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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 19 septembre 2017, n° 15/02482

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SABEMA (SCI)

Défendeur :

ERTECO FRANCE (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Philippe GREINER

Conseillers :

Monsieur Gilles BALAY, Madame Alyette FOUCHARD

Avocats :

SELARL V.-B., SELAS CABINET CONFINO

ANNECY, du 12 nov. 2015

12 novembre 2015

Le 07/08/1969, la Province de France des s'urs de Saint Joseph d'Annecy a donné à bail à la société SABEMA un terrain de 13.400 m² environ sis à Seynod, avec autorisation de sous-louer, sur lequel le preneur a édifié un centre commercial, comprenant des constructions, des parkings et des voies de desserte.

Le 05/09/1979, la société SABEMA a sous-loué à la société CASTORAMA le terrain à usage notamment de parking et d'aire de stockage (un ensemble de racks de stockage en forme de L sera implanté sur l'aire asphaltée) et deux bâtiments, l'un de 2.050 m², l'autre de deux niveaux de 306 m² chacun.

Le 22/06/1988, suite au congé donné par cette société, les locaux ont été sous-loués à la société BRICAILLERIE INVESTISSEMENT & Cie.

Le 21/02/1991, cette-ci a cédé ses droits de bail et de sous-bail aux société GEL 2000 et EUROPA DISCOUNT RHONE ALPES SNC, la première supportant 40% des impositions, taxes et prestations mises à sa charge, la seconde 60%, le prix de cession de 350.000 Francs étant supporté par les cessionnaires dans les mêmes proportions.

Le même jour, la société SABEMA a donné en sous-location le terrain et en location les bâtiments à la société EUROPA DISCOUNT (exploitant un supermarché ED), la partie droite du bâtiment d'environ 1.500 m², (l'autre partie d'environ 1.000 m² étant exploitée par la société GEL 2000, suivant bail du même jour), ainsi que le terrain sis au droit de celui-ci, la société preneuse s'engageant à construire un mur séparatif entre ses locaux et ceux de la société GEL 2000, à frais partagés entre les locataires).

Le 22/09/2000, le bail va être renouvelé au prix annuel de 936.394 francs se décomposant à hauteur de 167.063,50 francs HT pour la sous-location du terrain et de 769.330,50 francs HT pour la location des constructions.

A cette occasion, il va être précisé que l'ensemble des locaux appartenant à la société SABEMA dans lequel se trouvent les biens loués est composé d'un bâtiment de 2.050 m², d'un autre de deux niveaux de 306 m², d'un local de sciage de 100 m² et d'une serre de 264 m², outre des parkings, une route intérieure et une aire de stockage.

La société preneuse va alors effectuer des travaux importants de transformation, de façon à transformer la surface de vente initialement d'articles de bricolage en supermarché alimentaire, la serre arrière étant notamment transformée en laboratoire de boucherie, avec construction d'un toit en tôle.

Le 19/10/2000, a été procédé un échange de surfaces entre la société SABEMA et la société ED (nouvelle dénomination du preneur) sans modification du montant du loyer, le preneur désirant construire un nouveau bâtiment de 475 m² mitoyen de ses locaux.

Suite au désaccord des parties quant au montant du loyer du bail dont le principe du renouvellement avait été accepté par le bailleur par acte du 02/11/2009, le tribunal de grande instance d'Annecy a, par jugement du 22/08/2012 :

- dit que le bail a été renouvelé au 01/10/2009 ;

- débouté la société civile immobilière SABEMA de sa demande de voir fixé un loyer révisé à compter du 01/03/2009 ;

- ordonné une expertise ;

- fixé le loyer provisionnel au montant du loyer contractuellement dû au 28/02/2009.

Dans son rapport du 22/07/2013, l'expert, Mme S., aboutit aux conclusions suivantes :

- l'aire de stockage en L a été transformée, un hangar ouvert avec une partie fermée à l'extrémité ayant pris sa place à l'arrière du bâtiment principal, d'une surface d'environ 237 m² , avec une cour intérieure permettant l'accès au local voisin ;

- le bâtiment principal a une surface de 1.216 m² utiles, le volume arrière, édifié sur les anciennes serres, de 308 m² utiles, représentant une surface pondérée de 1.308, 40 m², outre le cas échéant, le hangar, de 40,50 m² utiles ;

- la valeur locative peut être évaluée à 143.279 euros, dont 18% pour le terrain et 82% pour le bâtiment ;

- si le hangar devait être inclus dans les lieux loués, sa valeur locative serait de 4.200 euros.

