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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 5 mai 1998, n° 97/25961

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Genefim (Sté), Société Générale (SA), Conseil des Marchés Financiers, Commission des Opérations de Bourse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Conseillers :

Mme Favre, Mme Thin

Avoués :

SCP Lagourgue, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Me Lovichi, Me Gontard, Me Prat

CA Paris n° 97/25961

4 mai 1998

Statuant en application du décret nº 96-869 du 3 octobre 1996 relatif aux recours exercés devant la Cour d'Appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés financiers ;

Après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des marchés financiers, le représentant de la Commission des opérations de bourse et le ministère public en leurs observations ;

La société GENEFIM est une société dont les actions font l'objet, depuis le 7 novembre 1996, de transactions sur le compartiment des valeurs radiées des marchés réglementés.

La Société Générale qui détient directement et indirectement 98,20 % du capital et 98,65 % des droits de vote de la société GENEFIM, agissant pour son compte et celui de ses filiales, a déposé, le 12 novembre 1997, un projet d'offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire visant les titres de cette société, en application des articles 5-5-3 et 5-6-1 du Règlement Général du Conseil des Bourses de Valeurs.

Par décision délibérée le 19 novembre 1997, publiée sous le nº 97-3865 le 21 novembre 1997 par télécopie aux abonnés au bulletin officiel, puis publiée au BALO le 26 novembre 1997, le Conseil des Marchés Financiers (le Conseil ou CMF) a :

- déclaré recevable le projet d'offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire visant les actions GENEFIM au prix unitaire de 220 F,

- indiqué qu'une nouvelle information sera publiée pour faire connaître la date de mise en oeuvre et de clôture de l'offre après que la Commission des Opérations de Bourse (COB) aura donné son accord sur le projet de communiqué établi par l'initiateur de l'offre,

- dans cette attente, demandé à la SBF-Bourse de Paris de maintenir la suspension de la cotation des actions GENEFIM sur le compartiment de valeurs radiées de marchés réglementés.

Le 21 novembre 1997, la Société des Bourses Françaises (SBF) a informé le marché, par avis nº 97-3849 de la décision du CMF, de l'accord de la COB sur le communiqué financier établi par l'initiateur sur le fondement de l'article 20 du règlement COB nº 89-03 et du calendrier de réalisation de l'offre publique.

La Société Générale a fait publier le 24 novembre 1997 un avis dans le journal La Tribune aux termes duquel il était indiqué que "chaque actionnaire recevra individuellement et par courrier, le communiqué soumis à l'appréciation de la COB (article 20 du règlement nº 89-03)".

L'offre publique a été ouverte le 25 novembre 1997.

Le 5 décembre 1997 Monsieur TISSOT et Madame POLI, actionnaires minoritaires de la société GENEFIM, ont formé un recours en annulation et subsidiairement en réformation à l'encontre de la décision du CMF du 21 novembre 1997.

Ils soutiennent :

1) à l'appui du recours en annulation :

- que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, et que le libellé de la décision, dans sa deuxième partie, n'est pas compréhensible,

- que le communiqué précisant les modalités de l'offre a été porté à leur connaissance 48 heures après le début de l'offre publique de retrait alors qu'il devait l'être 24 heures avant le début de l'offre,

- que les dispositions de la décision déférée sont incompatibles avec le déroulement de l'offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire ;

2) aux fins de réformation :

- que le prix proposé par la Société Générale et retenu par le CMF ne correspond pas à la valeur réelle de l'action GENEFIM, alors que leur "expropriation" devait comporter un caractère indemnitaire en plus d'une évaluation équitable de la valeur des actifs immobiliers.

En cas de réformation, ils demandent à la cour de fixer le prix de la valeur de l'action GENEFIM à un montant qui ne saurait être inférieur à 440 frs.

Ils sollicitent en outre la condamnation de tout succombant à leur payer la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Conseil a présenté des observations visant au rejet du recours formé contre la décision du 19 novembre 1997. Il conclut par ailleurs à l'irrecevabilité du recours en ce qu'il concerne l'avis d'ouverture d'offre nº 97-3849, et sollicite la condamnation des requérants à lui payer 50.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société Générale, aux termes de son mémoire, sollicite également le rejet de la demande d'annulation et de réformation de la décision du CMF et plus généralement de l'ensemble des prétentions des requérants, ainsi que la condamnation de Monsieur TISSOT et de Madame POLI au paiement de la somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Invitée à présenter des observations en application de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, la COB estime que les critiques formulées par les requérants ne lui apparaissent pas de nature à affecter la validité de la décision contestée, l'application des critères retenus par le CMF ayant conduit à une indemnisation équitable des actionnaires minoritaires.

