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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 17 octobre 2017, n° 17/01407

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LE FONDS FCPR CAP DECISIF 2, RÉGIONALE ET INTERDEPARTEMENTALE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE SA 'SORIDEC' (Sté), LE FONDS FCPI MASSERAN INNOVATION I, LE FONDS FCPI MASSERAN INNOVATION II, LE FONDS FCPI MASSERAN PATRIMOINE INNOVATION 2009, LE FONDS FCPI MASSERAN PATRIMOINE INNOVATION 2010, LE FONDS FCPI MASSERAN INNOVATION III, LE FONDS FCPI MASSERAN PATRIMOINE INNOVATION 2011, LE FONDS FCPI MASSERAN INNOVATION IV, JEREMIE LR (Sté), LE FONDS FCPR INNOVACOM 6, FONDS RÉGIONAL DE CO INVESTISSEMENT ILE DE FRANCE (FRCI), SILKAN SA (Sté), SILKAN RT (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GUIHAL

Conseillers :

Mme SALVARY, M. LECAROZ

Evry, du 15 déc. 2016

15 décembre 2016

Le 1er août 2011, M. G. a déposé en France un brevet d'invention dénommé « Dispositif pour échanger les données entre au moins deux applications » enregistré sous le numéro FR1102398, publié et délivré le 8 février 2013 sous le numéro FR2978850. Ce brevet a fait l'objet de demandes d'extension de protection aux Etats-Unis et dans certains pays de l'Union Européenne.

Le 1er septembre 2011, M. G. a conclu un contrat de licence exclusive d'exploitation du brevet du 1er août 2011 avec la société FG DEVELOPPEMENT. Le même jour, un contrat de sous-licence d'exploitation du même brevet a été signé entre FG DEVELOPPEMENT et la société SILKAN RT, modifié par un avenant du 5 janvier 2013 prévoyant de nouvelles modalités financières de redevance au profit de la société SILKAN RT.

Le 29 juin 2012, un pacte d'actionnaires a été signé entre la société ARION ENTREPRISE, dont M. G. était l'un des fondateurs et président directeur général jusqu'au 30 juin 2012, la société HPS PROJECT et les demandeurs (les investisseurs). Selon ce pacte, la société ARION ENTREPRISE est devenue la société SILKAN RT tandis que la société HPS PROJECT est devenue la société SILKAN SA. Des investisseurs et des actionnaires externes ont fait un apport en fonds propres dans la société SILKAN SA érigée en holding du groupe.

Le même pacte d'actionnaire prévoyait le transfert à la société SILKAN SA de tout brevet nécessaire à son activité ainsi qu'une garantie d'actif et de passif et une promesse de porte-fort de M. G..

M. G. a été embauché le 3 juillet 2012 par la société SILKAN SA en tant que « Directeur du Domaine Temps Réels et Produits Embarqués », ainsi que président du conseil d'administration et directeur général de la société SILKAN RT à compter du 1er juillet 2012.

En 2015, la société SILKAN SA a changé de direction et les relations entre cette dernière et M. G. se sont dégradées jusqu'à ce que celui-ci démissionne de ses mandats de président directeur général et d'administrateur de la société SILKAN RT le 11 février 2016.

Par lettre du 9 décembre 2015, les investisseurs ont mis en demeure M. G. d'avoir à transférer à la société SILKAN RT dans un délai de huit jours la pleine propriété du brevet déposé le 1er août 2011, dont ils soutenaient avoir récemment découvert que M. G. était détenteur à son nom personnel, ce qui constituait, selon les investisseurs, une violation du pacte d'actionnaire du 29 juin 2012.

Sur autorisation du président du tribunal de commerce d'Evry obtenue le 21 avril 2016, les investisseurs ont assigné à bref délai M. G. le 4 mai suivant.

Les investisseurs ont demandé à titre principal que M. G. soit condamné sous astreinte à transférer à la société SILKAN RT la propriété des brevets et demandes de brevets suivants :

- la demande de brevet français enregistrée sous le numéro FR1102398 le 1er août 2011 et publiée sous le numéro FR2978850 le 8 février 2013,

- la demande de brevet européen enregistrée sous le numéro EP12751558.3 le 24 juillet 2012 et publiée sous le numéro EP2740039 le 11 juin 2014,

- la demande de brevet américain enregistrée sous le numéro US201214236705 le 24 juillet 2012 et publiée sous le numéro US2014164665,

- la demande de brevet international enregistrée sous le numéro PCT/FR2012000303 le 24 juillet 2012 et publiée sous le numéro WO2013017744 le 7 février 2013 sauf à ce qu'il soit démontré qu'elle soit effectivement devenue caduque.

Ils ont demandé, à titre subsidiaire, de condamner M. G. à leur payer la somme globale de 66,5 millions d'euros en réparation de leur préjudice financier.

Dans ses conclusions du 22 septembre 2016, M. G. a soulevé, in limine litis, l'incompétence du tribunal de commerce d'Evry au profit du tribunal de grande instance de Paris en application de l'article L. 615- 17 du code de la propriété intellectuelle.

Par jugement du 15 décembre 2016, le tribunal de commerce d'Evry s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal de grande instance de Paris et a réservé les dépens.

Les investisseurs ont formé contredit le 27 décembre 2016.

Dans leurs dernières conclusions du 5 septembre 2017 , soutenues à l'audience du 12 septembre 2017 , les investisseurs demandent à la cour d'infirmer le jugement, de dire que seul le tribunal de grande instance d'Evry est compétent pour connaître le litige les opposant à M. G. et de renvoyer l'affaire à cette juridiction.

