CA Versailles, 13e ch., 14 avril 2016, n° 15/07606
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Guillou, Mme Dubois-Stevant
Par jugement du 23 octobre 2015 et sur déclaration de cessation des paiements déposée le 18 septembre 2015 par M. Jean-Michel F., graphiste exerçant à titre indépendant, le tribunal de grande instance de Nanterre a pour l'essentiel rejeté la demande de rétablissement professionnel formée par M. F., ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, fixé la date de cessation des paiements au 23 avril 2014 et désigné Me L. de G. en qualité de liquidateur judiciaire.
M. F. a fait appel et, par dernières conclusions signifiées le 26 février 2016, il demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter Me L. de G. de l'ensemble de ses demandes tendant à la confirmation du jugement et, statuant à nouveau, de prononcer l'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel à son bénéfice et de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure.
Il soutient que la qualité d'ancien dirigeant d'une société ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire depuis moins de cinq ans, le simple constat d'un dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements et la bonne foi du débiteur ne sont pas des conditions d'accès au rétablissement professionnel de sorte que le tribunal a fait une mauvaise interprétation de la loi en y ajoutant des conditions qu'elle ne prévoit pas.
M. F. fait valoir que si une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte en avril 2011 à l'encontre de la SARL JMF communication, dont il était le gérant, le patrimoine de cette société est distinct du sien et qu'il n'a jamais subi personnellement une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif depuis moins de cinq ans.
Il prétend que l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu à des sanctions personnelles ou patrimoniales ne permet pas de refuser l'accès au rétablissement professionnel dès lors qu'elle n'est pas prévue par la loi au moment de l'ouverture de la procédure mais peut fonder l'appréciation de la bonne foi au moment d'une éventuelle conversion en liquidation judiciaire comme cela résulte de l'article L. 645-9 du code de commerce. Il soutient qu'aucune limite au montant de passif n'est fixée par la loi de sorte que le débiteur peut présenter un passif supérieur à 45 jours et fait valoir que le passif invoqué par le liquidateur n'a pas encore fait l'objet d'une vérification et qu'une partie du passif est née de la liquidation de la société JMF communication.
M. F. soutient que l'ouverture du rétablissement professionnel n'est pas subordonnée à une condition de bonne foi du débiteur. Il affirme qu'en tout état de cause la marque et le nom de domaine qu'il a omis de déclarer au titre de son actif sont dénués de valeur marchande et l'appareil photo dont fait état le liquidateur est un bien personnel qu'il n'a pas estimé devoir déclarer de sorte que leur omission de l'actif ne traduit ni une volonté de dissimulation ni sa mauvaise foi. M. F. conteste enfin avoir organisé son insolvabilité ou transféré les sommes perçues au décès de son père dans le seul but de rester en-deçà du seuil de 5.000 €.
M. F. soutient qu'il est éligible à la procédure de rétablissement professionnel car il ne fait l'objet d'aucune procédure collective en cours, n'a pas fait l'objet d'une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif et n'a pas bénéficié d'une procédure de rétablissement professionnel dans les cinq ans précédant sa demande, n'emploie aucun salarié, n'en a pas employé au cours des six derniers mois et n'est pas impliqué dans une instance prud'homale en cours, et possède un actif dont la valeur de réalisation est inférieure à 5.000 €. Il précise avoir déclaré un actif d'une valeur de 2.300 € tandis que l'état descriptif du commissaire-priseur du 5 novembre 2015 estime la valeur propre de ses actifs répertoriés à 1.100 € et que Me L. de G. évalue leur valeur de réalisation à 650 €, que l'appareil photo est coté 1.400 € et les deux objectifs entre 150 € et 180 € et que le matériel informatique et téléphonique appartient à la société JMF communication ou est dépourvu de valeur marchande.
Par dernières conclusions signifiées le 26 février 2016, Me L. de G. ès qualités demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter M. F. de l'ensemble de ses demandes et de condamner M. F. aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Me L. de G. ès qualités admet que le fait d'être le dirigeant d'une société en liquidation judiciaire ne permet pas d'exclure le dirigeant du bénéfice du rétablissement professionnel. Il se prévaut toutefois de l'article L. 645-9 du code de commerce aux termes duquel le tribunal peut à tout moment de la procédure ouvrir une procédure de liquidation judiciaire si le débiteur n'est pas de bonne foi ou s'il a commis des faits susceptibles de donner lieu à des sanctions personnelles ou encore s'il ne réunit pas ou plus les conditions du rétablissement professionnel. Il estime que le tribunal peut ainsi ouvrir la liquidation judiciaire si des éléments apparaissent en ce sens lors de l'audience de même que la cour d'appel compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel et du fait que la cour doit statuer en fonction des éléments qui lui sont soumis lors de la clôture des débats.
