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Décisions

AMF, 15 octobre 2009, n° SAN-2010-02

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

AMF n° SAN-2010-02

15 octobre 2009

I. FAITS ET PROCEDURE

Le Groupe EIFFAGE (« EIFFAGE »), 8ème groupe en matière de construction et de concessions en Europe, est une entreprise cotée au premier marché Euronext Paris.

Le 28 février 2006, le groupe E a déclaré avoir franchi à la hausse, le même jour, les seuils de 5 % du capital et des droits de vote de la société EIFFAGE (5,02 % du capital et 5,2 % des droits de vote). Le 9 mars 2006, E a déclaré avoir franchi à la hausse le seuil de 10 % (10,01 % du capital et 10,38 % des droits de vote). Enfin, le 5 avril 2006, E a déclaré (i) avoir franchi à la hausse les seuils de 15, 20 et 25 %, respectivement les 29, 30 et 31 mars 2006, et (ii) détenir au 5 avril 2006 13 759 882 actions représentant 30,6965 % du capital et 31,8181 % des droits de vote de la société EIFFAGE.

Au cours du mois de mars 2006, des rumeurs ont circulé sur le marché au sujet des intentions de E de prendre une participation importante dans le capital d’EIFFAGE et le cours de l’action a progressé de manière très significative, passant de 88 € le 27 février 2006 à 145,20 € le 5 avril 2006, soit une hausse de 65 %.

Dans ces circonstances, le 13 avril 2006, le Secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture d’une enquête sur le marché du titre EIFFAGE et de tout produit financier qui lui serait lié à compter du 1er décembre 2005. Plus précisément, l’enquête visait à déterminer dans quelle mesure la montée très rapide de E dans le capital d’EIFFAGE, entre le 15 décembre 2005 (date des premières acquisitions de titres EIFFAGE par E) et le 19 avril 2006 (date de l’assemblée générale d’EIFFAGE), aurait pu être coordonnée avec les interventions d’autres acteurs sur le marché du titre EIFFAGE sur la même période.

Il ressort du rapport d’enquête, établi par la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés (« DESM ») de l’AMF le 8 octobre 2007, qu’il existerait « un faisceau d’indices sérieux tendant à montrer que (…) (A, C et B), qui sont intervenues sur le titre EIFFAGE au cours du 1er trimestre 2006, l’auraient fait sur la base d’une information privilégiée, possiblement à la suite de la mise au point d’une stratégie avec E qui les aurait informées de son intention de prendre une participation importante dans EIFFAGE pour être en mesure, notamment, de demander des sièges au conseil d’administration de la société lors de l’Assemblée générale de cette dernière prévue pour le 19 avril 2006 ». S’agissant de D, sans participer de façon aussi claire au ramassage concerté de titres EIFFAGE, elle aurait néanmoins exploité, selon le rapport d’enquête, cette information privilégiée pour réaliser des plus-values non négligeables.

Conformément à l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, ce rapport d'enquête a été examiné par la Commission spécialisée n° 3 du Collège de l’AMF, lors de sa séance du 20 novembre 2007.

Au vu du rapport d’enquête et sur décision de la Commission spécialisée n° 3, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 14 janvier 2008, notifié les griefs qui leur étaient reprochés respectivement à A, B, C et D.

En substance, il est reproché à A, B, C et D d’avoir, utilisé, à des dates - différentes selon les (…) - situées en janvier ou février 2006, une information privilégiée relative à « (…) l’intention de la société E de prendre une participation importante au capital d’EIFFAGE, destinée à lui permettre de peser sur la stratégie du groupe et de commencer à mettre en œuvre ce projet ».

Les notifications de griefs relèvent qu’un faisceau d’indices concordant démontre que les achats d’actions EIFFAGE réalisés par A, B, C et D, sur la période considérée, ne peuvent s’expliquer que par la détention de l’information privilégiée précitée.

