CA Versailles, 6e ch., 23 juin 2015, n° 14/02739
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Artsnet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bézio
Conseillers :
Mme Fétizon, Mme Borrel-Abensur
EXPOSE DU LITIGE
Selon un contrat à durée indéterminée en date du 29 juin 2010, Mme F.-P. a été engagée à compter du 1er juillet 2010 par la société ARTSNET, en qualité de directeur de l'activité vidéosurveillance, avec le statut de directeur général adjoint, moyennant un salaire de 3600 €/brut/mois.
Selon un accord en date du 1er juillet 2010 Mme F.-P. s'est engagée à souscrire l'augmentation de capital de la société ARTSNET à hauteur de 50 006,25 €, tandis que la société ARTSNET s'est engagée à l'employer en qualité de directeur de l'activité vidéosurveillance, avec le statut de directeur général adjoint, avec une clause de rachat des actions par la société ARTSNET dans le délai d'un an au prix de 50 000 €, en cas de départ de Mme F.-P., suite à un licenciement.
Elle s'est trouvée en arrêt-maladie du 15 octobre au 30 novembre 2010.
Par lettre du 1er décembre 2010 la société ARTSNET la convoquait pour un entretien préalable.
Elle était licenciée le 14 décembre 2010 en raison de son absence entraînant une grave perturbation dans le fonctionnement de la société.
Le 29 mars 2011 elle saisissait le conseil des prud'hommes de NANTERRE, lequel se mettait en départage le 15 janvier 2014.
Par jugement du 7 mai 2014, dont la société ARTSNET a formé appel, le juge départiteur déclarait le conseil matériellement compétent, déclarait illicite l'accord signé entre les parties le 1er juillet 2010, jugeait le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnait la société ARTSNET à payer à Mme F.-P. la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts au titre de la clause illicite, la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre celle de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
tout en constatant que Mme F.-P. s'engageait à céder pour 1 € ses 4375 actions de la société ARTSNET à ladite société ou à tout subrogé préalablement désigné par la société, et à régulariser les formulaires CERFA,
tout en la déboutant de sa demande relative à l'obligation de sécurité, pour non-respect des dispositions anti-tabac sur le lieu de travail.
A l'audience de plaidoiries du 13 avril 2015, Mme F.-P. sollicite in limine litis le rejet des conclusions de la société ARTSNET déposées à l'audience mais qu'elle n'a reçues que le 10 avril 2015, alors qu 'une injonction de conclure lui avait été délivrée en vain le 13 décembre 2014 et qu'un changement d'avocat est intervenu le 6 avril 2015.
La société ARTSNET fait valoir qu'aucune nouvelle pièce n'a été communiquée depuis la première instance et que ses arguments n'ont pas été modifiés.
Cet incident a été joint au fond.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience du 13 avril 2015,
la société ARTSNET sollicite l'infirmation du jugement, estimant d'une part qu'il n'existe pas de lien entre le contrat de travail, relevant de la compétence du conseil, et l'accord de souscription d'actions relevant du tribunal de commerce, et d'autre part que la demande de l'intimée aux fins de rachat des actions par la société ARTSNET est irrecevable.
Elle conclut au débouté de Mme F.-P. en ses demandes relative au licenciement, estimant que ce dernier est fondé par l'absence de justificatif d'arrêt-maladie et les conséquences de cette absence sur le fonctionnement de la société, ce qui la fonde à demander la somme de 3000 €, tant à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience du 13 avril 2015,
Mme F.-P. concluant à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, à l'exception du montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu'elle souhaite porter à la somme de 15 000 €.
Elle sollicite la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'elle a été contrainte de souscrire à une augmentation de capital de la société ARTSNET pour obtenir le poste de directeur de l'activité vidéosurveillance, car elle se trouvait à l'époque en fin de droits et avait besoin de travailler.
Elle soutient que cet accord, dont elle demande la nullité, avait été en réalité conclu avant le contrat de travail, comme la date de libération des fonds, antérieure de quelques jours, l'atteste.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exception de procédure
Il est avéré que les conclusions de la société ARTSNET sont tardives d'autant qu'elle est appelante et qu'une injonction de conclure a été délivrée il y a 6 mois.
Cependant, en comparant ses conclusions devant le conseil et les conclusions litigieuses, il apparaît qu'elles sont similaires sur le fond et qu'aucun nouveau moyen n'est développé malgré l'ajout de 10 pages dans les dernières conclusions.