Il soutient que M. F. était en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours au moment de sa déclaration, qu'il a dissimulé des actifs et transféré ses actifs à ses proches dans le seul but de rester en-deçà du seuil de 5.000 € d'actif de sorte qu'il est susceptible de faire l'objet de sanctions personnelles. Me L. de G. ès qualités prétend ensuite que M. F. n'est pas de bonne foi au vu de la faiblesse de l'actif déclaré, de l'omission de certains actifs de sa déclaration, de la jouissance gratuite d'une marque accordée à une autre entreprise. Il ajoute que dans les quatre mois précédant le jugement d'ouverture M. F. a perçu des sommes d'argent puis émis des chèques ou retiré des espèces de sorte que lors du dépôt de la déclaration de cessation des paiements le compte bancaire n'était créditeur que de quelques dizaines d'euros.
Me L. de G. ès qualités fait valoir qu'en tout état de cause il n'est pas démontré que l'actif de M. F. est inférieur à 5.000 € et que M. F. a omis dans sa déclaration de mentionner des actifs et de préciser les modalités d'évaluation de ses biens comme l'y contraint l'article R. 640-1-1. Il soutient que le commissaire-priseur n'a pu inventorier que les seuls biens que M. F. désignait comme n'appartenant ni à sa compagne ni à la société JMF communication, que M. F. a omis de déclarer un appareil photo d'une valeur neuve de 2.200 € et d'occasion de 1.800 €, des objectifs dont le prix varie de 400 € à 2.300 €, et du matériel informatique, que M. F. ne justifie pas de la mise à disposition gratuite de la marque qu'il a déposée au profit d'une société alors qu'il lui appartient de justifier de la valeur de réalisation de ses actifs, qu'enfin les biens hérités avant l'ouverture de la procédure ne sont pas exclus de l'appréciation du seuil de 5.000 € et que des sommes que M. F. a perçues dans les mois précédant sa déclaration de cessation des paiements ont été transférés à hauteur de 49.000 € sur le compte de sa compagne et de son fils dans le seul but d'être en-deçà du seuil de 5.000 €. Il en conclut que M. F. disposait d'un actif supérieur à 65.000 € qu'il a soustrait à la procédure collective, que son actif était bien supérieur à 5.000 € et que M. F. ne peut se prévaloir de son rapport établi sur la base des seuls éléments dont il avait alors connaissance.
Le ministère public a conclu le 14 décembre 2015 dans le sens de l'infirmation du jugement, considérant que selon l'article L.645-2 du code de commerce, qui doit être interprété largement dès lors qu'il est en faveur du chef d'entreprise, seul le dirigeant d'une entreprise individuelle, comme le commerçant personne physique ou l'artisan, ne doit pas avoir fait l'objet d'une liquidation judiciaire depuis moins de cinq ans et que tel n'est pas le cas lorsqu'il a été gérant d'une société qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire depuis moins de cinq ans dès lors que c'est la personne morale et non la personne physique qui a fait l'objet de cette liquidation judiciaire, à savoir la SARL JMF communication liquidée en avril 2011.
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles L.645-1 et R. 645-1 du code de commerce qu'une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation est ouverte à tout débiteur, personne physique, mentionné au premier alinéa de l'article L. 640-2, qui ne fait l'objet d'aucune procédure collective en cours, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois et dont l'actif déclaré a une valeur de réalisation inférieure à 5.000 € ; que la procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a affecté à l'activité professionnelle en difficulté un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application de l'article L. 526-6 ni en cas d'instance prud'homale en cours impliquant le débiteur ; qu'aux termes de l'article L. 645-2 la procédure de rétablissement professionnel ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel ;
Considérant que l'article L. 645-9 prévoit qu'à tout moment de la procédure de rétablissement professionnel, le tribunal peut, sur rapport du juge commis, ouvrir la procédure de liquidation judiciaire demandée simultanément à celle-ci, s'il est établi que le débiteur qui en a sollicité le bénéfice n'est pas de bonne foi ou si l'instruction a fait apparaître l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu aux sanctions prévues par le titre V du présent livre ou à l'application des dispositions des articles L. 632-1 à L. 632-3 ; que la procédure de liquidation judiciaire est également ouverte s'il apparaît que les conditions d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel n'étaient pas réunies à la date à laquelle le tribunal a statué sur son ouverture ou ne le sont plus depuis ; que le tribunal peut également être saisi en ouverture de la procédure de liquidation judiciaire sur requête du ministère public ou par assignation d'un créancier ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa, par le débiteur ;
