CA Paris, 1re ch. C, 27 octobre 1993, n° 93/17254
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Comité d’Entreprise de la Sucrerie Raffinerie de Brienon, Comité d’Entreprise de la Sucrerie Raffinerie de Bourgogne
Défendeur :
Sucrerie Raffinerie de Chalon sur Saone (Sté), Demachy Worms et Cie (Sté), Union Financière du Sud-Est (Sté), Somupar (Sté), Conseil des Bourses de Valeurs, Président de la Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Ezratty, M. Canivet, Mme Aubert
Conseillers :
M. Bargue, M. Albertini
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Barrier & Monin, Me Gibou-Pignot, SCP Teytaud
Avocats :
Me Montebourg, Me Delhomme, Me Vassogne, Me Lesage, Me Schwob, Me Rossignol, Me Vatier, SCP Rambaud Martel
Statuant en application de la loi nº 88-70 du 22 janvier 1988 sur les Bourses de valeurs et du décret nº 88-603 du 7 mai 1988 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil des marchés à terme et du Conseil des bourses de valeurs.
Et après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des bourses de valeurs et le ministère public en leurs observations.
La Cour est saisie des recours en annulation formés :
- le 16 juillet 1993 par M. Albert BALLAND président du Conseil d'administration de la société SUCRERIE-RAFFINERIE DE CHALON SUR SAONE (ci-après "SUCRERIE de CHALON") et par Mme Josèphe WILHELEM-BALLAND,
- le 19 juillet 1993 par les comités d'entreprise de la SUCRERIE-RAFFINERIE DE BRIENON et de la SUCRERIE-RAFFINERIE DE BOURGOGNE, contre la décision nº 93-1969 prise par le Conseil des bourses de valeurs (le Conseil) le 7 juillet 1993 qui a déclaré recevable l'offre publique d'achat de l'UNION FINANCIERE SUCRIERE DU SUD-EST (UFISUSE) visant la totalité des actions composant le capital de la société SUCRERIE-RAFFINERIE de CHALON SUR SAONE au prix unitaire de 3 025 francs.
La durée de validité de l'offre était prévue du 12 juillet au 9 août 1993. Toutefois, en raison du présent recours, le Conseil décidait, par un avis du 29 juillet 1993, de reporter sine die la date de clôture de l'O.P.A.
Par application des dispositions de l'article 5 du décret du 7 mai 1988, ces recours ont été dénoncés à la SUCRERIE de CHALON visée par l'offre, à la Banque DEMACHY WORMS, établissement présentateur, à la société UFISUSE, initiatrice, à la SOCIETE MULHOUSIENNE DE PARTICIPATION ET DE GESTION DE PORTEFEUILLES (SOMUPAR) et à M. Louis BALLAND.
Conformément aux dispositions de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, le président de la Commission des opérations de bourse a été appelé à déposer des conclusions.
Selon les éléments soumis à l'appréciation de la Cour, les faits nécessaires à la solution du litige peuvent se résumer comme suit :
Inscrite au marché hors cote de la Bourse de Lyon, la SUCRERIE de CHALON est une société anonyme au capital de 36.000.000 francs composé de 180.000 actions d'un nominal de 200 francs. 541 actionnaires se répartissent son capital à hauteur de 78,19 % pour les actionnaires individuels, de 13,61 % pour la Compagnie Industrielle et Financière A.C.E., et de 4,52 % pour la SOMUPAR, le solde, soit 3,68 %, étant affecté à l'autocontrôle de la société.
La SUCRERIE de CHALON est une sucrerie indépendante assurant la production et la distribution de ses produits dans la région de Bourgogne ; elle emploie 150 salariés en moyenne et a réalisé en 1993 un bénéfice net consolidé de 45 millions de francs pour un chiffre d'affaires de 320 millions de francs.
Le 29 juin 1993 la Banque DEMACHY WORMS & Cie, agissant pour le compte de la société UFISUSE, saisissait le Conseil des bourses de valeurs d'un projet d'Offre Publique d'Achat visant les actions de la société SUCRERIE de CHALON.
La Société UFISUSE, dont le capital est réparti à égalité entre la SOCIETE GENERALE SUCRIERE et la SOCIETE DISTILLERIE COOPERATIVE AGRICOLE DE CORBEILLES EN GATINAIS, proposait d'acquérir la totalité des actions composant le capital social pour le prix de 3.025 francs par action.
