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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch. a, 10 juin 2014, n° 12/22728

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

IMMOTRAVAUX (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. ISOUARD

Conseillers :

Mme BRUEL, Mme CAMUGLI

Nice, du 7 nov. 2012

7 novembre 2012

La société Immotravaux est titulaire d'un bail commercial du 29 janvier 1963 renouvelé la dernière fois le 24 novembre 1989 pour une période de neuf années à compter du 1er février 1990 portant sur un local situé à [...] où elle exploite une agence immobilière, local appartenant actuellement aux hoirs M.

Le 18 juin 2009 Madame M., alors propriétaire du local et aujourd'hui décédée, a donné congé à la société Immotravaux pour le 31 décembre 2009 avec offre de renouvellement contre un nouveau loyer de 2 000 euros par mois (24 000 € par an).
À défaut d'accord Madame M. a saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice qui, par un premier jugement du 15 décembre 2010, a constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2010, a dit que le nouveau loyer serait fixé selon la valeur locative, le bail s'étant poursuivi plus de douze années et a désigné un expert pour fournir les éléments nécessaires à la détermination de cette valeur. Par un second jugement du 7 novembre 2012, ce magistrat, après avoir écarté le moyen tiré de la nullité et de l'irrecevabilité de la procédure après expertise, a fixé le nouveau loyer à la somme annuelle de 20 340 euros à compter du 1er janvier 2010.

Le 4 décembre 2012 la société Immotravaux a interjeté appel de cette dernière décision. Tout d'abord elle soutient que les hoirs M. ont, après le dépôt du rapport d'expertise, déposé des conclusions et non pas le mémoire prévu par les textes, que cette irrégularité qui ne peut être régularisée, a entraîné la nullité de la procédure et son extinction définitive.
Subsidiairement, elle estime que le nouveau loyer ne saurait être supérieur à la somme de 15 230,30 euros par an à compter du 28 février 2012, date des écritures des hoirs M. modifiant leur prétention, invoquant l'absence d'évolution des facteurs locaux de commercialité, la mauvaise commercialité de la [...] et les clauses du bail ne permettant pas la majoration de 15 % apportée par l'expert judiciaire et retenue par le premier juge.

Les hoirs M. ont conclu le 23 mai 2013 et par ordonnance du 3 octobre 2013 le conseiller de la mise en état de cette Cour (11ème chambre A) a déclaré ces conclusions irrecevables au motif qu'elles n'avaient pas été déposées dans les deux mois des conclusions adverses.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité des écritures des hoirs M. après expertise :

C'est très exactement que le premier juge a relevé que :
- le juge des loyers commerciaux devait statuer sur mémoire comme le prescrit l'article R. 145-23 du Code de commerce et le rappelle l'article R. 145-31 du même code pour la poursuite de la procédure après expertise,
- l'omission des mémoires constitue une irrégularité de fond,
- les hoirs M. avaient déposé le 5 mars 2012 des conclusions qui, ne valant pas mémoire, s'avèrent irrecevables,
- ils avaient notifié par lettre recommandée du 12 mars 2012 reçue par la société Immotravauxle 14 mars 2012 un mémoire après dépôt du rapport d'expertise développant leurs moyens et réclamant la fixation du loyer à la somme de 23 950,87 euros par an,
- l'irrégularité de fond provenant du dépôt des conclusions du 5 mars 2012 pouvait être couverte ultérieurement par application de l'article 121 du Code de procédure civile qui prescrit que : 'Dans les cas où elle est susceptible d'être couverte la nullité ne sera pas prononcée si la cause a disparu au moment où le juge statue',
- la procédure n'est pas éteinte du seul fait de la notification des conclusions contrairement à ce que prétend la société Immotravaux,
- la notification du mémoire le 12 mars 2012 a couvert l'irrégularité née du dépôt des conclusions et a régularisé la procédure.

Il convient d'ajouter qu'il importe peu que les hoirs M. aient daté leurs conclusions et leur mémoire du même jour, que sa notification ressort de l'accusé de réception joint à ce mémoire et son dépôt au greffe du juge des loyers commerciaux du timbre humide en date du 21 mai 2012 de cette juridiction.