Dès lors, sachant que ces dernières conclusions ont été malgré tout portées à la connaissance de l'intimée quelques jours avant l'audience et que celle-ci a pu les examiner, il y a lieu d'en tenir compte dans les débats.
En conséquence l'exception d'irrecevabilité des-dites conclusions est rejetée.
Sur la compétence du conseil des prud'hommes
Le conseil des prud'hommes est compétent pour les litiges relatifs au contrat de travail, ce qui l'amène notamment à statuer sur les clauses des contrats de travail, en recherchant au-delà de la forme des contrats quelle a été l'intention des parties.
En l'espèce, le contrat de travail entre Mme F.-P. et la société ARTSNET a été signé le 29 juin 2010, soit 2 jours avant l'accord de souscription de Mme F.-P. au capital de la société ARTSNET, lequel prend effet au 30 juin 2010, puisqu'il est mentionné en son article 3 qu'il prendra fin le 30 juin 2011.
Par ailleurs, il est établi par le relevé bancaire de Mme F.-P. que la somme de 50 006,25 € a été débitée de son compte de dépôts le 24 juin, soit 7 jours avant la signature de l'accord, ce qui va dans le sens de l'argument de Mme F.-P. selon lequel la souscription au capital de la société était un préalable à la conclusion du contrat de travail.
Il ressort également de cet article 3, que pendant un an, durée de l'accord, les deux éléments de l'accord (d'une part le contrat de travail, d'autre part le fait que Mme F.-P. soit actionnaire de la société avec garantie de rachat des actions) sont associés, et ne le seront plus passé ce délai d'un an.
Des termes de cet accord il résulte que les parties font le lien entre le contrat de travail et la souscription des actions, ce qui entraîne un lien de connexité entre ces deux éléments, et justifie de considérer, comme l'a fait le juge départiteur, que le conseil est compétent pour examiner le litige sur le contrat de travail, en même temps que le litige sur l'accord de souscription des actions
Sur la demande en dommage et intérêts liée aux actions souscrites
Il ressort de la combinaison des articles 1170 et 1174 du code civil que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative, laquelle fait dépendre l'exécution de l'obligation d'un événement que l'une des parties a le pouvoir de faire arriver ou d'empêcher.
L'article 1134 du code civil dispose que les conventions tiennent lieu de loi aux parties et doivent être exécutées de bonne foi.
L'article 1147 du code civil dispose qu'en cas de non-exécution d'une obligation, le débiteur de cette obligation est condamné au paiement de dommages et intérêts, sauf s'il justifie d'une cause étrangère.
Aux termes de l'accord du 1er juillet 2010, il est stipulé que dans le cas où Mme F.-P. serait licenciée dans l'année, la Société anonyme ARTSNET s'engage à racheter les actions de la société souscrites par Mme F.-P. au prix de 50 000 € dans le délai de 6 mois après son départ.
Or l'article L 225-206 du code de commerce interdit le rachat de ses propres actions par une société anonyme, sauf dans trois cas :
- pour annuler ses actions dans le cadre d'une réduction de capital non motivée par des pertes,
- pour attribuer ses actions à ses salariés ou ses dirigeants,
- pour améliorer la gestion de ses fonds propres et à favoriser la liquidité de ses titres.
Les trois options de rachat des actions dépendent de la volonté de la société ARTSNET, ce qui rend l'accord nul, en ce qu'il comporte une condition potestative (le rachat des actions par la société ARTSNET impossible à mettre en oeuvre), et que l'engagement de rachat des actions par la société ARTSNET est indissociable de la souscription des actions par Mme F.-P..
Il ne peut donc être donné acte à Mme F.-P., comme l'a jugé le juge départiteur, qu'elle s'engage à céder pour 1 € ses 4375 actions de la société ARTSNET à ladite société ou à tout subrogé préalablement désigné par la société.
L'autre solution pour sortir de cette impasse juridique était pour Mme F.-P. de vendre ses actions (désormais cotées) en bourse, mais sa banque l'a informée qu'il n'y avait pas d'acheteur depuis de nombreux mois.
La société ARTSNET ne pouvait ignorer les dispositions de l'article L 225-206 du code de commerce, et a pris un engagement illicite, susceptible de léser Mme F.-P. qui était sous sa subordination en tant que salariée.
La mauvaise foi de la société ARTSNET, qui n'invoque pas une cause étrangère, est suffisamment établie par les circonstances de la signature du contrat de travail et de l'accord de souscription des actions, la société soutenant à tort que la souscription des actions était intervenue après le contrat de travail alors que c'était l'inverse, comme cela a été dit plus haut.