Dans ses dernières conclusions du 12 septembre 2017 , soutenues à l'audience du même jour, M. G. demande à la cour de confirmer le jugement, de dire que seul le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour connaître du litige, de condamner in solidum les demandeurs à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

SUR QUOI ,

Sur la compétence matérielle

Considérant que selon l'article L. 615- 17 du code de la propriété intellectuelle, « Les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention, y compris dans les cas prévus à l'article L. 611-7 ou lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire, à l'exception des recours formés contre les actes administratifs du ministre chargé de la propriété industrielle qui relèvent de la juridiction administrative. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle au recours à l'arbitrage, dans les conditions prévues aux articles 2059 et 2060 du code civil. Les tribunaux de grande instance mentionnés au premier alinéa du présent article sont seuls compétents pour constater que le brevet français cesse de produire ses effets, en totalité ou en partie, dans les conditions prévues à l'article L. 614-13 du présent code » ; que depuis le décret n°2009-1205 du 9 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Paris est le seul compétent pour juger du contentieux en matière de brevets d'invention, et plus généralement pour tous les titres régis par le livre relatif à la protection des inventions et des connaissances techniques du code de la propriété intellectuelle, à l'exception des obtentions végétales ;

Mais considérant que la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris ne s'applique pas lorsque la demande est fondée sur des droits qui n'impliquent aucun examen de l'existence ou de la méconnaissance d'un droit attaché à un brevet ; que ne relèvent du contentieux de l'article précité que les litiges qui puisent leurs éléments de solution dans des règles posées par la loi répondant à la finalité spécifique de la technique des brevets, à l'exclusion des instances fondées sur une règle tirée du droit commun des contrats, y compris lorsqu'elles sont relatives à l'exécution des clauses d'un contrat de licence ou de sous-licence ne mettant pas en cause le droit des brevets ;

Considérant que les investisseurs demandent la condamnation de M. G. à exécuter de manière forcée et sous astreinte et, subsidiairement, à le voir condamner à leur payer des dommages-intérêts sur le fondement :

- à titre principal, du pacte d'actionnaire du 29 juin 2012 concernant les brevets nécessaires à l'activité et au développement de l'activité de la société SILKAN SA,

- à titre subsidiaire, des fautes commises par M. G. à raison de déclarations mensongères et de manœuvres dolosives commises par lui sur des brevets lors des opérations d'investissement ;

Considérant que ces demandes sont fondées sur les règles tirées du droit commun des contrats et de la responsabilité qui n'obligent pas d'analyser les droits résultant de la protection des inventions et des connaissances techniques, tels qu'ils résultent du Livre VI du code de la propriété intellectuelle ; que contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, le litige ne met pas en cause la technique du brevet, la technologie impliquée, l'existence du brevet et la revendication de celui-ci, lesquelles ne sont pas discutées par les investisseurs ; que n'est pas plus discutée la continuité des contrats de licence ou de sous-licence et les droits qui y sont attachés ; que la circonstance que certains brevets sont expirés ou ont été renouvelés postérieurement à l'introduction de l'instance devant le tribunal de commerce n'est pas contestée par les investisseurs qui précisent qu'ils adapteront leurs demandes en fonction des droits attachés aux brevets qui demeurent parfaitement identifiables ; que seule est discutée l'application du pacte d'actionnaire, et plus particulièrement la promesse de porte-fort souscrite par M. G., qui s'était engagé à transférer les brevets dès lors qu'ils étaient nécessaires à l'activité de la société SILKAN SA ; que cette appréciation, qui ne demande aucune analyse du droit des brevets résultant du Livre VI du code de la propriété intellectuelle, relève du contentieux commercial de droit commun, les demandes des investisseurs étant fondées uniquement sur la violation par M. G. de ses obligations résultant du pacte d'actionnaire et de son obligation de contracter cette convention de bonne foi ; que ces demandes sont indépendantes du droit spécifique des brevets de sorte qu'aucune connexité ne peut être invoquée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes des investisseurs ne relèvent pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris ;

Sur la compétence territoriale

Considérant que l'article VI.8 du pacte d'actionnaires stipule que « Les litiges auxquels pourraient donner le Pacte, ou qui pourront en être la suite ou la conséquence, et qui n'auront pu être réglés par une transaction seront soumis à la compétence exclusive du Tribunal de Commerce de Paris » ;

Considérant que selon l'article 48 du code de procédure civile, « Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée » ;

Considérant que M. G., qui ne se prévaut pas de la qualité de commerçant, a conclu un acte isolé ayant un caractère commercial et ne peut se voir attribuer la qualité de commerçant de ce seul fait ; que la clause attributive de compétence précitée doit donc être réputée non écrite ; que c'est donc à bon droit que les investisseurs ont assigné M. G. demeurant [...], devant le tribunal de commerce d'Evry, territorialement compétent pour être la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en application de l'article 42, alinéa 1er, du code de procédure civile ; qu'il en résulte que ce tribunal est territorialement compétent ;

Considérant que succombant à l'instance, M. G. est débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et doit être condamné aux dépens ;

PAR CES MOTIFS ,

Infirme le jugement,

Dit que le tribunal de commerce d'Evry est compétent pour connaître du litige,

Renvoie l'affaire au tribunal de commerce d'Evry,

Rejette la demande de M. G. fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamne aux dépens.