Ainsi la procédure après expertise s'avère régulière et aucune extinction de l'instance n'existe.
Sur le nouveau loyer :

Selon l'article L. 145-33 du Code de commerce, le montant des loyers à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative. À défaut d'accord, celle-ci est déterminée d'après :

1° Les caractéristiques du local considéré,
2° La destination des lieux,
3° Les obligations respectives des parties,
4° Les facteurs locaux de commercialité,
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Pour proposer le nouveau loyer à la somme annuelle de 20 340 euros, montant fixé par le premier juge, l'expert judiciaire a retenu une surface pondérée de 98,26 mètres carrés, un prix pratiqué dans le voisinage après correction de 180 euros le mètre carré et a appliqué une majoration de 15 % compte tenu des obligations respectives des parties.

La superficie pondérée de 98,26 mètres carrés n'est pas contestée par la société Immotravaux.
Cette société invoque l'absence d'évolution des facteurs locaux de commercialité et la mauvaise commercialité de la [...], sombre, peu passante située dans un quartier au stationnement difficile.

L'absence d'évolution des facteurs locaux de commercialité importe peu car le bail à renouveler ayant connu une durée excédant douze ans, le loyer ne peut bénéficier de la règle du plafonnement ainsi que cela ressort du dernier aliéna de l'article L. 145-34 du Code de commerce et doit se calculer selon la valeur locative.

La société Immotravaux prétend que la [...] où se situe son commerce n'est pas une rue commerçante avec peu de commerce et avec aucune enseigne dynamique attractive pour la clientèle.

L'expertise judiciaire révèle que si cette rue se situe à l'écart des axes de circulation, elle se trouve dans un secteur très animé du fait de la proximité de la mairie principale de Nice, du palais de Justice, du cours Saleya et du bord de mer, que si le stationnement en surface est difficile dans le secteur par contre deux parkings publics de 325 et 360 places existent à proximité ; rien n'établit que ces parkings seraient occupés par les résidents ou les employés travaillant dans le quartier comme le prétend la société Immotravaux et que peu de place resteraient disponibles pour ses éventuels clients.

Surtout l'expert judiciaire a pris ses références pour cinq d'entre elles dans cette rue et pour les deux autres dans la rue de l'Hôtel de ville, voie perpendiculaire à la [...] excluant les commerces implantés dans des rues plus commerçantes.

Après actualisation du loyer il aboutit à une valeur moyenne de 195 euros le mètre carré qu'il réduit à 180 euros le mètre carré en raison de la superficie plus importante du local de la société Immotravaux par rapport à ceux des éléments de comparaison, le loyer au mètre carré étant inversement proportionnel à la surface du local.

Ensuite il a majoré cette valeur de 15 % en raison des obligations respectives de la destination des lieux et des obligations respectives des parties, le bail étant tous commerces sauf ceux déjà exercés dans l'immeuble et permettant au locataire de céder son droit au bail sans l'accord du bailleur, ces deux dispositions, non usuelles dans les baux commerciaux, ne faisant pas double emploi comme le prétend la société Immotravaux mais se complétant.

Contrairement à ce que soutient cette société l'impôt foncier n'est pas à sa charge et reste à celle des bailleurs.

Ainsi la valeur locative du local s'élève à la somme de 20 340 euros.

La société Immotravaux prétend que ce nouveau loyer doit prendre effet le 28 février 2012, date du dernier mémoire des hoirs M. modifiant leurs prétentions, car en cas d'une telle modification le prix prend effet à compter de la date de celle-ci.

Elle interprète faussement l'article R. 145-21 du Code de commerce. En effet ce texte énonce : 'Le prix fixé judiciairement ne peut, en aucun cas, excéder les limites de l'offre et de la demande faite selon le cas, en application de l'article L. 145-37 et conformément à l'article R. 145-20 ou en application de l'article L. 145-11, sauf si depuis lors les parties ont varié sur leurs prétentions. En ce dernier cas, le prix ne peut prendre effet, dans la mesure où il excéderait les limites fixées par les prétentions originaires des parties, qu'à dater de la notification des nouvelles prétentions'.

Il ressort de ce texte que lorsque la demande nouvelle est inférieure au chiffre précédemment réclamé, le loyer renouvelé part de la première demande.

Lors de son congé avec offre de renouvellement du 18 juin 2009 pour le 31 décembre 2009 Madame

M. réclamait un nouveau loyer de 24 000 euros, supérieur à celui demandé par les hoirs M. dans leur dernier mémoire (23 950,87 €) et à celui fixé par le premier juge confirmé par cet arrêt.

C'est donc bien à partir du 1er janvier 2010 que le nouveau loyer doit prendre effet.

La confirmation du jugement attaqué s'impose.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Confirme le jugement du 7 novembre 2012 du juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice ;

Condamne la société Immotravaux aux dépens d'appel.