Par jugement du 12/11/2015, le tribunal a :

- fixé le loyer du bail commercial liant la société ERTECO FRANCE (nouvelle dénomination de la société EUROPA DISCOUNT RHONE ALPES) et la société civile immobilière SABEMA à la somme de 159.624,80 euros par an hors taxes et hors charges ;

- condamné la société civile immobilière SABEMA à restituer à la société ERTECO FRANCE la différence de loyers trop perçus par elle depuis le 01/03/2009 avec intérêts au taux légal à compter de chaque échéance avec capitalisation ;

- condamné la société civile immobilière SABEMA à payer à la société ERTECO la somme de 8.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La société SABEMA a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions responsives et récapitulatives d'appelant et d'intimé incident n° 3, elle demande à la Cour de réformer le jugement entrepris, de débouter la société intimée, et de :

- constater que la valeur locative des lieux loués est supérieure au plafond de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction ;

- fixer le montant du loyer renouvelé au 01/03/2009 et subsidiairement au 01/10/2009 à la somme de 210.691,89 euros hors charges et hors taxes par an ;

- condamner la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, aux droits de la société ERTECO FRANCE, anciennement ED puis DIA FRANCE, au paiement des sommes correspondant aux compléments des loyers révisés non réglés à ce jour depuis le 01/03/2009 ou subsidiairement depuis le 01/10/2009, outre intérêts au taux légal à compter du 27/04/2010, date de la première mise en demeure, et outre la pénalité de 1,50% par mois de retard au titre de la clause pénale stipulée au bail ;

- dire que les intérêts au taux légal courront sur les arriérés des compléments de loyers depuis le 01/03/2009 ou subsidiairement depuis le 01/10/2009 avec capitalisation pour les intérêts correspondant à des compléments de loyers impayés dus depuis plus d'un an ;

- condamner la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE au paiement de la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose en substance que :

- il est de principe que le loyer du bail renouvelé s'établit en fonction de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction et ne peut donc être révisé à la baisse ;

- à titre subsidiaire, elle a fait diligenter par M. FAVRE R. une expertise officieuse, qui a pu retrouver des loyers pour des locaux comparables ;

- elle a fait édifier un parking, qu'elle a agrandi ensuite, permettant d'offrir 158 places de stationnement ;

- la société preneuse occupe la partie arrière du hangar, depuis février 1991, initialement destinée à la société GEL 2000, ce hangar ne pouvant être considéré comme une partie commune et n'étant pas loué par la société GEL 2000 ;

- le locataire a transformé des locaux de vente en locaux de seconde zone sans autorisation du bailleur ;

- la surface à prendre en compte est supérieure à celle retenue par l'expert, (1.654 m² étant sous-loués à des commerces de boucherie, maraîcher, boulanger et épicerie) et la pondération effectuée n'étant pas acceptable, des locaux à valeur marchande car ouverts au public ayant été transformés en locaux secondaires, aucune minoration ne devant être appliquée concernant ces locaux ;

- la société SABEMA n'a pas à supporter la vétusté des locaux, le locataire les ayant reçus en parfait état et devant les entretenir ;

- a été constatée une importante hausse des facteurs locaux de commercialité depuis 18 ans, étant précisé que la zone commerciale est très accessible, et qu'il n'y a aucune autre surface de commerce de détail à proximité ;

- le loyer sollicité se trouve dans la moyenne des prix pratiqués dans le secteur ;

- aucune minoration pour superficie importante n'est à opérer, en raison de la présence de sous-locataires.

Par conclusions récapitulatives d'intimée et d'appel incident du 11/05/2017, la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, venant aux droits de la société ERTECO FRANCE, conclut au débouté de l'appelante, concluant à l'infirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a exclu de l'assiette des lieux loués la cour et le hangar communs situés à l'arrière du bâtiment et en ce qu'il a condamné la société SABEMA à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle demande à la Cour de :

- fixer le loyer de renouvellement du bail à la somme annuelle en principal hors charges et hors taxes de 111.214 euros, construction et valeur du terrain comprise, le bail prenant effet à compter du 01/10/2009, toutes autres clauses, charges et conditions du bail à renouveler demeurant inchangées, à l'exception du dépôt de garantie qui sera réajusté proportionnellement au prix du nouveau loyer ;

- subsidiairement, le fixer à la somme de 135.681 euros ;

- encore plus subsidiairement, confirmer le jugement ;

