Cass. 3e civ., 1 juillet 2015, n° 13-28.366
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mas
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Le Bret-Desaché
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 28 février 2013 et 24 octobre 2013), que, le 30 mai 2007, la société Foncière Saint-Honoré a formé une offre d'achat de l'immeuble mis en vente par l'Association nationale des chambres syndicales, dite Fédération française de carrosserie (la Fédération) ; qu'après sommation infructueuse à la Fédération de signer la promesse de vente, le procès-verbal de carence dressé le 10 septembre 2007 a été publié à la conservation des hypothèques ; que le 3 octobre 2007, la Fédération a consenti une promesse unilatérale de vente du même immeuble au bénéfice, après substitution, de la société civile immobilière FPL II et expirant le 10 décembre 2007, date repoussée par les parties jusqu'au 30 juin 2008 ; que, le 8 octobre 2007, la société Foncière Saint-Honoré a assigné la Fédération en perfection de la vente et, le 24 décembre 2008, la société FPL II a assigné la Fédération aux mêmes fins ; que ces deux instances ont été jointes ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que les dernières conclusions de la société Foncière Saint-Honoré et de la Fédération avant la clôture de l'instruction ne contenaient aucun moyen nouveau auquel la société FPL II n'ait pas été en mesure de répondre, relevé que celles des 1er et 2 juillet 2013 répondaient seulement au moyen nouveau tiré de l'aveu judiciaire dans les conclusions de cette société du 28 juin 2013 et respectaient le calendrier fixé et souverainement retenu qu'il n'était justifié d'aucune cause grave pour révoquer l'ordonnance de clôture, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que les conclusions de la société Foncière Saint-Honoré et de la société FPL II postérieures à l'ordonnance de clôture étaient irrecevables, a légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société FPL II fait grief à l'arrêt de dire que la promesse de vente du 3 octobre 2007 était devenue caduque de son fait depuis le 30 juin 2008 et de la condamner à payer à la Fédération l'indemnité d'immobilisation, alors, selon le moyen :
1°/ qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, en particulier à l'encontre des parties contre lesquelles elles n'ont pas conclu en première instance ; qu'en l'espèce, après n'avoir formulé aucune demande contre l'exposante en première instance, et avoir au contraire conclu au caractère parfait de la vente de l'immeuble à l'exposante, la Fédération a conclu en appel aux fins de voir constater la caducité de la promesse de vente du 3 octobre 2007 et d'obtenir le paiement de la somme de 300 000 euros à titre d'indemnité d'immobilisation ; qu'en s'abstenant de relever l'irrecevabilité de ces demandes qui n'étaient pas de simples moyens, comme cela lui était demandé, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ;
2°/ que la notion d'évolution du litige est étrangère à la recevabilité des demandes formées en appel contre une personne qui était partie au procès devant le tribunal ; qu'en autorisant la Fédération à présenter de nouvelles prétentions contre l'exposante, qui était partie en première instance, « compte-tenu de l'évolution du litige », la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile ;
3°/ que l'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait et ne peut être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit ; qu'en l'espèce, en première instance, la Fédération avait conclu qu'elle avait « toujours consenti à régulariser la vente » et qu'elle était donc « prête à vendre le bien dans le strict respect des termes de la promesse signée le 3 octobre 2007 » ; qu'il s'agissait là d'un aveu portant sur son consentement à la vente dans les termes de la promesse, et donc sur un point de fait et non sur un point de droit, aveu qui ne pouvait pas être révoqué, de sorte qu'en jugeant que cet aveu porterait sur un point de droit et qu'il devrait donc être écarté, la cour d'appel a violé l'article 1356 du code civil par refus d'application ;
4°/ que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, la société FPL II dénonçait, dans ses écritures, le comportement de la Fédération ayant consisté à se contredire en concluant en appel à la caducité de la promesse du 3 octobre 2007 alors qu'elle avait conclu en première instance à la conclusion de la vente en exécution de cette promesse, la société FPL II soutenant à ce titre que la demande formée en appel était irrecevable du fait de cette contradiction ; qu'en se bornant à constater que la société FPL II n'invoquait pas l'interdiction procédurale de se contredire sans procéder elle-même à cette qualification qui s'évinçait des conclusions de l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
