Cass. com., 1 juillet 2020, n° 19-11.337
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocats :
Me Le Prado, SARL Cabinet Briard, SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 22 novembre 2018), par deux actes authentiques du 30 janvier 2012, la SCI Sofival-Lentilly (la société Sofival), société civile de construction vente ayant pour gérant M. L..., a souscrit auprès de la société Banque Rhône Alpes (la banque) un prêt de 330 000 euros pour l'acquisition d'un terrain à Lentilly, remboursable le 31 janvier 2014, en garantie duquel la banque bénéficie du privilège de prêteur de deniers, ainsi qu'une ouverture de crédit de 170 000 euros ayant pour objet le financement d'opérations de construction, remboursable à la même date, en garantie duquel la banque bénéficie d'une hypothèque conventionnelle inscrite sur l'immeuble de la société.
2. Le 14 janvier 2014, la société Sofival a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde qui a été convertie en liquidation judiciaire le 11 mars 2014, la société MDP, devenue la société Alliance MJ, étant désignée liquidateur. La banque a déclaré au passif des créances qui ont été admises à concurrence des sommes de 400 816,66 euros à titre privilégié et échu, et 3 408 000 euros à titre chirographaire non échu.
3. Par une requête du 15 novembre 2017, le liquidateur a demandé au juge-commissaire l'autorisation de céder de gré à gré les immeubles dépendant de la liquidation judiciaire au profit de la société Tivilia, au prix de 605 000 euros, sur le fondement de l'article L. 642-18 du code de commerce. Par une ordonnance du 18 janvier 2018, non notifiée à la banque, le juge-commissaire a autorisé cette vente. Le 6 juin 2018, la banque a formé un recours contre cette décision, devant la cour d'appel, sur le fondement de l'article R. 642-37-1 du code de commerce, en demandant, à titre principal, l'annulation de l'ordonnance et le renvoi de l'affaire devant le juge-commissaire pour un nouvel examen et, subsidiairement, qu'il soit dit que le prix de cession prévu n'était pas un « prix réel et sérieux ».
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, quatrième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer son recours irrecevable, alors :
« 1°/ que le recours contre les ordonnances du juge-commissaire rendues en application de l'article L. 642-18 du code de commerce est formé devant la cour d'appel ; que ce recours est ouvert aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par ces décisions ; que le créancier hypothécaire, tout comme le créancier privilégié inscrit sur l'immeuble cédé est recevable à former le recours devant la cour d'appel prévu par l'article R. 642-37-1 du code de commerce ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que par acte authentique en date du 30 janvier 2012, la banque, en garantie du remboursement du prêt d'un montant de 330 000 euros consenti à la société Sofival, a bénéficié d'un privilège de prêteur de deniers et que par acte authentique du même jour, la banque, en garantie de l'ouverture de crédit d'un montant de 170 000 euros, a bénéficié d'une hypothèque conventionnelle de 2e rang inscrite sur l'immeuble situé à Lentilly ; qu'en déclarant irrecevable le recours exercé devant la cour d'appel par la banque à l'encontre de l'ordonnance rendue le 18 janvier 2018 par le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Lyon ayant autorisé la cession de gré de l'ensemble immobilier propriété de la société Sofival, aux motifs que la banque ne pouvait se limiter à invoquer sa qualité de créancier hypothécaire et devait faire la démonstration d'une atteinte effective à ses droits, la cour d'appel a violé les articles L. 642-18, L. 642-19-1 et R. 642-37-1 du code de commerce ;
2°/ que le recours contre les ordonnances du juge-commissaire rendues en application de l'article L. 642-18 du code de commerce est formé devant la cour d'appel ; que ce recours est ouvert aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par ces décisions ; que le juge commissaire est chargé de veiller à la protection des intérêts en présence ; que la violation d'un principe essentiel de procédure suffit à caractériser l'intérêt à agir tant du créancier inscrit que du créancier chirographaire quand bien même le liquidateur judiciaire est partie à l'instance ; qu'en énonçant, pour déclarer irrecevable le recours formé par la banque à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire ayant autorisé la cession de gré à gré au profit de la société Tivilia de l'ensemble des lots demeurés invendus dépendant de l'ensemble immobilier propriété de la société Sofival, que « comme le souligne la Selarl Alliance MJ qui rappelle que la société Banque Rhône Alpes ne justifie pas que ses droits et obligations "autres que ceux représentés par le liquidateur judiciaire » son affectés, la défense de l'intérêt collectif des créanciers est en effet confiée de manière exclusive au liquidateur judiciaire, qu'aucun texte n'impose qu'elle soit consultée, qu'à ce titre elle ne peut invoquer une atteinte à ses droits et que ses développements sur le respect du contradictoire à l'égard du débiteur sont sans effet sur la caractérisation de l'atteinte à ses propres droits et obligations", la cour d'appel a violé les articles L. 642-18, L. 642-19-1 et R. 642-37-1 du code de commerce, ensemble l'article L. 621-9, alinéa 1er, du même code ;