- condamner la société SABEMA à restituer les loyers trop perçus par elle depuis le 01/10/2009 ;

- dire que les seuls intérêts de retard courront au taux légal sur les loyers arriérés à compter du 01/10/2009 sans application de la pénalité contractuelle ;

- condamner en tant que de besoin la société SABEMA au paiement des sommes qui seront mises à sa charge ;

- la condamner au paiement de la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- il n'y a pas eu de révision au 1er mars 2009 et le renouvellement est ainsi à effet du 01/10/2009, la décision du 22/08/2012 étant aujourd'hui définitive, la demande du bailleur se heurtant à l'autorité de la chose jugée ;

- selon l'article L.145-33 du code de commerce, le montant du loyer d'un bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative, le loyer de renouvellement ne pouvant dépasser le loyer plafonné en l'absence de motif de déplafonnement ;

- l'expert s'est fondé sur les prix de marché, ce qui est contraire aux critères légaux et n'a pas respecté les règles régissant la pondération ;

- le hangar est commun à plusieurs locataires et ne peut être pris en considération ;

- la vétusté du bâtiment doit être prise en compte.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le point de départ du renouvellement du bail

Par jugement du 22/08/2012, le premier juge a fixé la date de renouvellement du bail au 01/10/2009 tout en ordonnant une expertise.

Aux termes de l'article 544 du code de procédure civile, « les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal ».

Il est de principe que, lorsque l'appel est immédiatement recevable, comme en l'espèce, s'agissant d'un jugement mixte, il doit impérativement être formé à peine de forclusion dans le délai imparti à compter de la signification. En l'occurrence, aucune pièce du dossier ne permet de dire que cette décision a été signifiée. Dès lors, l'appel est recevable sur la question tranchée par le tribunal dans son dispositif.

Sur le fond, l'article L.145-11 du code de commerce dispose que « le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l 'article L.145-9 dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l'article L.145-10, faire connaître le loyer qu'il propose, faute de quoi le nouveau prix n'est dû qu'à compter de la demande qui en est faite ultérieurement suivant des modalités définies par décret en Conseil d'État ».

En l'espèce :

- le 01/03/2009, le bailleur a écrit au preneur lui indiquant qu'il était d'accord pour le renouvellement du bail au prix de 210.691,89 euros HT ;

- le 19/05/2009, le locataire a décliné cette proposition ;

- le 20/08/2009, il a fait signifier au bailleur une demande de renouvellement du bail à compter du 01/10/2009 au prix de 165.000 euros HT ;

- le 02/11/2009, le bailleur a fait signifier au preneur son acceptation sur le principe du renouvellement, en maintenant toutefois sa demande de fixation de loyer.

Le renouvellement du bail n'étant pas subordonné à une fixation préalable d'un nouveau prix, c'est par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a considéré que les parties s'étaient accordées sur la date du 01/10/2009 comme point de départ du loyer renouvelé, la demande du preneur ayant été acceptée sans restriction aucune par la société SABEMA.

Le jugement déféré sera ainsi confirmé de ce chef.

Sur l'application de la valeur locative

Selon l'article L.145-34 du code de commerce, « à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (..) En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente ».

En l'occurrence, il n'est pas fait état d'une modification des facteurs locaux de commercialité telle qu'elle aboutirait à un déplafonnement à la hausse du bail.

Toutefois, l'article L.145-33 prévoit que « le montant des loyers des baux renouvelés doit correspondre à la valeur locative ».

Il en résulte que pour le locataire, le plafonnement est la limite maximum à laquelle pourra être fixé le loyer en l'absence de disposition contraire des parties, mais, selon le principe posé par l'article L. 145-33 du Code de commerce, si la valeur locative est inférieure au loyer plafonné, c'est à ce chiffre que devra être fixé le nouveau loyer. Ainsi, dès lors que la valeur locative est inférieure au loyer-plafond, le loyer sera fixé obligatoirement à ce montant, que le locataire a un droit absolu à revendiquer, quel que soit son niveau, et même s'il est inférieur non seulement au dernier loyer payé, mais éventuellement au loyer d'origine du bail expiré

C'est donc exactement que le premier juge a recherché quelle était la valeur locative pour la détermination du loyer applicable.

Sur la valeur locative

La loi énonce ses éléments constitutifs :

« Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. À défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1°) Les caractéristiques du local considéré ;

2°) La destination des lieux ;

3°) Les obligations respectives des parties ;

4°) Les facteurs locaux de commercialité ;

5°) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage » (C. com., art. L. 145-33).