Le ministère public a oralement conclu au rejet des demandes et prétentions des minoritaires.

Les requérants ont été invités, à l'audience, à s'expliquer sur la recevabilité des écritures qu'ils ont déposées postérieurement au 11 mars 1998, date imposée par le délégué du premier président de la Cour pour le dépot des mémoires en duplique.

SUR CE, LA COUR

Sur la procédure

Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret du 23 mars 1990 le premier président ou son délégué fixe les délais dans lesquels les parties à l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour ;

Considérant, en l'espèce, que selon l'ordonnance du délégué du premier président du 13 janvier 1998, les mémoires en duplique devaient être déposés avant le 11 mars 1998 à 17 heures ;

Qu'il s'ensuit que le mémoire déposé par les requérants le 16 mars 1998 ainsi que les pièces communiquées par les mêmes les 12 et 16 mars 1998 doivent être d'office écartés des débats ;

Sur l'annulation

1) En ce qui concerne le respect du contradictoire

Considérant que les requérants soutiennent que la décision attaquée serait nulle, pour violation du principe du contradictoire, dans la mesure où ils auraient tenté, sans y parvenir, de faire entendre leur argumentation, et sans qu'aucune explication ne leur soit fournie à cet égard ;

Mais considérant que si, aux termes de l'alinéa 9 de l'article 27 de la loi du 2 juillet 1996, préalablement à ses délibérations, le C.M.F. peut entendre des personnalités qualifiées, les dispositions de ce texte, qui lui offrent une faculté d'audition pour l'instruction des affaires, ne lui imposent pas d'entendre l'ensemble des minoritaires, ou de répondre à leurs observations éventuelles, le respect des droits de ces derniers étant assuré d'une part par les principes directeurs de l'évaluation de l'indemnisation de l'actionnariat, tels que fixés par la loi du 2 juillet 1996, et d'autre part par le recours qui leur est ouvert devant la cour d'appel ;

Qu'au demeurant, le Conseil indique, sans être contredit, avoir examiné les observations faites par les requérants, portant essentiellement sur la valeur de l'action GENEFIM, et s'être entretenu à plusieurs reprises avec leur conseil ;

Que dès lors le moyen tiré d'une prétendue violation du principe du contradictoire est dénué de fondement ;

2) Sur la communication aux actionnaires du communiqué après l'ouverture de l'offre

Considérant que les requérants soutiennent que la décision attaquée doit être déclarée nulle car ils n'ont été destinataires du communiqué visé par la COB que 48 heures après le début de l'offre publique de retrait ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 5 du règlement COB nº 89-03, il appartient à la Commission des Opérations de Bourse seule d'approuver les modalités de diffusion des informations destinées aux actionnaires dans le cadre d'une offre publique ;

Que les griefs tirés d'une prétendue mauvaise information des actionnaires minoritaires, sont donc inopérants puisque nés de faits postérieurs à la décision attaquée et n'émanant pas du Conseil des marchés financiers ;

3) Sur le libellé de l'avis de recevabilité

Considérant que Monsieur TISSOT et Madame POLI font grief au Conseil de n'avoir pas libellé de façon suffisamment claire le deuxième paragraphe de l'avis de recevabilité du 21 novembre 1997 ainsi rédigé :

"Une nouvelle information sera publiée pour faire connaître la date de mise en oeuvre et de clôture de l'offre après que la Commission des Opérations de Bourse aura donné son accord sur le projet de communiqué établi par l'initiateur de l'offre.

Dans cette attente, le Conseil des Marchés Financiers a demandé à la SBF-Bourse de Paris de maintenir la suspension de la cotation des actions GENEFIM sur le compartiment de valeurs radiées de marchés réglementés".