Considérant ainsi que le tribunal et à sa suite la cour, saisis d'une demande d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel, doivent vérifier si le débiteur remplit les conditions posées par les articles L. 645-1 et L. 645-2 au jour où ils statuent ; que parmi ces conditions ne figurent ni la démonstration de la bonne foi du débiteur ni l'absence d'éléments susceptibles de donner lieu à une sanction personnelle ou patrimoniale ; que les dispositions de l'article L. 645-9 ne sont pas applicables au moment où le tribunal et à sa suite la cour apprécient les conditions d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel ;
Considérant que les articles L. 645-1 et L. 645-2 n'excluent pas du bénéfice du rétablissement professionnel la personne physique qui a été par ailleurs le dirigeant d'une société en liquidation judiciaire; que la qualité de gérant de la société JMF communication en liquidation judiciaire n'a donc pas pour effet d'exclure M. F. du bénéfice de cette procédure ;
Considérant qu'il est constant et non contesté que M. F., débiteur, exerce son activité à titre indépendant, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois, n'a pas affecté à son activité professionnelle en difficulté un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application de l'article L. 526-6, et n'est pas impliqué dans une instance prud'homale en cours ; qu'il est tout aussi constant et non contesté qu'il ne fait pas l'objet d'une procédure collective en cours ni n'a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel, seule une liquidation judiciaire ayant été ouverte en avril 2011 à l'encontre de la société JMF communication dont il était le gérant ;
Considérant que seule est discutée la valeur de l'actif de M. F. ; que la cour doit apprécier au jour où elle statue la valeur de réalisation, et non d'acquisition, des actifs déclarés par le débiteur ; que la circonstance que des actifs aient été dissimulés ou transférés avant la déclaration de cessation des paiements et la demande de rétablissement professionnel, à la supposer établie, est sans effet sur l'appréciation de la valeur de réalisation de l'actif déclaré par le débiteur à l'ouverture de la procédure ; qu'une telle circonstance est susceptible d'être invoquée au seul soutien d'une demande de conversion d'une procédure de rétablissement professionnel en liquidation judiciaire sur le fondement de l'article L. 645-9 ;
Considérant que devant la cour M. F. déclare, selon les termes de sa déclaration de cessation des paiements du 17 septembre 2015, que son actif est constitué d'une moto année 1992, d'un véhicule Volkswagen Passat année 2000, d'un ensemble 'ordinateurs, télévision et meubles meublants' ; qu'il a alors estimé ces biens respectivement à 200 €, 1.000 € et 1.000 € en indiquant comme modalité d'évaluation 'attestation garage' pour les deux véhicules et 'estimation' pour les meubles ; que l'état descriptif et estimatif du commissaire-priseur judiciaire dressé le 5 novembre 2015 mentionne comme appartenant à M. F. 'une commode en mauvais état', 'un moto non roulante' et un véhicule en mauvais état général et de carrosserie évalués respectivement à 10 €, 150 € et 850 € ; que les autres biens présents au domicile de M. F. sont attribués à sa compagne ou à la société JMF communication ; qu'aucun élément versé aux débats ne permet de remettre en cause cet état estimatif, alors que M. F. produit la facture d'achat d'un ordinateur par la société JMF communication le 11 décembre 2010 corroborant ses dires ;
Considérant que dans ses écritures M. F. admet en outre posséder un appareil photo et deux objectifs de marque Nikon dont il établit que leur valeur de réalisation, s'agissant de matériels d'occasion, se situe entre 1.000 € et 1.400 € pour l'appareil photo et 169 € pour chaque objectif ; qu'il est manifeste que les deux téléphones, dont il admet également la propriété, ont une valeur de réalisation nulle compte tenu de leur date d'acquisition (4 septembre 2010 et 31 mai 2014) et de l'obsolescence rapide de ces appareils ; qu'aucun élément ne permet de démentir les déclarations de M. F. selon lesquelles la marque What's beautiful déposée le 2 novembre 2011 et le nom de domaine whatsbeautiful.fr créé le 12 septembre 2011 et expirant le 12 septembre 2016 sont dénuées de toute valeur marchande ;
Considérant ainsi que l'actif déclaré par M. F. est aujourd'hui valorisé à une somme de 2.748 € ; que M. F. remplissant les conditions prévues par les articles L. 645-1 et L. 645-2 pour bénéficier de l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel à son encontre, il y a lieu d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et d'ouvrir une procédure de rétablissement professionnel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 23 octobre 2015 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Ouvre une procédure de rétablissement professionnel à l'encontre de M. Jean-Michel F. né le 13 janvier 1963 à [...] et demeurant [...] ;
Renvoie l'affaire devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin de désignation des organes de la procédure et de suivi du déroulement du rétablissement professionnel ;
Condamne M. Jean-Michel F. aux dépens qui seront employés en frais privilégiés de procédure et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.