La société initiatrice indiquait qu'elle ne détenait, au jour du dépôt de l'offre, aucun titre de la SUCRERIE de CHALON, mais qu'elle bénéficiait d'ores et déjà de deux promesses de cession d'actions portant sur 10,66 % du capital.
Ces promesses de vente étaient consenties au profit d'UFISUSE, l'une par SOMUPAR représentée par son gérant M. Gérard KOCH pour 8.144 actions, l'autre par M. Louis BALLAND pour 11.040 actions. L'avis de dépôt de l'offre, qui était publié le jour même, comportait, outre les indications habituelles, mention de ces promesses.
Par courrier du 2 juillet 1993 la SUCRERIE de CHALON faisait connaître à la Société des Bourses Françaises que le projet d'offre publique d'achat ne pourrait, selon elle, qu'être déclaré irrecevable pour deux motifs :
- en raison, d'une part, du démarchage illicite de l'ensemble des actionnaires, entrepris depuis le 26 mars 1993 par M. Gérard KOCH en sa qualité de gérant de la société SOMUPAR, actionnaire minoritaire, en vue d'obtenir d'eux qu'ils confient à la Financière de Courcelles un mandat de vendre leurs actions au prix minimum de 3.000 francs, étant précisé que le 1er avril 1993, M. Albert BALLAND et Mme Josèphe WILHELEM-BALLAND ont saisi d'une plainte avec constitution de partie civile le Doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Mulhouse pour démarchage illicite ;
- en raison du fait, d'autre part, que les 135 actionnaires qui auraient signé des mandats exclusifs et irrévocables au profit de la Financière de Courcelles se trouvaient mis dans l'impossibilité d'apporter leurs actions à l'offre publique.
Interrogée sur ce point par la Société des Bourses Françaises, la Financière de Courcelles indiquait, par courrier du 7 juillet que, dès le 1er juillet, elle avait avisé tous les signataires des mandats qu'en raison du dépôt d'une O.P.A., elle considérait sa mission suspendue jusqu'au résultat de celle-ci et qu'ils avaient donc toute liberté pour répondre favorablement à cette offre.
Le conseil d'administration de la société SUCRERIE de CHALON a publié dans une note d'information du 27 juillet 1993, visée par la Commission des opérations de bourse, un avis motivé recommandant aux actionnaires de ne pas apporter leurs actions à cette offre incontestablement hostile.
Le Conseil a, par la décision du 7 juillet 1993 soumise à recours, déclaré l'offre recevable, et la Commission des opérations de bourse a, le 8 juillet, apposé son visa sur la note d'information établie par UFISUSE relative à cette opération.
De ces circonstances de fait, les requérants M. Albert BALLAND, Mme Josèphe WILHELEM-BALLAND et les Comités d'entreprise des sociétés SUCRERIE de BRIENON et de BOURGOGNE, déduisent les moyens suivants visant à l'annulation de la délibération du Conseil :
- il appartenait au Conseil d'exercer un examen scrupuleux du projet d'offre au regard des intérêts économiques et sociaux en cause, dès lors que l'objectif de l'initiateur de l'offre publique d'achat apparaissait, aux termes mêmes de l'appréciation faite par le ministre de l'économie, comme "une pratique prédatrice consistant à évincer un concurrent sain afin de récupérer ses quotas sucriers" ;
- les initiateurs de l'offre n'ont, en aucune façon, indiqué leurs intentions en ce qui concerne le plan social pour les douze mois à venir et il incombait au Conseil des bourses de valeurs et à la Commission des opérations de bourse de s'assurer de la loyauté des informations données au public lequel n'inclut pas les seuls actionnaires de la société mais également les salariés de l'entreprise ;
- la société UFISUSE n'a pas satisfait à l'obligation, qui lui est faite par l'article 4 du règlement nº 89-03 de la Commission des opérations de bourse, de notifier au conseil d'administration de la SUCRERIE de CHALON et de porter à la connaissance du public par voie de publication, le texte intégral des promesses de cessions d'actions dont elle bénéficiait de la part de M. Louis BALLAND et de la SOMUPAR ;
- les deux promesses précitées, qui constituent des engagements irrévocables, portent atteinte au principe du libre jeu des offres et des surenchères, et violent de ce fait les dispositions de l'article 3 du règlement nº 89-03 de la Commission des opérations de bourse ;
- l'engagement de cession par deux actionnaires de 10,66 % du capital à UFISUSE prive tout compétiteur du bénéfice fiscal résultant de l'article 223-A du Code général des impôts qui permet à une société mère de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés pour le résultat réalisé par le groupe qu'elle forme avec d'autres sociétés, à condition d'en détenir directement ou indirectement au moins 95 % du capital ;
- enfin l'initiateur de l'O.P.A. qui a agi de concert avec la SOMUPAR, actionnaire de la société cible, ayant eu recours à la fois à un intermédiaire financier et à des procédés de démarchage et de publicité pour le placement de ses titres dans le cadre d'une cession, était solidairement tenu aux mêmes obligations que SOMUPAR, conformément aux dispositions de l'article 356-3-3 de la loi du 24 juillet 1966 ; UFISUSE a, dès lors, violé le règlement nº 92-02 de la Commission des opérations de bourse en ne procédant pas au dépôt d'un prospectus d'information exigé par ce règlement pour les opérations de placement de valeurs mobilières qui, comme en l'espèce, n'ont pas fait l'objet d'une demande d'admission à la cote officielle ou à celle du second marché.
