Cass. com., 3 mai 2016, n° 15-10.044
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Gadiou et Chevallier, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 2014), qu'au début de l'été 2009, la société Sperian Protection (la société), dont les titres étaient admis aux négociations sur le compartiment B du marché Euronext Paris, a entamé des pourparlers en vue d'une offre publique d'achat (OPA) menée par la société Cinven, qui lui a adressé plusieurs propositions par lettres des 23 décembre 2009 et 26 février 2010 ; que l'opération envisagée a été présentée au conseil d'administration du 2 mars 2010 et approuvée par lui le 31 mars 2010 ; que cette information a été portée à la connaissance du public le jour même par communiqués de la société et de l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) ; que plusieurs concurrents industriels se sont manifestés, dont la société Honeywell qui, le 7 mai 2010, a proposé d'acquérir la totalité des actions de la société ; que par communiqué du 17 mai 2010, la société a informé le marché de la prorogation des accords conclus avec la société Cinven et de l'existence de propositions d'achat sérieuses et en cours d'examen, visant 100 % du capital, émanant d'acteurs industriels, à des niveaux de valorisation significativement supérieurs à celui de l'offre de la société Cinven ; que le 19 mai 2010, le conseil d'administration de la société a décidé de recommander l'offre de la société Honeywell ; que le jour même, les sociétés Honeywell et Sperian ont publié un communiqué commun pour informer le marché de cette offre ; que l'OPA de la société Honeywell a été réalisée au cours de l'été 2010 ; que par décision du 17 mai 2013, la commission des sanctions de l'AMF a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de M. X..., membre du conseil d'administration de la société Sperian jusqu'au 19 mai 2010, pour avoir utilisé, d'abord, entre le 2 et le 30 mars 2010, une information privilégiée relative au projet de dépôt d'une OPA par la société Cinven en acquérant des actions de la société, revendues entre le 1er et le 16 avril 2010, et ensuite, entre le 12 et le 14 mai 2010, une information privilégiée relative au projet de dépôt d'une OPA par la société Honeywell, en acquérant des actions de la société, revendues le 20 mai 2010, et d'avoir omis de déclarer ces opérations ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter son recours contre cette décision alors, selon, le moyen :
1°/ qu'un projet d'offre publique d'acquisition de titres ne peut être regardé comme ayant des chances raisonnables d'aboutir, et ne peut donc être l'objet d'une information privilégiée au sens des articles 621-1 et 622-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, s'il existe des offres concurrentes et à plus forte raison en présence d'une surenchère ; que la cour d'appel avait constaté l'existence de projets d'offre d'acquisition des titres Sperian concurrents de celui présenté par Honeywell, de surcroît dans un contexte de surenchère, ce dont il résultait que le projet de cette dernière ne pouvait être regardé comme ayant des chances raisonnables d'aboutir ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire que M. X... aurait détenu une information privilégiée et aurait commis un manquement d'initié, que le projet d'offre d'Honeywell aurait eu des chances raisonnables d'aboutir, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;
2°/ qu'en ses pages 1 à 5, deuxième alinéa, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de Sperian du 12 mai 2010 ne faisait aucune mention, au titre des débats ayant eu lieu pendant les quarante-cinq minutes de participation par téléconférence de M. X..., des caractéristiques du projet d'offre concurrent qui aurait été émis par Honeywell et de la circonstance que c'était cette dernière qui en était l'auteur, le procès-verbal se bornant à ce stade à indiquer l'existence d'une « manifestation d'intérêt sérieuse » de la part de « deux concurrents industriels » ; qu'il en résultait, sans aucune ambiguïté, que M. X... n'avait pu avoir accès à la moindre information relative à un projet d'offre publique d'achat d'Honeywell pendant le temps au cours duquel il avait participé à la réunion du conseil d'administration, et qu'il n'avait pu se voir remettre à ce sujet un quelconque document ; qu'en retenant néanmoins que les termes de ce procès-verbal auraient établi que le président du conseil d'administration avait, pendant les quarante-cinq premières minutes de la réunion, informé tous les administrateurs de l'existence d'alternatives au projet Cinvenémanant de deux concurrents, dont Honeywell avec une première offre ferme chiffrée en date du 7 mai 2010, et qu'en conséquence, M. X... était bien détenteur de l'information privilégiée relative à cette contre-offre, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève qu'après des échanges et discussions qui ont débuté à la fin de l'année 2008, la société Honeywell a réitéré sa proposition d'explorer avec la société les conditions d'un rapprochement et de procéder aux diligences requises de façon à pouvoir lui adresser une offre préliminaire ; qu'il ajoute qu'elle a poursuivi ses sollicitations malgré l'annonce officielle du projet de dépôt d'une OPA par la société Cinven le 31 mars 2010 ; qu'il constate qu'à l'expiration de la période d'exclusivité accordée à la société Cinven, les discussions ont repris de manière plus intense avec la société Honeywell ; qu'il ajoute que, par lettre du 7 mai 2010, la société Honeywell a indiqué qu'elle se tenait prête à déposer une offre en vue d'acquérir la totalité des actions de la société à un prix supérieur de 29 % par rapport aux derniers cours de bourse observés, susceptible d'être revu à la hausse ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire qu'il existait, dès le 7 mai 2010, en tenant compte du contexte de surenchère organisé par la société, une information précise relative au projet d'offre publique de la société Honeywell, dès lors que ce projet était, à cette date, suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d'aboutir ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas dénaturé le procès-verbal des délibérations du conseil d'administration du 12 mai 2010 en retenant qu'il en ressortait que l'examen des termes et conditions du projet d'offre et des alternatives était à l'ordre du jour, rappelé oralement par le président, et qu'à l'occasion de l'examen de ce point, ce dernier avait exposé la chronique des événements depuis le 31 mars 2010 et communiqué l'information relative à un projet de dépôt, par deux concurrents industriels, d'une contre-offre sur la société, avant que M. X... ne quitte la réunion à laquelle il participait par téléphone ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer la somme de 3 000 euros à l'Autorité des marchés financiers ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille seize.