Considérant que le Conseil reconnait que ce texte comportait une erreur matérielle concernant la date à laquelle l'offre était susceptible d'être ouverte, puisque, entre le moment de sa rédaction et celui de sa publication, il avait en réalité été informé de l'accord de la COB sur le projet de communiqué ;

Qu'il justifie que cette erreur a été corrigée par un rectificatif en date du 3 décembre 1997 indiquant que le point 2 ci-dessus reproduit devait être remplacé par :

    "Le Conseil des Marchés Financiers, ayant reçu ce jour communication de l'accord de la Commission des Opérations de Bourse sur le communiqué établi par l'initiateur de l'offre, a demandé à la SBF-Bourse de Paris de reprendre la cotation des actions GENEFIM sur le compartiment de valeurs radiées de marchés réglementés le 25 novembre 1997.

    L'offre sera ouverte du 25 novembre 1997 au 8 décembre 1997.

    La SBF-Bourse de Paris fait connaître par un avis de ce jour, 21 novembre 1997, les conditions de réalisation de l'offre, son calendrier détaillé et la mise en oeuvre du retrait obligatoire".

Que le caractère simplement matériel de l'erreur commise apparaît de façon d'autant plus évidente que l'avis SBF d'ouverture d'offre, du 21 novembre 1997 également, établi par application de la décision du Conseil et sur les indications de ce dernier, comportait déjà la rectification nécessaire, de sorte que les requérants ne peuvent prétendre avoir été induits en erreur par les termes de l'avis de recevabilité ;

Que cette erreur matérielle ne peut dès lors en aucun cas entacher de nullité la décision rendue ;

Qu'il résulte de ce qui précède que le recours en annulation n'est fondé en aucun des moyens soulevés et doit être en conséquence rejeté ;

Sur la réformation

Considérant que Monsieur TISSOT et Madame POLI soutiennent que la décision attaquée aurait dû comporter un caractère indemnitaire en plus d'une évaluation équitable de la valeur des actifs immobiliers ;

Qu'ils font valoir que la décision devait prendre en compte le fait qu'aucun dividende n'avait été distribué en 1996 et qu'aucune distribution n'était prévue pour 1997 ; qu'ils ajoutent que les calculs effectués sont critiquables car les provisions 1996 et 1997 sont discutables ;

Qu'ils discutent ensuite les méthodes d'évaluation retenues et prétendent en définitive que la méthode des cash flows actualisée fait ressortir la valeur du titre GENEFIM à hauteur de 445 francs ;

Considérant qu'aux termes de l'article 33.4 de la loi du 2 juillet 1996 "l'évaluation des titres effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actifs tient compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité. L'indemnisation est égale, par titre, au résultat de l'évaluation précitée ou, s'il est plus élevé, au prix proposé lors de l'offre ou la demande de retrait."

Qu'il s'ensuit qu'il n'est nullement prévu une composante particulière qui rendrait l'indemnité nécessairement supérieure à l'évaluation équitable des titres visés par l'offre de retrait et que l'argumentation tirée de l'absence de distribution de dividendes est dénué de fondement ;

Considérant par ailleurs qu'il n'appartient pas au Conseil de remettre en cause la sincérité des données comptables de l'entreprise, ou de procéder à une expertise de gestion de la société GENEFIM, de sorte que la critique de la pertinence ou de l'adéquation des provisions inscrites au bilan est inopérante ;

Considérant, s'agissant des méthodes d'évaluation, que la recherche de l'indemnisation juste et équitable par l'initiateur de l'offre sous le contrôle du Conseil doit viser, par l'application de critères connus, exacts, objectifs, significatifs et multiples, à déterminer un juste prix, en affectant chacun des critères définis par la loi des pondérations appropriées à l'espèce, en écartant, le cas échéant, les critères non pertinents ou en retenant au contraire des méthodes, non prévues par le législateur, mais de nature à conduire à une évaluation équitable et légitime de l'entreprise ;

Considérant, en l'espèce, que tant la Société Générale, en sa qualité d'évaluateur, que le Cabinet CALAN RAMOLINO & ASSOCIES, expert indépendant sollicité pour donner son appréciation, conformément aux dispositions de l'article 5-6-1 du règlement général du Conseil, ont fixé la valeur du titre GENEFIM, par une approche multicritères, à travers une application des critères de comparaisons boursières, d'actif net réévalué, de comparaison avec des transactions récentes et d'actualisation des flux de trésorerie disponibles qui reposent sur des éléments connus et objectifs et qui procèdent de la démarche requise par les textes ci-dessus rappelés ;