La société SUCRERIE de CHALON, à laquelle les recours ont été dénoncés, conclut, par mémoire distinct de celui des requérants, qu'en ne notifiant pas à la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes le dépôt du projet d'O.P.A., au titre d'une opération de concentration, le Conseil a violé les dispositions substantielles de l'article 5-2-1 de son règlement général.
Aux termes des mémoires qu'elles ont adressés à la Cour, la société UFISUSE et la Banque DEMACHY WORMS concluent au rejet des recours et font observer que :
- les promesses de vente consenties à UFISUSE ne sont pas le produit d'un démarchage illicite dont l'allégation n'affecte pas la recevabilité de l'offre ;
- UFISUSE est l'initiateur d'une offre publique d'achat et non d'une offre au public de cession de titres ;
- la réglementation des offres publiques d'achat autorise la conclusion de promesses irrévocables d'apport à une offre quel que soit le pourcentage du capital sur lequel elles portent et qu'en toute hypothèse, des promesses, portant sur 10,66 % du capital de la SUCRERIE de CHALON, n'interdisent pas, a priori, toute compétition ;
- UFISUSE a exécuté les obligations d'information du public imposées à l'initiateur d'une offre publique, tant en ce qui concerne l'information relative aux promesses de cession qu'en ce qui concerne celle relative à ses intentions sur la politique sociale de la SUCRERIE de CHALON ;
- le Conseil des bourses de valeurs ne peut se substituer à la Commission des opérations de bourse dans le contrôle de l'information donnée au public ;
- enfin la SUCRERIE de CHALON qui n'a pas déposé de recours à l'encontre de la décision du Conseil est irrecevable à soutenir un moyen non soutenu par les requérants, en l'espèce celui tiré de l'absence de notification du projet d'offre au Ministre de l'Economie ; que ce moyen serait en toute hypothèse mal fondé, le défaut de cette notification n'étant pas une cause de nullité de la décision attaquée.
La Banque WORMS et la société UFISUSE demandent, chacune en ce qui la concerne, la condamnation des requérants à son profit sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société UFISUSE demande en outre la condamnation des requérants au paiement d'une somme d'un million de francs pour recours abusif.
La SOMUPAR demande, pour sa part, qu'il lui soit donné acte qu'elle n'entend pas intervenir dans le débat, n'étant pas initiatrice de l'offre, mais qu'elle fait sienne, en tant que de besoin, l'argumentation développée par UFISUSE.
Elle demande en outre à la Cour d'ordonner le bâtonnage des écrits diffamatoires figurant en page 11 du mémoire des requérants M. Albert BALLAND et Mme Josèphe WILHELEM-BALLAND ainsi rédigés : "Ces mécanismes de répression pénale peuvent d'autant mieux se justifier en l'espèce que le démarchage pratiqué par la SOMUPAR a les caractéristiques d'une tromperie des actionnaires de la SUCRERIE RAFFINERIE de CHALON SUR SAONE".