Copie des notifications de griefs a été transmise au Président de la Commission des sanctions par lettre du 17 janvier 2008, conformément à l’article R. 621-38 du Code monétaire et financier.

Mme Marielle COHEN-BRANCHE a été désignée en qualité de Rapporteur par décision du Président de la Commission des sanctions du 12 février 2008, ce dont A, B, C et D ont été informées par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 4 mars 2008, leur précisant la faculté d’être entendues à leur demande, conformément à l’article R. 621-39-I. du Code monétaire et financier.

Le 18 avril 2008, Maîtres Diane PASTUREL et Henri BRANDFORD-GRIFFITH ont déposé des observations dans l’intérêt de A, B et C et Maître Arnaud de LA COTARDIERE dans l’intérêt de D.

Par lettres du 15 mai 2008, Maîtres Diane PASTUREL et Henri BRANDFORD-GRIFFITH ont demandé à Mme Marielle COHEN-BRANCHE de procéder à l’audition de A, B et C.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 19 novembre 2008, le Secrétariat de la Commission des sanctions de l’AMF a adressé un courrier à chaque (…) mise en cause les informant, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 décembre 2008, de la possibilité de récuser le Rapporteur dans les conditions prévues aux articles R. 621-39-2 et suivants du Code monétaire et financier.

Mme Marielle COHEN-BRANCHE a entendu les personnes mises en cause qui en avaient formulé la demande à savoir M. Z, en sa qualité de Directeur général adjoint de A, le 28 avril 2009, M. Y, actuellement Directeur général adjoint de B et Directeur financier de cette même (…) à l’époque des faits litigieux, le 6 mai 2009, et M. X, sous-Directeur général de C en charge des opérations financières, le 6 mai 2009.

Mme Marielle COHEN-BRANCHE a déposé son rapport le 28 août 2009, adressé le lendemain à A, B, C et D par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, qui les convoquait en application du III de l’article R. 621-39 du Code monétaire et financier, à la séance de la Commission des sanctions du 15 octobre 2009.

Le 16 septembre 2009, Maître Arnaud de LA COTARDIERE a déposé des observations en réponse au rapport du Rapporteur dans l’intérêt de D.

Le 22 septembre 2009, A, B, C et D ont été avisées, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, de la composition de la Commission des sanctions et de leur possibilité de récuser, dans un délai de quinze jours un ou plusieurs de ses Membres, dans les conditions prévues aux articles R. 621-39- 2 et suivants du Code monétaire et financier.

II. MOTIFS DE LA DECISION

Considérant qu’il est reproché à A, B, C et D d’avoir acheté, sur la période considérée, des quantités importantes de titres EIFFAGE en utilisant une information privilégiée relative à « l’intention de la société E de prendre une participation importante au capital d’EIFFAGE destinée à lui permettre de peser sur la stratégie du groupe et de commencer à mettre en œuvre ce projet (…) » ;

Considérant qu’aux termes de l’article 622-1 du Règlement général de l’AMF, dans sa version issue de l’arrêté du 30 décembre 2005 applicable aux faits de l’espèce : « toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés » ; qu’une information privilégiée est définie par l’article 621- 1 du même Règlement, comme « l’information précise qui n’a pas été rendue publique » et « qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une incidence sensible sur le cours » du titre ;

Sans qu’il soit besoin pour la Commission des sanctions de rechercher si l’information qu’il est fait grief à A, B, C et D d’avoir utilisée présentait les caractères d’une information privilégiée ;

Considérant que la détention de l’information privilégiée peut être établie, soit par une preuve tangible soit, à défaut, par un faisceau d’indices concordants desquels il résulte que seule la détention de l’information privilégiée peut expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé ;