5°/ que la contradiction au détriment d'autrui, dans la même procédure, ce qui est de nature à induire l'adversaire en erreur, emporte fin de non recevoir ; qu'en jugeant pourtant que la Fédération, après avoir conclu en première instance à la conclusion de la vente conformément à la promesse du 3 octobre 2007, était recevable à conclure de manière parfaitement contradictoire, en appel, à la caducité de cette promesse, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la société FPL II n'avait pas soutenu que la demande de la Fédération contrevenait à l'interdiction de se contredire, relevé que l'aveu judiciaire ne pouvait porter sur des points de droit et que ses règles ne pouvaient pas s'appliquer à l'analyse juridique quant à l'existence du contrat et au droit de propriété à laquelle la Fédération s'était livrée en première instance et retenu que cette société pouvait présenter de nouveaux moyens propres à faire triompher sa thèse, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas soutenu que la demande de la Fédération était irrecevable, a pu déduire de ces seuls motifs que sa demande de constatation de la caducité de la promesse de vente pouvait être accueillie ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société FPL II fait grief à l'arrêt de dire que la promesse de vente du 3 octobre 2007 était devenue caduque depuis le 30 juin 2008 de son fait et de la condamner à payer à la Fédération l'indemnité d'immobilisation, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut pas méconnaître la loi des parties ; qu'en l'espèce, la promesse du 3 octobre 2007 avait prévu une purge de toute inscription ou publication hypothécaire et prévu que le délai de réalisation de la promesse, et donc de paiement du prix, serait prorogé jusqu'à ce que tous les documents nécessaires à la régularisation de l'acte authentique soient fournis au notaire rédacteur de l'acte ; qu'ainsi, tant que n'était pas produit un état hypothécaire faisant état d'une absence d'inscription, le délai de la promesse était prorogé, de sorte que le bénéficiaire n'avait pas à payer le prix, ces termes de la promesse ayant été expressément rappelés et prorogés par l'acte du 23 janvier 2008 ; qu'en jugeant pourtant que la promesse était caduque faute pour l'exposante d'avoir payé le prix le 30 juin 2008 sans rechercher, comme cela lui était demandé, si avait été produit à cette date un état hypothécaire faisant état d'une absence d'inscription et si, en l'absence d'une telle production, le délai de réalisation de la promesse (et donc de paiement du prix) n'avait pas été prorogé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
2°/ que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en jugeant qu'en faisant sommation à la Fédération d'avoir à signer l'acte de vente le 30 juin 2008, l'exposante aurait entendu faire son affaire de la situation créée par la réclamation de la société Foncière Saint-Honoré puisqu'elle savait que le 30 juin, la publication du procès-verbal de carence publié à la requête de la société Foncière Saint-Honoré ne serait pas radiée, motif impropre à caractériser sans équivoque la volonté de la société FPL II de renoncer à son droit d'exiger que la vente soit réalisée sans inscription ou publication hypothécaire et que soit produite une pièce en justifiant préalablement au paiement du prix, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que la promesse de vente du 3 octobre 2007 n'avait pas fait du paiement du prix une condition suspensive de la promesse, mais une simple modalité de la réalisation de la vente ; que par conséquent, le défaut de paiement du prix ne pouvait pas être sanctionné par la caducité de la promesse ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1168 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'en l'absence de modalités prévues pour la levée de l'option, celle-ci devait, comme stipulé par la promesse, avoir lieu par la signature de l'acte authentique avec le paiement du prix et des frais par chèque de banque, relevé que la lettre d'intention et sous condition d'un organisme bancaire, alors produite par la société FPL II, ne satisfaisait pas aux exigences de la promesse de vente et retenu, sans se fonder sur une renonciation de la société FPL II au droit à une vente sans inscription ou publication hypothécaire, que cette société, qui savait qu'au 30 juin 2008 la publication du procès-verbal de carence ne serait pas radiée, faisait son affaire de cette situation en levant l'option et en faisant sommation à la Fédération de signer l'acte authentique à cette date, la cour d'appel a pu en déduire que la promesse de vente était devenue caduque ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
Attendu que pour confirmer la condamnation de la société Foncière Saint-Honoré à verser des dommages-intérêts à la Fédération, l'arrêt retient que la société Foncière Saint-Honoré demandait l'infirmation du jugement de ce chef sans s'en expliquer autrement et que la Fédération, qui ne formait aucune observation sur ce point et se limitait à dire qu'elles avaient entendu régler leur différend en dehors de l'instance, n'avait pas expressément renoncé à cette prétention ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la Fédération demandait la réformation du jugement sans solliciter la condamnation de la société Foncière Saint-Honoré à lui payer des dommages-intérêts, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt rendu le 28 février 2013 par la cour d'appel de Paris ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Foncière Saint-Honoré à verser la somme de 149 946, 64 euros de dommages-intérêts à la Fédération française de carrosserie, l'arrêt rendu le 24 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société FPL II aux dépens du pourvoi principal et l'Association nationale des chambres syndicales, dite Fédération française de carrosserie aux dépens du pourvoi incident ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société FPL II à payer la somme de 3 000 euros à l'Association nationale des chambres syndicales, dite Fédération française de carrosserie ; condamne l'Association nationale des chambres syndicales, dite Fédération française de carrosserie, à payer la somme de 3 000 euros à la société Foncière Saint-Honoré ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille quinze.