CA Grenoble, ch. com., 9 janvier 2020, n° 19/02960
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
Faits et procédure - prétentions des parties :
Monsieur X est immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Gap pour une activité de fabrication de pizzas à emporter, de tourtons et de vente de boissons non alcoolisées. Il n'emploie aucun salarié.
Il a sollicité l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel selon déclaration du 9 octobre 2018 et par jugement du 2 novembre 2018, le tribunal de commerce de Gap a prononcé l'ouverture de cette procédure, désignant Maître Y en qualité de mandataire judiciaire.
L'affaire a été rappelée devant le tribunal de commerce le 22 février 2019 afin de statuer sur le prononcé du rétablissement professionnel, ou sur l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
Par un jugement du 26 avril 2019, le tribunal de commerce de Gap a prononcé la liquidation judiciaire sur conversion de la procédure de rétablissement professionnel. Il a fixé la date de la cessation des paiements au 1er juillet 2018 et a désigné Maître Y liquidateur judiciaire.
Le tribunal a notamment retenu que le débiteur est propriétaire de sa résidence principale sur laquelle ne repose plus aucune charge d'emprunt, et que l'article L645-1 du code de commerce instituant la procédure de rétablissement professionnel sans liquidation judiciaire au profit de tout débiteur personne physique se trouvant en état de cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible, n'employant aucun salarié et donc l'actif déclaré a une valeur inférieure à 5 000 euros, ne précise pas s'il s'agit d'un actif saisissable ou non. Il en a déduit que les conditions de la procédure de rétablissement professionnel n'étaient pas réunies à la date à laquelle le tribunal a statué sur son ouverture.
X a interjeté appel le 9 juillet 2019.
Selon ses dernières conclusions remises par voie électronique le 26 novembre 2019, X demande :
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a converti la procédure de rétablissement professionnel en procédure de liquidation judiciaire et en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 1er juillet 2018,
- de dire qu'il est éligible au bénéfice de l'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel, qu'il en remplit les conditions, et qu'il n'y a pas lieu de convertir en liquidation judiciaire la procédure de rétablissement professionnel ;
- de prononcer le maintien de l'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel ;
- de dire que Maître Y poursuivra sa mission de mandataire judiciaire, et que l'affaire se poursuivra devant le tribunal de commerce de Gap aux fins d'examen de la clôture de la procédure de rétablissement professionnel ;
- d'ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
Il expose :
- que si le ministère public soutient que l'appel est irrecevable, au motif que la décision a été prononcée le 26 avril 2019 et notifiée le 6 mai 2019, que l'appel a été inscrit le 9 juillet 2019 et que le délai de 10 jours pour faire appel a été dépassé, une demande d'aide juridictionnelle a cependant été déposée le 10 mai 2019 ainsi qu'il résulte de la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 juillet 2019 lui en accordant totalement le bénéficie ; que selon l'article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter de la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande ; qu'en l'espèce, il a déposé sa demande d'aide juridictionnelle le 10 mai 2019, soit avant l'expiration du délai de 10 jours courant à compter du 6 mai 2019, puis a interjeté appel le 9 juillet 2019, soit moins de 10 jours après la décision d'admission du bureau d'aide juridictionnelle du 5 juillet 2019 ; que son l'appel est ainsi recevable ;
- sur le fond, que si l'article L645-9 du code de commerce dispose que la procédure de liquidation judiciaire est ouverte s'il apparaît que les conditions d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel n'étaient pas réunies à la date à laquelle le tribunal a statué sur son ouverture ou ne le sont plus depuis, et que le tribunal, dans sa première décision , a ainsi retenu que le bien immobilier n'entrait pas dans l'appréciation du seuil de 5 000 euros, il cependant adopté une position contraire dans le jugement déféré, alors que ce bien ne peut être englobé, étant insaisissable par application de l'article L526-1, disposant que les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ;
- que l'immeuble constituant sa résidence principale doit ainsi être exclu du seuil de 5.000 euros, en raison de son insaisissabilité par les créanciers professionnels et de l'impossibilité pour le mandataire judiciaire de l'appréhender ; que la valeur des autres biens inventoriés par Maître C., huissier de justice, ne dépasse par le seuil de 5.000 euros.
Selon conclusions remises par voie électronique le 6 novembre 2019, le ministère public demande la confirmation du jugement déféré, l'appelant reconnaissant que son bien a été divisé en plusieurs lots comprenant un appartement qui a été vendu, ainsi que des garages et place de stationnement, qu'il présente indistinctement comme sa «résidence principale '', mais qui pourraient également s'analyser comme des biens immobiliers distincts qui ne constituent pas la résidence principale et qui devraient, pour être insaisissables, être soumis à un régime de déclaration.
Maître Y, liquidateur judiciaire, a indiqué par courrier du 30 juillet 2019 qu'il n'interviendra pas à la procédure, faute de fonds disponibles.
