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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 20 octobre 2020, n° 17/07050

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Backimmo (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

Avocats :

Me Denis, Me Demidoff, Me Kullmann

T. com. Saint Nazaire, du 27 sept. 2017

27 septembre 2017

FAITS ET PROCEDURE :

X…, A…, Y… et Z… (ci-après les B…) détenaient ensemble l'intégralité du capital social de la SAS Vérifimmo.

Suivant acte du 24 mai 2011, ils cédaient l'ensemble de leurs actions à la société Backimmo, qui avait pour actionnaire majoritaire la société 123 Venture.

Le financement de cette prise de contrôle allait être assuré, notamment et suivant convention de prêt également en date du 24 mai 2011, par une avance en compte courant consentie par la société 123 Venture à la société Backimmo pour un montant de trois millions d'euros, ce dans l'attente de la souscription d'un emprunt bancaire par cette dernière.

Aux termes de l'acte de cession, les B… convenaient de réinvestir une partie du prix de vente en souscrivant auprès de la société Backimmo, par voie de compensation et chacun dans des proportions différentes, un ensemble d'obligations convertibles en actions à l'échéance du 24 mai 2019.

Le contrat d'émission des obligations, toujours en date du 24 mai 2011, prévoyait en son article 4 le versement aux obligataires d'un intérêt au taux annuel de 5 % payable le 30 juin et le 31 décembre de chaque année, ce jusqu'à la date de remboursement des titres ou de leur conversion.

Le contrat prévoyait également le paiement d'intérêts de retard au taux annuel de 12 %.

Son article 5, intitulé «'amortissement - subordination’ » stipulait enfin' :

«'5.1 ‘ : Les obligations convertibles non converties seront intégralement remboursées en une seule fois par la société Backimmo à l'échéance, en principal plus intérêts dus à cette date.

5.2 ': Toutefois, tant le paiement des intérêts semestriels que le remboursement des obligations convertibles (en principal, intérêts et primes de non-conversion) sera subordonné au paiement préalable et intégral de toute somme due par la société au titre du financement en prêt(s) de la prise de contrôle de la société Vérifimmo (et le cas échéant de toute dette «'senior'» appelée à se substituer à ce financement en prêt initial), savoir, à ce jour, un prêt d'associé d'un montant de trois millions d'euros.'»

Nonobstant cette clause dite de subordination et alors que l'avance en compte courant n'avait pas été remboursée ni remplacée par un prêt bancaire classique, la société Backimmo allait servir aux B…, de même d'ailleurs qu'à d'autres investisseurs, les intérêts générés par leur placement obligataire, ce jusqu'au début de l'année 2013, époque à laquelle la société cessait tout règlement en se prévalant de difficultés financières du moment.

Alors qu'elle avait reçu plusieurs mises en demeure de la part des B…, la société Backimmo leur rappelait finalement qu'ils ne pourraient pas prétendre au paiement des intérêts tant que la société 123 Venture ne serait pas intégralement remboursée de son avance en compte courant.

Contestant cette position, les B… faisaient assigner la société devant le tribunal de commerce de Saint Nazaire qui, par jugement du 27 septembre 2017, considérant le caractère illicite de la clause de subordination du paiement des intérêts' :

- condamnait la société Backimmo à leur régler, au titre des intérêts générés par les obligations convertibles :

* à X…, la somme de 26.250 €,

* à A…, la somme de 26.250 €,

* à Y…, la somme de 8.750 €,

* et à Z…, la somme de 8.750 € ;

- la condamnait également à leur verser des intérêts de retard sur les intérêts dus, et ce au taux de 12 % à compter de leur date d'exigibilité ;

- la condamnait encore à payer à chacun des B… une somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboutait la société Backimmo de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamnait enfin aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 6 octobre 2017, la société Backimmo interjetait appel de ce jugement.

L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 31 mai 2018, les intimés les leurs le 6 mars 2018.

Finalement, la clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 2 juillet 2020.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Backimmo demande à la cour de :

Vu les articles 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6 du code civil,

Vu les articles 1102, 1103 et 1194 du code civil,

Vu l'article 1199 du code civil,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- débouter les B… de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- les condamner solidairement au paiement d'une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP CADORET TOUSSAINT DENIS ET ASSOCIES, avocats aux offres de droits.