3°/ que le juge-commissaire statue sur la vente après avoir recueilli les observations des contrôleurs et entendu ou dûment appelé le débiteur et son conjoint, lorsque celui-ci se trouve dans l'une des situations prévues à l'article R. 641-30, ainsi que le liquidateur ; qu'en énonçant, pour déclarer irrecevable le recours formé par la banque à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire, que « ses développements sur le respect du contradictoire à l'égard du débiteur sont sans objet car l'ordonnance entreprise précise clairement l'accord du débiteur » et que « le dirigeant, M. F... L..., a été interrogé sur l'opportunité de cette vente et a formulé son accord par envoi du 15 novembre 2017 » sans constater que M. F... L..., en sa qualité de gérant de la société Sofival, avait été entendu ou dûment appelé par le juge-commissaire, la cour d'appel a violé l'article R. 642-36-1 du code de commerce, ensemble les articles L. 642-18, L. 642-19-1 et R. 642-37-1 du code de commerce ;
4°/ que le juge-commissaire statue sur la vente après avoir recueilli les observations des contrôleurs et entendu ou dûment appelé le débiteur et son conjoint, lorsque celui-ci se trouve dans l'une des situations prévues à l'article R. 641-30, ainsi que le liquidateur ; qu'en énonçant, pour déclarer irrecevable le recours formé par la banque à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire, que ses développements sur le respect du contradictoire à l'égard du débiteur sont sans objet car l'ordonnance entreprise précise clairement « l'accord du débiteur » et que « le dirigeant, M. F... L..., a été interrogé sur l'opportunité de cette vente et a formulé son accord par envoi du 15 novembre 2017 » sans rechercher, bien qu'y ayant été invitée, si, dans son courriel en date du 15 novembre 2017, M. F... L..., en réponse à une correspondance non versée aux débats, s'interrogeait lui-même sur le très faible montant du prix de cession transmis par le liquidateur en indiquant : « Ce prix est très en dessous de ce qui était prévu initialement mais je suppose que dans le cadre d'une vente en bloc et au surplus dans le contexte de la liquidation, ce prix doit être acceptable. Donc je ne peux que vous confirmer mon accord pour cette vente », de sorte que cet accord avait pu être influencé par le liquidateur judiciaire et qu'il incombait par conséquent au juge-commissaire de s'assurer lui-même de la position exprimée par le débiteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 642-36-1 du code de commerce, ensemble les articles L. 642-18, L. 642-19-1 et R. 642-37-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, si un créancier hypothécaire a qualité pour former le recours prévu par l'article R. 642-37-1 du code de commerce contre l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente de l'immeuble hypothéqué, il doit justifier, en outre, de son intérêt à agir en démontrant que ses droits et obligations sont affectés par cette décision. Tel n'est pas le cas lorsque le prix de vente de l'immeuble fixé par le juge-commissaire permet le paiement intégral de la créance hypothécaire.
7. Après avoir constaté que les créances de la banque avaient été admises au passif de la procédure collective, les unes à titre hypothécaire, les autres à titre chirographaire, et que l'ordonnance frappée du recours avait été rendue en application de l'article L. 642-18 du code de commerce, l'arrêt énonce d'abord exactement qu'en application de l'article R. 642-37-1 précité, il appartient à la banque de faire la démonstration de cette atteinte pour contester la décision entreprise, sans pouvoir se limiter à invoquer sa qualité hypothécaire. L'arrêt retient ensuite qu'en sa qualité de créancier hypothécaire, la banque ne conteste pas qu'elle sera désintéressée totalement de sa créance privilégiée par la répartition du prix de la cession autorisée par l'ordonnance entreprise. L'arrêt retient en outre que la banque ne peut se prévaloir de sa créance chirographaire et des chances qu'elle a en d'en être désintéressée dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire pour caractériser un intérêt personnel à agir en critiquant une décision qu'elle dit contraire aux intérêts des créanciers, et qu'elle ne justifie pas que ses droits et obligations « autres que ceux représentés par le liquidateur judiciaire » sont affectés, cependant que la défense de l'intérêt collectif des créanciers est confiée de manière exclusive au liquidateur judiciaire. L'arrêt retient enfin que, si la banque se prévaut d'une rupture du contradictoire et déplore que ses observations n'aient pas été sollicitées sur le projet de cession de gré à gré, aucun texte n'impose qu'elle soit consultée, qu'elle ne peut donc invoquer à ce titre une atteinte à ses droits et que ses développements sur le respect du principe de la contradiction à l'égard du débiteur sont sans effet sur la caractérisation de l'atteinte à ses propres droits et obligations. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que, dès lors que la banque ne caractérisait pas son intérêt à agir, ni une atteinte effective à ses droits, son recours était irrecevable, que ce soit en sa qualité de créancier chirographaire ou en sa qualité de créancier hypothécaire.
8. En second lieu, seul le débiteur en liquidation judiciaire a qualité pour se prévaloir d'une irrégularité tenant au fait qu'il n'a pas été entendu ou dûment appelé devant le juge-commissaire, conformément aux dispositions de l'article R. 642-36-1 du code de commerce. Il s'ensuit que, dès lors qu'elles émanent de la banque créancière de la société débitrice Sofival, les critiques des troisième et quatrième branches sont irrecevables.
9. Par conséquent, le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.