Considérant que selon les notifications de griefs adressées à A, B, C et D, la détention de l’information privilégiée serait établie par un faisceau d’indices tenant (i) au fait que les achats de titres EIFFAGE par les caisses mises en cause étaient « sans commune mesure » avec leurs « investissements habituellement réalisés dans des sociétés étrangères et a fortiori françaises », (ii) à l’absence d’explications solides et détaillées sur les raisons de leur investissement dans EIFFAGE, et (iii) à l’existence de liens professionnels étroits entre ces (…) d’une part, et des relations entretenues par ces dernières avec E, d’autre part ;

Considérant qu’il y a lieu pour la Commission des sanctions d’examiner chacun de ces indices avant de rapprocher les conclusions qui pourraient en être retenues ;

Considérant, s’agissant du premier indice, qu’il résulte de l’instruction que les acquisitions de titres EIFFAGE sur la période considérée par les (…) mises en cause ne revêtaient aucun caractère inhabituel tant en termes de volume qu’en termes de secteurs d’investissement par rapport aux opérations que ces (…) avaient pour habitude de faire pour des investissements du même type ; que par exemple A a investi dans une société portugaise à hauteur de 180 millions d’euros le même jour que celui où elle achetait des titres EIFFAGE à hauteur de 150 millions d’euros ;

Considérant, s’agissant du deuxième indice, que les (…) mises en cause rapportent la preuve que leur investissement au sein d’EIFFAGE poursuivait un objectif propre et cohérent en relation notamment avec la nouvelle configuration d’EIFFAGE à la suite de l’attribution à cette dernière du réseau autoroutier concédé précédemment exploité par la société « APRR » ; qu’en effet cette nouvelle configuration conduisait - indépendamment de toute information privilégiée - à une analyse selon laquelle EIFFAGE disposait « d’un fort potentiel de revalorisation en bourse (…) » ; qu’il ressort ainsi d’une note du département des marchés de capitaux de A, antérieure à la date de la première acquisition des titres EIFFAGE par A, que l’investissement dans EIFFAGE était recommandé pour plusieurs raisons d’ordre économique et financier à hauteur du montant finalement investi par A dans EIFFAGE sur la période considérée ; que cette note dont les préconisations ont été reprises dans un projet approuvé par la Commission déléguée de A en janvier 2006 a fondé la décision d’investir dans EIFFAGE non seulement pour A mais également pour C et B ;

Considérant enfin s’agissant du dernier indice, que la seule circonstance que les (…) mises en cause entretiennent des relations professionnelles régulières entre elles dans le cadre du réseau des (…) ou détiennent une participation au capital de E ne saurait, en elle-même, revêtir une valeur probante pour retenir à leur encontre la détention d’une éventuelle information privilégiée, étant précisé par ailleurs que ces dernières ont été en mesure d’expliquer par des motifs propres et cohérents la concomitance de leur investissement dans EIFFAGE ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas établi que les opérations auxquelles il est fait grief à A, B, C et D de s’être livrées, aient correspondu à l’utilisation d’une information privilégiée ; que par suite le grief qui leur a été notifié doit être écarté ;

III. PUBLICATION

Considérant, qu’aux termes du V de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier : « la Commission des sanctions peut rendre publique sa décision (…) à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu permettre à la Commission de tenir compte des exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent son pouvoir de sanction ainsi que de l’intérêt qui s’attache pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer ; que dans les circonstances de l’espèce la publication de la décision ne serait de nature ni à perturber les marchés financiers, ni à causer un préjudice disproportionné à A, C, B et D ; que toutefois la publication de la décision sera assortie de modalités visant à préserver l’anonymat des personnes morales mises hors de cause ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Daniel LABETOULLE, par MM. Guillaume JALENQUES de LABEAU, Pierre LASSERRE et Joseph THOUVENEL, Membres de la 1ère Section de la Commission des sanctions, en présence du Secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- mettre hors de cause les sociétés A, B, C et D ;

- publier la présente décision au « Bulletin des annonces légales obligatoires », ainsi que sur le site internet de l’AMF et dans le recueil annuel des décisions de la Commission des sanctions dans des conditions propres à préserver l’anonymat des personnes mises hors en cause.