Au contraire, les B… demandent à la cour de :

Vu l'article 1134 du code civil, vu l'article L 228-97 du code de commerce,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

- condamner la société Backimmo à payer à chacun des demandeurs la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la SCP Gauvain-Demidoff ;

- la condamner aux entiers dépens d'appel.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Pour faire droit à la demande des B… tendant au paiement immédiat des intérêts générés par leur placement obligataire, le tribunal a essentiellement retenu :

- que l'article 4 du contrat d'émission des titres prévoyait le versement d'intérêts contractuels payables le 30 juin et le 31 décembre de chaque année, conférant ainsi aux obligataires une créance certaine, liquide et exigible à la date de chacune de ces échéances ;

- que si l'article 5.2 du même contrat prévoyait une clause subordonnant le paiement de ces intérêts au règlement préalable de la créance en compte courant de la société 123 Venture, pour autant cette clause contrevenait à l'article L 228-97 du code de commerce réservant une telle possibilité au remboursement de la seule valeur des obligations, et non à celui des intérêts produits par elles' ;

- qu'il fallait donc appliquer strictement l'article L 228-97 et constater que la clause de subordination du paiement des intérêts ne pouvait pas s'appliquer, celle-ci, non autorisée par la loi, constituant en outre une entorse au principe d'égalité de traitement des créanciers chirographaires, alors par ailleurs que la subordination n'aurait pu s'appliquer qu'en cas de cessation des paiements ou de liquidation judiciaire de la société Backimmo.

Si ce dernier argument (tiré d'une rupture d'égalité entre les créanciers chirographaires dans le cadre d'une procédure collective) paraît hors sujet alors par ailleurs que tous les créanciers obligataires de la société Backimmo ont été soumis à la même clause de subordination en adhérant au contrat d'émission, en revanche la cour partage l'analyse des premiers juges selon laquelle cette clause contrevient à l'article L 228-97 du code de commerce qui dispose que "lors de l'émission de valeurs mobilières représentatives d'un droit de créance sur la société émettrice, y compris celles donnant le droit de souscrire ou d'acquérir une valeur mobilière, il peut être stipulé que ces valeurs mobilières ne seront remboursées qu'après désintéressement des autres créanciers [...]".

Or, il résulte des travaux parlementaires ayant précédé le vote de la loi nº 85-1321 du 14 décembre 1985 qui a introduit les dispositions de l'article 339-7 dans la loi nº 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, dispositions aujourd'hui codifiées sous l'article L 288-97 du code de commerce, et plus particulièrement du rapport Dailly au Sénat en date du 31 octobre 1985, que c'est cette loi qui a rendu licite l'émission de valeurs mobilières représentatives de créances assortie d'une clause stipulant que ces valeurs ne seraient remboursées qu'après désintéressement des autres créanciers.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que les dispositions de l'article L 288-97 du code de commerce devaient être interprétées de façon restrictive, en ce sens que la subordination ne pouvait pas être étendue au-delà des seules prévisions légales, et en l'occurrence qu'elle ne pouvait pas s'appliquer au paiement des intérêts obligataires.

Au surplus et ainsi que les B… le font justement valoir, de telles dispositions, stipulées à l'article 5.2 du contrat d'émission des obligations, présentent un caractère potestatif en ce qu'elles permettent à la société Backimmo de décider, seule, du moment où elle paiera les intérêts, voire si elle les paiera un jour, étant en effet rappelé que si l'article 5.1 du contrat d'émissions prévoit certes que les obligations non converties seront intégralement remboursées en une seule fois à leur échéance, en principal plus intérêts dus à cette date, en revanche l'article 5.2 autorise la société Backimmo à ne jamais y procéder puisqu'il stipule que «'toutefois, tant le paiement des intérêts semestriels que le remboursement des obligations convertibles (en principal, intérêts et primes de non-conversion) sera subordonné au paiement préalable et intégral de toute somme due par la société au titre du financement [...] de la prise de contrôle de la société Vérifimmo [etc]'», permettant par là même à la société Backimmo de différer autant qu'elle le souhaite le versement des intérêts dus à ses obligataires en remboursant au rythme de son choix l'avance en compte courant de la société 123 Venture voire de toute dette bancaire susceptible de s'y substituer.

Ainsi, doublement illicites, les dispositions de l'article 5-2 seront réputées non écrites.

Par suite, les B… sont en droit de réclamer le paiement sans délai des intérêts conventionnels qui leur sont dus de même que des intérêts de retard prévus au contrat.

En conséquence et en l'absence de discussion par la société Backimmo du montant des sommes dont elle demeure débitrice à ce titre, les B… sont fondés à réclamer la confirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Partie perdante, la société Backimmo sera condamnée à payer à chacun des intimés une somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par eux en cause d'appel.

De même, la société Backimmo supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant :

* condamne la société Backimmo à payer à chacun des intimés une somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

* condamne la société Backimmo aux entiers dépens de la procédure d'appel.