La clôture de cette procédure a été prononcée par ordonnance du président de la chambre du 4 décembre 2019 et cette procédure a été renvoyée pour être plaidée à l'audience tenue le jour-même. A l'issue, le présent arrêt a été prononcé conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
Motifs :
1) Sur la recevabilité de l'appel :
Dans ses dernières conclusions, le ministère public n'a pas repris le moyen pris de l'irrecevabilité de l'appel soulevé dans ses conclusions remises le 4 novembre 2019.
Il résulte de la décision du bureau accordant l'aide juridictionnelle totale à Monsieur X qu'il a effectué cette demande le 10 mai 2019, alors que le jugement déféré a été signifié le 6 mai 2019. Cette demande d'aide juridictionnelle a ainsi été faite pendant le délai d'appel. La décision accordant le bénéfice de cette aide ayant été rendu le 5 juillet 2019, l'appel interjeté le 9 juillet suivant est recevable par application de l'article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
2 ) Sur le fond :
Il résulte des articles L645-1 et L 645-2 du code de commerce, dans leur rédaction application à la date du jugement déféré, ces articles ayant été modifiés par la loi du 22 mai 2019, inapplicables aux procédures en cours au jour de sa publication, qu'il est institué une procédure de rétablissement professionnel sans liquidation ouverte à tout débiteur, personne physique, mentionné au premier alinéa de l'article L640-2, en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible, qui ne fait l'objet d'aucune procédure collective en cours, n'a pas cessé son activité depuis plus d'un an, n'a employé aucun salarié au cours des six derniers mois et dont l'actif déclaré a une valeur inférieure à un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.
La procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a affecté à l'activité professionnelle en difficulté un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application de l'article L526-6.
Elle ne peut être davantage ouverte en cas d'instance prud'homale en cours impliquant le débiteur.
La procédure de rétablissement ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'appelant n'a fait l'objet d'aucune procédure en cours lors de la saisine du tribunal de commerce, qu'il n'avait pas alors cessé son activité depuis plus d'un an, qu'il n'employait aucun salarié et n'était impliqué dans aucune procédure prud'homale, alors qu'il n'avait pas fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel.
Le seuil prévu par le premier article est de 5.000 euros, ainsi que disposé à l'article R 645-1 du code de commerce.
Selon l'article L526-1, par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissable par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire.
En outre, l'article L526-3 prévoit qu'en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d'un an des sommes à l'acquisition par la personne mentionnée au premier alinéa de l'article L. 526-1 d'un immeuble où est fixée sa résidence principale.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal d'inventaire dressé le 6 mai 2019 que l'appelant ne dispose d'aucun patrimoine, en dehors de sa résidence principale, dont la valeur excède le seuil déterminé précédemment.
Concernant sa résidence principale, Monsieur X a fait l'acquisition de ce bien selon acte notarié du 20 décembre 2001, au prix de 112.812,27 euros, financé par un prêt souscrit auprès du CREDIT AGRICOLE à hauteur de 121.588,49 euros. Il s'agit d'une maison à usage d'habitation.
Le 13 août 2018, Monsieur X a divisé cette maison en 5 lots, constituant ainsi deux appartements, deux garages et une place de parking, afin de constituer une copropriété soumise à la loi du 10 juillet 1965. Il est constant qu'il a vendu le plus petit des appartements afin de solder son prêt immobilier, conservant l'appartement sis au premier étage, ainsi que les garages se trouvant en dessous.
Le bien divisé en copropriété constitue une maison en bord de route. Aucun élément ne permet de retenir que les garages sont les accessoires indissociables du logement occupé par l'appelant, d'autant qu'il existe une place de parking faisant partie de la copropriété.
Devant le tribunal, le mandataire judiciaire a en outre réservé le sort de l'activité réelle exercée par le débiteur depuis 2011, englobant l'entretien et la réparation de matériels, équipements mécaniques et électriques, entretien et réparation de matériels frigorifiques, en plus de la fabrication de pizza à emporter. Les deux garages peuvent ainsi servir à une telle activité, d'autant que l'acte authentique constatant la division des lots et la création d'une copropriété mentionne, pour l'un de ces garages, qu'il s'agit d'un « garage-atelier ».
Il s'ensuit que ces garages, constituant des lots distincts du logement, ne sont pas affectés à la résidence principale de l'appelant. Ils ne bénéficient pas ainsi de la protection ouverte par l'article L526-1 du code de commerce, et en cas de vente, leur prix pourrait être appréhendé pour les besoins de la procédure de liquidation judiciaire.
Les éléments d'actifs, hors le prix de ces garages qui n'est pas indiqué, ont été évalués à 1.500 euros par l'appelant lors de sa demande d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel. La valeur des garages dépasse la somme de 3.500 euros, portant la valeur des actifs au-delà du seuil de 5.000 euros auquel la procédure de rétablissement professionnel est subordonnée.
En conséquence, par ces motifs substitués à ceux développés dans le jugement déféré, le tribunal de commerce a exactement prononcé la liquidation judiciaire sur conversion de la procédure de rétablissement professionnel. Il sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.
Monsieur X sera condamné aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire, par application de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu l'article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu les articles L526-1 et L645-1, R645-1 du code de commerce ;
Déclare l'appel recevable en la forme ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Condamne X aux dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.