Que ces différentes méthodes ont conduit l'évaluateur à des valeurs de l'action arrondies s'étageant de 95 F à 245 F suivant des hypothèses qui supposent le retour à une rentabilité de la société 1998 ;

Que l'expert indépendant indique avoir identifié des éléments allant dans le sens d'une possible diminution de la fourchette des valeurs présentées, en précisant que les valeurs les plus élevées résultent des méthodes fondées sur l'actif net réévalué qui lui paraissent sensiblement majorantes compte tenu de la faible rentabilité de la société ; qu'il conclut que le prix de 220 F proposé lui paraît équitable, voire en faveur des actionnaires minoritaires ;

Considérant que les requérants reprochent vainement à la Société Générale, puis à l'expert indépendant et au Conseil, de n'avoir pas retenu la méthode dite d'actualisation des flux de dividendes, car, ainsi que cela a été clairement expliqué dans la note d'information de l'initiateur de l'offre, cette méthode aurait conduit à prendre en compte un événement aléatoire puisque GENEFIM, de part son statut de SICOMI, doit distribuer 85 % de son résultat imposable lié à son activité de crédit-bail, lequel comprend les plus-values réalisées sur les levées anticipées des contrats dépendant de la seule volonté des locataires des biens concernés ;

Considérant, ensuite, qu'ils n'apportent aucune correction en ce qui concerne l'évolution du cours de bourse (moyenne sur 12 mois de 97 F, confirmée, selon l'expert indépendant par les transactions en octobre 1997 effectuées entre 91 et 105 F), retenue à titre de simple référence ;

Considérant, en ce qui concerne la méthode dite des comparaisons boursières, que Monsieur TISSOT et Madame POLI se bornent à observer que le processus d'expropriation intervient au point bas de la crise de l'immobilier, donc au moment le plus défavorable pour les minoritaires, ce qui, selon eux, ne serait pas pris en compte dans l'évaluation du titre GENEFIM, sans faire de critiques précises sur les calculs résultant de l'application de cette méthode, laquelle n'est, en tout état de cause, qu'un critère parmi d'autres ayant conduit à la fixation du prix de l'action ;

Considérant, s'agissant du critère de l'actif net réévalué, que les requérants critiquent l'évaluation du patrimoine immobilier de GENEFIM et prétendent qu'elle aurait été faite a minima, dans la mesure où le rapport de gestion 1996 faisait ressortir la valeur du patrimoine au 31 décembre 1995 à hauteur de 1,8 milliard de francs au lieu des 891 millions retenus au titre de la valeur de l'actif net comptable ;

Mais considérant que l'argument n'est pas pertinent, l'évaluateur ayant procédé à son calcul à partir des données comptables de l'entreprise arrêtées au 30 juin 1997 ;

Considérant les critiques effectuées sur les méthodes de comparaison avec les transactions récentes et d'actualisation des cash flows sont inopérantes, puisqu'elles procèdent de la seule affirmation de leur caractère aberrant ;

Considérant, en définitive, que les actionnaires minoritaires, sous couvert du principe d'une indemnité équitable, invoquent un droit à l'application exclusive du critère qu'ils estiment leur être le plus favorable, en l'espèce celui de la méthode des cash flows actualisée, ce qui ne correspond nullement à la volonté du législateur ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens visant à contester le bien-fondé de la décision critiquée sont mal fondés et doivent être rejetés ;

Sur les autres demandes

Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande présentée par la Société Générale sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'en revanche il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formulée par le Conseil sur le même fondement ;

PAR CES MOTIFS

Ecarte des débats les écritures de Monsieur TISSOT et de Madame POLI déposées au greffe de la cour le 16 mars 1998 ainsi que les pièces communiquées par les requérants selon bordereaux des 12 et 16 mars 1998 ;

Rejette le recours formé par Monsieur TISSOT et par Madame POLI contre la décision délibérée le 19 novembre 1997 par le Conseil des Marchés Financiers et publiée au BALO le 26 novembre 1997 ayant déclaré recevable le projet d'offre publique de retrait suivie d'un retrait obligatoire visant les actions GENEFIM au prix unitaire de 220 F ;

Condamne Monsieur TISSOT et Madame POLI à payer à la Société Générale la somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette la demande présentée sur le même fondement par le Conseil des Marchés Financiers ;

Condamne les requérants aux dépens.