
Il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais exposés non compris dans les dépens. Il sera donc fait droit aux demandes.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 21 juillet 2015,
Condamne solidairement la Sas VS Partners, la Sarl JPV Investissements, M. Jean-Paul V., M. Christophe B., M. Julien P., Mme Vanessa A., Mme Karine L. et Mme Elodie C. à payer à la société Peek-A-Boo la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne solidairement la Sas VS Partners, la Sarl JPV Investissements, M. Jean-Paul V., M. Christophe B., M. Julien P., Mme Vanessa A., Mme Karine L. et Mme Elodie C. à payer à la Scp BTSG, représentée par Maître G., ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Peek-A-Boo la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la Sas VS Partners, la Sarl JPV Investissements, M. Jean-Paul V., M. Christophe B., M. Julien P., Mme Vanessa A., Mme Karine L. et Mme Elodie C. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.