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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 13 avril 2015, n° 13/05987

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pollet

Conseillers :

Mme Wolf, Mme Fabreguettes

TI Strasbourg, du 13 nov. 2013

13 novembre 2013

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 16 février 2011 assorti de l’exécution provisoire, M. et Mme P. ont été condamnés solidairement à payer à M. et Mme D. la somme de 14 654,85 euros au titre de l'inexécution de leurs obligations contractuelles, la somme de 5 000 euros en réparation d'un préjudice de jouissance et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement a été signifié à M. Antoine P. le 12 avril 2011 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.

Le 1er juillet 2011, M. et Mme D. ont fait procéder à la saisie-attribution de sommes détenues sur les comptes ouverts au nom de M. P. à la Société générale à Bordeaux, pour paiement de la somme principale de 14 654 euros.

La saisie-attribution a été dénoncée à M. P. le 7 juillet 2011 par dépôt en l'étude de l'huissier.

Le 25 août 2011, les époux D. ont fait signifier à la Société générale un acte d'acquiescement de M. P. à la saisie-attribution dans la limite de 8 000 euros.

Le 7 juin 2012, un commandement de payer aux fins de saisie-vente a été signifié à M. P. pour paiement du solde de 22 691,80 euros en principal intérêts et frais, avec tentative de saisie-vente.

Le 26 juillet 2012 M. Antoine P. a assigné M. Emmanuel D. et Mme Carole B., épouse D., devant le juge de l' exécution de Strasbourg aux fins de voir prononcer la nullité de l'assignation du 6 septembre 2010 devant le tribunal de grande instance de Bordeaux et de la signification du jugement, pour non-respect des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, la nullité des actes d' exécution subséquents et de se voir restituer la somme de 8 000 euros, subsidiairement aux fins de se voir accorder des délais de paiement.

Par jugement du 13 novembre 2013, le juge de l'exécution de Strasbourg a débouté M. P. de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens de l'instance ainsi qu'à payer aux époux D. la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

*

M. P. a interjeté appel de cette décision le 17 décembre 2013.

Par dernières écritures du 7 juillet 2014, il conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

- prononcer la nullité de l'assignation du 6 septembre 2010,

- dire et juger non avenu le jugement réputé contradictoire et en premier ressort du tribunal de grande instance de Bordeaux du 16 février 2011,

- prononcer la nullité de l'ensemble des actes d’exécution subséquents,

- condamner solidairement M. et Mme D. à lui restituer la somme indue de 8 000 euros versée suite à la saisie-attribution du 1er juillet 2011, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- condamner solidairement M. et Mme D. à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à communiquer les actes de procédure et pour les irrégularités commises lors de la procédure d’exécution forcée,

- condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et pour avoir fait pratiquer des voies d’exécution en violation de la loi,

- condamner solidairement les intimés à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il demande subsidiairement les plus larges délais de paiement.

Il fait valoir qu'il n'a pu obtenir le jugement et les actes de significations avant l'assignation délivrée aux consorts D. ; que l'huissier n'a pas effectué toutes les démarches nécessaires avant de signifier les actes à son dernier domicile connu ; que l'huissier aurait pu en l'espèce retrouver son adresse ; que, lors de son déménagement à Strasbourg, il a informé les administrations de son transfert d'adresse ; que le jugement non régulièrement signifié dans un délai de six mois est non avenu.

Il soutient que le fait d'avoir acquiescé à la saisie-attribution ne le prive pas de l'action en répétition de l'indu dans la mesure où son consentement pour le versement de la somme de 8 000 euros a été surpris ; que l’exécution est fondée sur le jugement non avenu et est donc nulle.

Subsidiairement, il sollicite des délais de paiement en faisant valoir que la tardiveté de sa contestation n'est due qu'au fait qu'il n'a pu, malgré demande répétée, obtenir les procès-verbaux de signification de l'assignation devant le tribunal de Bordeaux, de signification du jugement et du procès-verbal de saisie-attribution à l'origine des mesures d’exécution ; qu'il a subi un préjudice de ce fait.

*

Par dernières écritures du 6 mai 2014, M. et Mme D. concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté leur demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, et sollicitent à ce titre condamnation de M. P. à leur payer la somme de 1 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

Ils demandent très subsidiairement que les montants perçus par eux soient consignés auprès de la Caisse des dépôts et consignations par versements mensuels de 200 euros.

Ils réclament en tout état de cause condamnation de l'appelant à leur payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que l'appelant ne conteste pas être leur débiteur ; qu'il s'est cependant soustrait à ses obligations ; que le fait qu'il n'ait pas reçu les documents qu'il réclame lui est uniquement imputable ; que l'huissier a fait des démarches suffisantes pour le rechercher ; que le jugement régulièrement signifié dans les six mois de son prononcé est définitif ; que la demande en restitution de l'indu est infondée, la saisie ayant été pratiquée sur la base d'un titre exécutoire.

Ils soulignent le caractère dilatoire de la demande de délais et soutiennent que les documents demandés ont été communiqués au conseil de l'appelant, qui ne justifie pas de ses ressources.

Ils font valoir que la mauvaise foi de M. P., qui avait reconnu la dette et s'était engagé à la payer, et sa résistance abusive leur causent un préjudice justifiant l'allocation de dommages et intérêts.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 26 janvier 2015.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'appel principal :

La validité des actes d'huissier

L'assignation devant le tribunal de grande instance de Bordeaux

En vertu des dispositions de l'article 659, alinéa 1, du code de procédure civile , lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.

Il est constant que M. P. a été assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux selon les modalités de l'article 659 précité.

Il est précisé dans le jugement rendu le 16 février 2011que l'huissier a dressé un procès-verbal de carence et a satisfait aux prescriptions légales après avoir accompli toutes diligences pour rechercher le destinataire de l'acte.