Faute pour la société ARTSNET de restituer la somme de 50 000 € à Mme F.-P. , suite à une première demande faite le 12 janvier 2011 par lettre recommandée, celle- ci est bien fondée, à obtenir un dédommagement sur le fondement de l'article 1147 du code civil.
En raison de l'impossibilité pour la société ARTSNET de racheter les actions souscrites par Mme F.-P. et de l'absence d'acheteurs sur le marché des actions, celle- ci se trouve lésée d'ores et déjà par le caractère actuellement non cessible de ses actions.
Son préjudice financier est réel, car elle a 'investi' une somme importante (50 000 €) sans pouvoir être certaine de retrouver cette somme après une éventuelle cession de ses actions sur le marché, seule option qui lui reste, avec un risque potentiel de perte ; si aucun bénéfice n'est distribué, elle ne percevra aucun intérêts.
Ce préjudice peut être compensé par des dommages et intérêts, qui ne sauraient être du même montant que la valeur théorique de ses actions, la société ARTSNET étant encore en activité, mais peuvent plus justement être fixés à la somme de 20 000 € pour tenir compte de l'aléa important.
Sur le licenciement
L'article L1235- 1 du code du travail stipule que le juge doit apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, au vu des éléments fournis par les parties.
La lettre de licenciement doit énoncer des fautes matériellement établies.
En l'espèce, la lettre du 14 décembre 2010 énonce comme motif du licenciement l'absence de Mme F.-P. depuis mi-octobre entraînant une grave perturbation du fonctionnement de la société.
Le moyen soulevé par la société appelante, tiré de la non-justification de l'absence pour maladie, ne peut être pris en compte, ce motif n'étant pas invoqué dans la lettre de licenciement.
En tout état de cause, il n'est pas contestable que Mme F.-P. se trouvait en arrêt-maladie, comme en témoignent les relevés d'indemnités journalières (perçues à compter du 16 octobre 2010).
Il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable, compte-rendu rédigé par le conseiller du salarié, que Mr G., directeur général de la société, a lui- même admis qu'il n'y avait pas de motif de licenciement mais la nécessité de remplacer Mme F.-P. pour gérer les commerciaux afin d'éviter le dépôt de bilan.
Or si la société ARTSNET a rapidement recruté un autre salarié dès le 12 novembre 2010, elle ne rapporte pas la preuve des perturbations graves dans le fonctionnement de la société en l'espace d'à peine 1 mois (entre le 16 octobre et le 12 novembre).
Dès lors, et par adoption de motifs du juge départiteur, le licenciement de Mme F.-P. est sans cause réelle et sérieuse.
En application des articles L1235- 3 et L1235- 5 du code du travail, il est alloué au salarié de moins de 2 ans d'ancienneté des dommages et intérêts en fonction de son préjudice.
Mme F.-P. prétend que l'attitude de son employeur l'a plongée dans une profonde dépression, sans que soit établi de lien entre ses conditions de travail et la dégradation de son état de santé, les éléments médicaux produits étant insuffisants à prouver ce lien de causalité; ces éléments ne seront donc pas pris en compte dans l'évaluation de son préjudice lié à son licenciement, ni d'un préjudice distinct, Mme F.-P. ne formant plus de demande spécifique au titre du manquement à l'obligation de sécurité, comme en première instance.
Vu son ancienneté très limitée (4 mois) et le fait qu'elle ait retrouvé un travail après avoir effectué un stage, il y a lieu de confirmer le jugement quant au montant de la somme allouée à Mme F.-P. à titre de dommages et intérêts pour son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires
La société ARTSNET sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, dans la mesure où il est fait partiellement droit aux demandes de l'intimée.
La somme de 4500 € sera allouée à Mme F.-P. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ARTSNET est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement du juge départiteur du conseil des prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT en date du 7 mai 2014, en ce que le juge a déclaré le conseil compétent, a déclaré le licenciement de Mme F.-P. par la société ARTSNET sans cause réelle et sérieuse, lui allouant la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts, et a déclaré nul l'accord signé par les parties 1er juillet 2010, mais L'INFIRME pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
CONDAMNE la société ARTSNET à payer à Mme F.-P. la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice financier lié à la souscription d'actions difficilement cessibles, outre la somme de 4500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société ARTSNET aux dépens de première instance et d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.