Ce sont les propriétés de ces cinq éléments, définis isolement, puis pris ensemble, qui permettent d'établir la valeur locative.

les caractéristiques du local

Les bâtiments sont en bon état, tout en n'étant pas neufs.

Concernant la composition des biens loués, les parties s'opposent quant au fait de savoir si un hangar en fait ou non partie. Initialement, a été donnée à bail une aire de stockage en plein air, sur un espace bitumé, sur lequel avaient été disposés des racks, de façon à permettre d'entreposer des marchandises. Au jour de l'expertise, il est apparu que cette aire en forme de « L », avait disparue, pour être remplacée par un hangar, en grande partie ouvert.

Par ailleurs, si ce bâtiment n'est pas immédiatement mitoyen du supermarché lui-même, séparé de celui-ci par une sorte de cour permettant notamment l'accès au fonds voisin, exploité par la société GEL 2000, il n'est pas contesté que celle-ci ne l'utilise pas, d'autant qu'aucune clause de son bail ne le prévoit. La Cour considère en conséquence que cet hangar, construit à l'initiative des divers locataires qui se sont succédés dans les lieux, fait bien partie du local loué, car s'étant substitué à l'aire de stockage en « L ».

Certes, des photos sont produites, montrant des matériaux de construction entreposés. Mais au jour de l'expertise, le local était vide, ce qui montre que si des tiers ont pu utiliser ce hangar, ce n'a pu être que momentané, son usage par la société intimée n'ayant pas été remise en cause.

Il est d'usage, dans le domaine de la distribution et des boutiques en particulier, d'appliquer un coefficient de pondération des surfaces louées, les zones les meilleures commercialement étant celles situées à l'entrée, derrière la vitrine, avec pour conséquence que, plus le consommateur s'éloigne de l'entrée, plus la valeur des zones suivantes décroît. La surface pondérée prend ainsi en compte la valeur relative des différentes parties du local loué.

Ainsi, à supposer que les transformations opérées par le preneur aient abouti à la diminution des surfaces de vente au profit de surfaces annexes (bureaux, etc..), il n'a pu en résulter un affaiblissement de la valeur locative, le fond du magasin de bricolage étant en tout état de cause moins attractif que l'espace à proximité des vitrines. En outre, dès lors que le bailleur acceptait de consentir un bail tous commerces, il s'engage nécessairement à ce que le preneur effectue toutes transformation utiles nécessaires au fonctionnement de son activité. Il ne peut ainsi venir aujourd'hui reprocher à la société CARREFOUR PROXIMITE d'avoir installé au lieu et place de serres et d'une zone de découpe de matériaux, des bureaux, laboratoires, toilettes, réserves et chambres froides, le locataire précédent devant au surplus utiliser une partie du local à usage de réserves et d'entrepôt. Enfin, le parking à usage de stockage a été transformé en hangar, ce qui est de nature à valoriser l'espace arrière.

La Cour retiendra donc les calculs opérés par l'expert, soit une surface non pondérée de 1.216 m² de surface de vente, un volume arrière de 308 m² affecté d'un coefficient de 0,3 soit 92,4 m² (le fait qu'il ait été transformé par le preneur ne devant pas aboutir à une minoration au détriment du bailleur) et le hangar comptabilisé pour 40,5 m², soit un total (surface arrondie) de 1.350 m² de surface commerciale.

Concernant la surface importante du bâtiment principal, si, en raison des aménagements extérieurs, et notamment des parkings permettant un stationnement d'un nombre élevé de véhicules, la clientèle, par cet accès aisé, peut ainsi venir pour toutes sortes d'achats de produits, alimentaires ou non, ce qui implique une circulation dans le magasin tout entier, la fréquentation de celui-ci sera moindre en fond de magasin, ce qui justifie une minoration de la valeur locative.

Enfin, la thèse du bailleur, selon laquelle la société locataire se serait trompé lors de l'édification du mur coupe-feu séparant son magasin de celui voisin ne sera pas retenue, le bailleur ne pouvant ignorer son implantation exacte, antérieure à son acceptation de renouvellement du bail, d'autant qu'aucun élément contractuel ne fait état d'une superficie égale à 60% de l'ensemble du bâtiment principal, ce chiffre ne résultant que de l'acte de cession du fonds par le locataire initial à la société preneuse et à la société GEL 2000.

la destination des lieux

S'agissant d'un bail tous commerces, ce facteur est de nature à influer positivement sur la valeur locative, la prohibition d'exercice d'activités susceptibles de créer des nuisances pour le voisinage n'étant pas de nature à empêcher l'exploitation de tout type d'établissement, obligeant simplement à prendre le cas échéant des précautions particulières.

les obligations respectives des parties

Il convient de relever que si le locataire conserve à sa charge toutes les réparations à la seule exception des travaux visés à l'article 606 du code civil, le bailleur quant à lui supporte le règlement de la taxe foncière, alors qu'il est d'usage, dans la plupart des baux commerciaux, de la mettre à la charge du preneur. En outre, le preneur peut sous-louer les locaux à des commerces de bouche.