Le tribunal de grande instance de Bordeaux ayant ainsi statué sur la régularité de l'assignation, c'est à juste titre que le premier juge a constaté qu'il ne lui appartenait pas d'effectuer un nouveau contrôle, la compétence du juge de l’exécution étant limitée à l'appréciation du caractère exécutoire de la décision.

La signification du jugement du 16 février 2011 et les actes subséquents

Il ressort des mentions portées sur l'acte de signification à M. P. du jugement du 16 février 2011, en date du 12 avril 2011, que l'huissier de justice s'est adressé au gardien de la résidence où M. P. habitait en dernier lieu, lequel lui a confirmé qu'il n'y résidait plus depuis de très nombreux mois. L'huissier a aussi effectué des recherches dans les pages blanches du département de la Gironde, qui se sont avérées infructueuses.

M. P., qui n'a fait aucune démarche pour faire connaître son changement d'adresse et n'a pas fait suivre son courrier, soutient que l'huissier aurait pu le retrouver en demandant un extrait de son acte de naissance.

Si l'huissier doit effectuer des diligences pour rechercher le destinataire de l'acte, il ne lui appartient en revanche pas de mener une véritable enquête.

De plus, si l'acte de naissance produit par l'appelant porte bien mention de ce qu'il a divorcé par jugement du 18 mai 2010, il n'est pas démontré en quoi cette mention aurait permis à l'huissier de retrouver l'adresse de l'intéressé, étant précisé que, selon les indications de M. P., l'adresse qu'il avait donnée lors de la procédure de divorce n'était pas la sienne, mais celle de son père.

L'appelant ne peut pas plus arguer de ce que, dans une autre procédure, un huissier aurait pu le convoquer à son adresse pour un état des lieux de sortie, dans la mesure où M. et Mme D. n'étaient pas parties à cette procédure et où ils n'avaient aucune connaissance de ce qu'une autre étude d'huissier avait pu avoir communication de cette adresse.

Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d’exécution n'avaient pas vocation à s'appliquer, seul l'huissier chargé de l' exécution pouvant obtenir des administrations, départements, communes' les renseignements permettant de déterminer l'adresse du débiteur. En l'espèce, l'huissier, au moment de la signification du jugement, n'était pas détenteur d'un titre exécutoire et ne pouvait pas se prévaloir de ces dispositions. C'est donc vainement que M. P. fait valoir qu'il avait communiqué sa nouvelle adresse à Strasbourg à l'administration des impôts, l'huissier ne pouvant avoir accès à cette information.

Les actes qui ont pour le surplus été signifiés à M. P. à sa nouvelle adresse à Strasbourg l'ont été par un huissier précisément chargé de recouvrer une créance à la demande du Trésor public.

Il ressort de ces éléments que l'huissier de justice a effectué des diligences suffisantes pour tenter de signifier le jugement à la personne de M. P. ; qu'il est établi que, compte tenu des renseignements dont l'huissier pouvait disposer, il n'était pas possible pour lui de trouver la nouvelle adresse de l'appelant.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir constater le caractère non avenu du jugement du 16 février 2011 ainsi que la demande subséquente de nullité des actes d’exécution entrepris, la décision fondant les mesures d' exécution ayant été régulièrement signifiée au débiteur.

La demande en restitution de l'indu est pour ce motif non fondée, la saisie-attribution, à laquelle l'appelant a de surcroît expressément acquiescé, ayant été opérée conformément aux dispositions de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d' exécution .

La demande de dommages et intérêts

La décision déférée sera de même confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande en dommages et intérêts formée par M. P..

En effet, les différents actes de la procédure lui ayant été régulièrement signifiés, il lui appartenait de faire procéder au suivi de son courrier afin d'en obtenir la copie qui lui était destinée. Par ailleurs, M. P. a obtenu de l'huissier de justice une copie du jugement selon courrier du 5 juillet 2011 et aucun préjudice imputable à faute aux époux D. n'est démontré.

La demande de délais de paiement

Concernant la demande de délais de paiement, il sera constaté que M. P. ne donne aucune indication sur sa situation financière et ne produit aucune pièce à ce propos.

Par courrier du 28 octobre 2011, son conseil avait indiqué que M. P. entendait assumer les obligations découlant du jugement du 16 février 2011 dans la mesure de ses capacités financières et avait proposé de s'acquitter de la totalité de la dette moyennant versement de 700 euros par mois.

Bien que ces modalités aient été acceptées par les créanciers le 27 février 2012, l'appelant n'a effectué aucun paiement sur une dette qu'il n'a pas contestée au fond.

Compte tenu de cette situation et du fait que le débiteur a bénéficié de larges délais de fait, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de délais de paiement.

Sur l'appel incident :

L'attitude de l'appelant, qui s'était reconnu débiteur des sommes allouées par le tribunal de grande instance de Bordeaux dans le jugement du 16 février 2011 , caractérise une résistance abusive causant aux époux D. un préjudice distinct de celui pouvant être réparé par les intérêts de retard courant sur leur créance.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté leur demande en dommages et intérêts et, statuant à nouveau sur ce point, de condamner M. P. à leur payer la somme de 1 000 euros à ce titre, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les frais et dépens :

M. P. succombant en la procédure sera condamné aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer aux intimés la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats publics,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts formée par les époux D.,

Statuant à nouveau sur ce point,

CONDAMNE M. Antoine P. à payer à M. Emmanuel D. et Mme Carole B., épouse D., ensemble, la somme de 1 000 euros (mille euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. Antoine P. à payer à M. Emmanuel D. et Mme Carole B., épouse D., ensemble, la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. Antoine P. aux dépens de l'instance d'appel.