Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-19.330
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Ponsot
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 octobre 2017), rendu en matière de référé, par un contrat du 18 mai 2015 et des avenants ultérieurs, diverses sociétés actionnaires de la SA [...] , parmi lesquelles deux sociétés en liquidation par suite de leur dissolution judiciaire pour mésentente, la Société civile Les Terres froides (la SCTF) et la Société saumuroise de participations (la SSP), représentées par leur liquidateur M. K..., ont cédé leur participation à une société de droit luxembourgeois, la société FII Co SARL.
2. L'acte prévoyait différentes conditions suspensives, dont l'absence de toute décision de justice empêchant la cession ou limitant la possibilité pour l'acquéreur d'acquérir les actions cédées, et l'émission, par la société [...] , deux jours ouvrés avant la date de réalisation de la cession, d'obligations à bons de souscription d'actions (OBSA), que le cessionnaire s'engageait à souscrire en utilisant les droits préférentiels de souscription des vendeurs familiaux, ceux-ci renonçant corrélativement à ces droits en faveur du cessionnaire.
3. Une assemblée générale extraordinaire de la société [...] a été fixée au 18 mai 2016 pour voter sur l'émission de l'emprunt obligataire, sur les pouvoirs et délégations de compétence à conférer au directoire ainsi que sur la suppression du droit préférentiel de souscription des salariés de la société.
4. Soutenant que l'émission des OBSA était prématurée, qu'elle n'avait pas donné lieu à une information suffisante des actionnaires et qu'elle privait de toute substance le droit de préférence dont ils prétendaient disposer en vertu d'un pacte d'actionnaires, Mme D... P..., M. E... P... et Mme S... P... (les consorts P...) ont entendu obtenir, en référé, l'ajournement de cette assemblée générale. Une ordonnance ayant déclaré Mme D... P... irrecevable faute d'intérêt à agir et rejeté les demandes de Mme S... P... et M E... P..., l'assemblée générale extraordinaire s'est tenue le 18 mai 2016.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. M. E... P... et Mme S... P... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'ajournement de l'assemblée générale extraordinaire du 18 mai 2016 alors :
« 1°/ que leur convention tient lieu de loi aux parties ; que la cour d'appel a retenu que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 18 mai 2016, les associés de la société [...] avaient décidé à la fois l'émission d'OBSA et la souscription de ces OBSA ; qu'elle a constaté que l'accord du 18 mai 2015 prévoyait qu'un délai de deux jours devait séparer l'émission de l'emprunt obligataire de la date de réalisation ; qu'en estimant que l'ouverture de la souscription, concomitante à la réalisation, n'était pas prématurée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 du code civil devenu 1223 du code civil ;
2°/ que leur convention tient lieu de loi aux parties ; que le contrat de cession prévoyait une condition suspensive tenant à ce que la cession soit autorisée par une décision de justice ; qu'en retenant que l'assemblée générale extraordinaire du 18 mai 2016 pouvait décider de l'émission d'OBSA et de l'ouverture des opérations de souscription, ces décisions étant nécessairement soumises à la même condition suspensive d'autorisation judiciaire, la cour d'appel, qui a ajouté à la résolution adoptée une condition qu'elle ne prévoyait pas, a méconnu l'article 1134 du code civil devenu 1223 du code civil ;
3°/ que les consorts P... contestaient encore l'assemblée générale au regard de leur droit de préférence sur les actions cédées, que l'accélération des opérations les avait empêchés d'exercer ; que pour écarter la critique, la cour d'appel a énoncé qu'il n'était pas établi que l'opération n'était pas conforme à l'intérêt social ; qu'en se déterminant au regard de l'intérêt que présentait globalement l'opération pour la société, sans répondre à la question qui lui était soumise, de savoir si l'accélération des opérations n'avait pas eu pour effet de priver les consorts P... de la possibilité d'exercer leur droit de préférence avant l'ouverture de la souscription de l'emprunt obligataire, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni de leurs conclusions que les consorts P... aient soutenu, devant la cour d'appel, l'argumentation développée par la première branche.
