Cass. com., 2 février 2016, n° 14-20.747
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Fédou
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Foussard et Froger
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Sill fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande de cession des actions à son profit irrecevable pour défaut de qualité à agir alors, selon le moyen :
1°/ que lorsqu'un tiers entend se substituer à l'acquéreur en usant d'un droit de préemption, soit en dehors du champ d'application de ce droit, soit en contrariété avec les conditions de fond et de forme permettant sa mise en oeuvre, l'acquéreur, illégalement évincé, est en droit de demander au juge de constater l'irrégularité de la mise en oeuvre du droit de préemption à l'effet de se prévaloir de l'accord intervenu à son profit ; qu'en estimant le contraire, pour décider qu'une telle demande était irrecevable, les juges du fond ont violé les articles 31 du code de procédure civile et 1134 du code civil ;
2°/ que si antérieurement à la mise en oeuvre du droit de préemption l'acquéreur n'a effectivement pas de lien de droit avec le tiers qui entend exercer le droit de préemption, il demeure que, une fois que le tiers a manifesté la volonté d'user d'un droit de préemption, l'acquéreur évincé est la cible de l'acte unilatéral aux termes duquel le tiers entend exercer ce droit ; qu'à ce titre, il peut incontestablement agir devant le juge pour faire constater l'irrégularité de l'acte unilatéral aux termes duquel le titulaire du droit de préemption a entendu user de ce droit ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 31 du code de procédure civile et 1134 du code civil ;
3°/ que dès lors qu'il est évincé, l'acquéreur a nécessairement intérêt à agir, à l'effet de faire constater l'irrégularité de l'acte aux termes duquel le tiers entend user de son droit de préemption, et cet intérêt lui donne qualité pour agir ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 31 du code de procédure civile et 1134 du code civil ;
4°/ que si même il fallait faire abstraction de ce qui précède, de toute façon, étant la cible du droit de préemption et la mise en oeuvre de ce droit de préemption ayant pour objet et en tout cas pour effet de l'évincer, l'acquéreur a nécessairement qualité pour faire statuer sur l'irrégularité de l'acte aux termes duquel la préemption est mise en oeuvre ; qu'à tous égards, l'arrêt encourt la censure au regard des articles 31 du code de procédure civile et 1134 du code civil ;
Mais attendu que si l'acquéreur évincé a intérêt à l'annulation de la préemption prévue par les statuts, il n'a pas qualité pour agir à cette fin ; qu'ayant relevé que la société Sill, tiers à la convention de préemption, n'avait aucun lien de droit avec le bénéficiaire de celle-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société n'avait pas qualité pour agir en nullité de la décision de préemption ainsi qu'en cession des actions à son profit ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Sill fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen, qu'en leur article 9-1, les statuts de la société Nutribio instituant un droit de préemption énonçaient : « les associés n'appartenant pas au groupe du cédant disposeront d'un délai d'un mois à compter de la réception de la délégation de cession, pour notifier (...) aux autres associés, ainsi qu'au président du conseil leur intention : (i) - d'exercer le droit de préemption et de se porter acquéreur de la totalité des actions à céder, et ce au prix de transaction, (ii) - d'exercer pour ce même prix leur droit de sortie conjointe pour un nombre d'actions calculées au prorata du nombre d'actions dont le cédant envisage la cession » ; que le propre d'une préemption est de substituer le tiers, qui dispose du droit de préemption, aux droits et obligations de l'acquéreur qu'il évince ; que si la clause visait le prix et les actions comprises à la cession, elle restait silencieuse sur les autres conditions auxquelles devait adhérer le tiers titulaire du droit de préemption pour user de ce droit, sachant qu'en cas de préemption, il y a substitution pure et simple du tiers à l'acquéreur évincé et reprise dans tous les droits et obligations conclus entre le vendeur et l'acquéreur évincé ; qu'ainsi les juges du fond étaient tenus de se livrer à un travail d'interprétation face à une clause lacunaire ; qu'en refusant de se livrer à ce travail d'interprétation, pour s'en tenir aux énoncés formels de la clause, pourtant équivoque du seul fait des obligations attachées à l'idée de préemption, les juges du fond ont violé les articles 4 du code civil et 12 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt constate que si l'article 9.1 des statuts de la société Nutribio impose à l'associé non cédant de notifier dans les formes et délais prescrits son intention d'exercer son droit de préemption et de se porter acquéreur des actions à céder au prix de transaction, il ne comporte aucune autre obligation ni restriction quant aux modalités de paiement du prix ou à la date du transfert de propriété, lesquelles relèvent de la seule volonté des associés cédant et cessionnaire ; qu'ayant exactement retenu que les statuts, qui avaient seuls vocation à s'appliquer, n'imposaient pas au bénéficiaire du droit de préemption de se substituer à l'acquéreur évincé dans toutes les modalités accessoires de son offre, la cour d'appel, qui a fait application de stipulations claires et dépourvues d'ambiguïté, ne nécessitant donc aucune interprétation, a statué à bon droit ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.