Dans ces conditions, la Cour considère qu'aucun coefficient de minoration ou d'augmentation de la valeur locative n'est à appliquer.

Par ailleurs, si un incendie est survenu, à l'origine de l'augmentation de primes d'assurance pour le bailleur, il convient de relever qu'il ne concernait pas les locaux en cause, le sinistre étant survenu dans un local voisin, occupé par la société BASTIDE.

Enfin, le fait que le preneur ait effectué divers travaux (skydomes, pose de climatiseurs, câblage électrique) sans autorisation expresse du bailleur est sans incidence, l'appelante ayant consenti au renouvellement du bail en toute connaissance de cause. Il en va de même pour la clause d'accession, qui n'est appelée à jouer qu'en fin de bail.

les facteurs locaux de commercialité

Selon l'article art. R. 145-6 du code de commerce, « les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire ».

En l'occurrence, le local bénéficie d'une bonne visibilité, étant situé sur un axe routier très passant, avec toutefois une restriction d'accès, celui-ci ne pouvant se faire que dans un seul sens. Mais la zone commerciale est restreinte, composée d'une concession Renault, (d'autres concessionnaires sont implantés dans le secteur), d'un restaurant, de divers commerces outre le supermarché.

En revanche, d'autres zones commerciales plus importantes sont situées à proximité.

Ainsi, il n'y a pas lieu de majorer la valeur locative en raison d'une évolution des facteurs locaux de commercialité, celle-ci n'étant pas avérée.

les prix couramment pratiqués dans le voisinage

La société CARREFOUR PROXIMITE produit un rapport d'expertise amiable aux termes duquel la valeur locative annuelle moyenne pour un local d'activités brut de tous aménagements est, dans le secteur, de 66,50 euros HT le mètre carré, tandis que la société SABEMA considère que le prix habituel est de 135 euros pour le type de commerce en cause, l'expert judiciaire aboutissant quant à lui à une valeur de 122 euros/m².

Le premier juge ayant relevé que les termes de comparaison fournis par les parties n'étaient pas toujours pertinents, alors que l'expert s'est fondé essentiellement sur les loyers des autres commerces de la zone, c'est par une exacte appréciation des circonstances de la cause que le premier juge a retenu une valeur locative de 122 euros/m², avant pondération.

la valeur locative

Le facteur de la surface importante étant compensée par la clause tous commerces favorable au preneur, aucune minoration ou majoration de la valeur locative au mètre carré utile sera appliquée. Dès lors, la valeur locative sera fixée à (122 € x 1.350 m²) soit 164.700 euros HT/an et hors charges.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

les intérêts

Ils courront au taux légal à compter de la mise en demeure, sans qu'il soit fait application de la clause pénale. En effet, celle-ci vise à sanctionner un comportement anormal du preneur. Or, en raison de l'instance ayant opposé les parties, le locataire n'était pas en mesure de connaître précisément les sommes dues.

En outre, il n'y a pas lieu à capitalisation des intérêts.

La société SABEMA sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

les frais irrépétibles

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

De même, chacune des parties conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés, les frais d'expertise étant partagés par moitié entre chacune des parties. Il n'y a donc pas lieu à distraction des dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a fixé le point de départ du bail renouvelé au 01/10/2009,

LE REFORME pour le surplus,

FIXE le loyer du bail commercial liant la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à la société SABEMA pour les locaux sis [...] et [...] à la somme de 164.700 euros HT/an et hors charges,

CONDAMNE la SCI SABEMA à restituer à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE la différence de loyers trop perçus depuis le 01/03/2009, outre intérêts au taux légal à compter de la demande par conclusions du 13/03/2015,

DIT n'y avoir lieu à paiement des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel,

DIT que chacune des parties conservera à sa charge les dépens qu'elle a exposés, les frais d'expertise étant partagés par moitié entre chacune des parties.