7. D'autre part, en énonçant que l'exécution effective de la cession a toujours été subordonnée par l'ensemble des parties à l'absence de décision judiciaire empêchant la cession, la cour d'appel, qui s'est bornée à se référer aux conditions suspensives stipulées dans l'acte de cession du 18 mai 2015, n'a pas ajouté à la résolution adoptée le 18 mai 2016 une condition qu'elle ne comportait pas.
8. Enfin, après avoir retenu qu'il n'était pas justifié que l'émission et la souscription des OBSA pendant le délai offert pour la préemption étaient contraires à l'intérêt social, l'arrêt constate que les notifications de la cession délivrées à M. E... P... portant rappel de son droit de préemption mentionnaient qu'elles étaient faites à titre conservatoire et précisaient qu'elles n'emportaient pas reconnaissance de la validité d'un éventuel pacte d'actionnaire, ce dont il déduit que M. E... P... ne peut arguer de son droit de préemption pour solliciter l'ajournement de l'assemblée générale extraordinaire. En l'état de ces énonciations et constatations souveraines, faisant ressortir que l'existence d'un dommage imminent n'était pas démontrée, la cour d'appel, répondant à la question qui lui était soumise, a justifié sa décision.
9. En conséquence, le moyen, irrecevable en sa première branche, comme nouveau et mélangé de droit et de fait, n'est pas fondé pour le surplus.
Mais sur le premier moyen, qui est recevable
Enoncé du moyen
10. Mme D... P... fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable alors « que les copropriétaires indivis de droits sociaux ont la qualité d'associé ; qu'ils peuvent participer aux délibérations collectives et exercer les actions de nature à préserver leurs intérêts ; qu'ayant constaté que Mme D... P... avait la qualité d'associée en tant que membre de l'indivision successorale propriétaire de 3.015 actions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en retenant qu'elle n'avait pas qualité à agir pour défendre ses intérêts d'associé ; qu'elle a violé l'article 1844, alinéa 1, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1844, alinéa 1, et 815-2 du code civil :
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que le propriétaire indivis de droits sociaux, qui a la qualité d'associé, peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des actions indivises et, à ce titre, agir en justice aux fins d'ajournement d'une assemblée générale extraordinaire ayant pour ordre du jour l'émission de titres donnant accès au capital de la société émettrice.
12. Pour déclarer Mme D... P... irrecevable en son action pour défaut de qualité pour agir, l'arrêt retient que celle-ci n'allègue et ne justifie, ni de sa qualité de mandataire de l'indivision au sens de l'article 1844, alinéa 2, du code civil, ni de son souhait de procéder à un acte conservatoire dans l'intérêt de l'indivision, dont elle ne dit pas qu'elle serait en péril.
13. En statuant ainsi, alors que Mme D... P..., qui ne revendiquait pas la qualité de mandataire de l'indivision, justifiait agir à des fins conservatoires dans l'intérêt de l'indivision en demandant en justice un report de l'assemblée générale dont elle soutenait qu'elle n'avait pas été précédée d'une information suffisante des actionnaires sur les conditions financières de l'émission d'OBSA et qu'elle intervenait de manière prématurée, notamment au regard d'un droit de préférence sur les actions cédées dont elle se prétendait titulaire en vertu d'un pacte d'actionnaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application des articles 627 du code de procédure civile et L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, dont l'application est suggérée par la défense, la Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n'implique pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
15. La cour d'appel ayant examiné le fond de l'affaire en répondant aux conclusions de M. E... P... et de Mme S... P... qui étaient communes à celles de Mme D... P... et invoquaient des moyens identiques, le rejet prononcé sur le second moyen permet à la Cour de casser sans renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare Mme D... P... irrecevable à agir, l'arrêt rendu le 12 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.