Aux termes du mémoire qu'il a présenté au soutien de sa décision, le Conseil fait valoir que :
- les moyens tirés du désaccord économique ou d'opportunité des requérants sur l'offre initiée par UFISUSE sont étrangers à l'appréciation de la validité juridique de la décision de recevabilité prise par le Conseil ;
- l'information sur les deux promesses de cession, telle qu'elle a été diffusée, satisfait aux exigences de l'article 4 du règlement nº 89-03 de la Commission des opérations de bourse ; celle-ci, en donnant son visa à la note d'information, a estimé l'information suffisante, tant en ce qui concerne les promesses de cession que les intentions d'UFISUSE relatives à la politique industrielle, financière et sociale des sociétés concernées ; en tout état de cause, la note d'information étant intervenue postérieurement à la décision de recevabilité ne saurait, en outre, affecter la validité de celle-ci ;
- aucune disposition réglementaire n'interdît la conclusion de promesses de vente, lesquelles ne constituent pas une entrave au libre jeu des offres et des surenchères ;
- le règlement nº 92-02 de la Commission des opérations de bourse, dont la violation est invoquée, est relatif au placement auprès du public de valeurs mobilières et n'est donc pas applicable à l'opération initiée par UFISUSE qui est une offre publique d'achat ;
- enfin la SUCRERIE de CHALON, qui n'a pas inscrit de recours dans le délai prescrit, est irrecevable à soutenir un moyen non soutenu par les requérants, tiré en l'espèce de la non-notification du projet d'O.P.A. au Ministre de l'Economie ; à le supposer recevable, ce moyen ne serait pas fondé dès lors que la recevabilité de l'offre au regard de la réglementation boursière est indépendante de l'appréciation de l'opération au regard du droit des concentrations.
Le Conseil demande à la Cour la condamnation des requérants sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour recours abusif.
Dans ses conclusions, le Président de la Commission des opérations de bourse expose :
- que les obligations d'information du public qui incombent à la seule Commission des opérations de bourse ont été respectées tant en ce qui concerne les intentions d'UFISUSE en matière de politique sociale pour les douze mois à venir, qu'en ce qui concerne les promesses de vente consenties par SOMUPAR et par M. Louis BALLAND ;
- que le Conseil n'avait pas à apprécier des éléments extérieurs à l'offre et, qu'en tout état de cause, l'existence d'un concert entre SOMUPAR et UFISUSE, à la supposer établie, ne pouvait avoir pour effet de mettre à la charge d'UFISUSE les obligations résultant des actes de démarchage accomplis par SOMUPAR.
- que les promesses de cession consenties à l'initiateur d'une O.P.A. ne sont pas, a priori, contraires aux règles des offres publiques et que le bénéfice de l'intégration fiscale ne constitue pas un avantage déterminant.
A l'audience, le ministère public a oralement conclu au rejet des recours.
SUR QUOI, LA COUR ;
I - Sur la demande formée par SOMUPAR :
Considérant qu'il est demandé à la Cour d'ordonner le bâtonnage des écrits considérés comme diffamatoires figurant en page 11 du mémoire des consorts BALLAND auteurs de la requête, ainsi libellés : "Ces mécanismes de répression pénale peuvent d'autant mieux se justifier en l'espèce que le démarchage pratiqué par la SOMUPAR a les caractéristiques d'une tromperie des actionnaires de la SUCRERIE de CHALON" ;
Mais considérant que ces énonciations s'intègrent à des conclusions soumises à la Cour, ayant pour objet de porter à sa connaissance, afin d'en déduire des effets juridiques dans l'instance en cours, qu'une plainte avec constitution civile avait été déposée auprès du Doyen des juges d'instruction d'un tribunal de grande instance du chef de démarchage illicite ; que l'assertion critiquée ne saurait donc justifier le bâtonnage sollicité ;
II - Sur le grief pris de la violation du règlement nº 92-02 de la C.O.B. :
Considérant que les requérants font valoir que UFISUSE a agi de concert avec SOMUPAR qui recherchait un acquéreur des actions qu'elle détenait et était, dès lors, tenue solidairement aux mêmes obligations et notamment celle d'établir le "prospectus simplifié" prévu aux articles 3 et suivants du règlement 92-02 de la C.O.B., ce dont elle ne s'est pas acquittée ;
Mais considérant que le règlement dont la violation est invoquée concerne les offres publiques de placement de valeurs mobilières dans le public ; qu'il ne saurait donc être applicable à UFISUSE qui était initiateur, non d'une offre de placement de valeurs mobilières mais d'une offre publique d'achat ;
Qu'au surplus il ne résulte pas de la chronologie des événements et des pièces communiquées qu'une action de concert aurait existé entre UFISUSE et SOMUPAR ;
Qu'au mois de mars 1993, SOMUPAR avait adressé une lettre aux actionnaires de la SUCRERIE de CHALON, les invitant à signer au bénéfice de la SOCIETE FINANCIERE DE COURCELLES un mandat de vente de leurs actions au profit d'un acquéreur que la FINANCIERE DE COURCELLES avait pour mission de rechercher ;
Que dès le 1er juillet 1993, c'est à dire le lendemain même de la saisine du Conseil par UFISUSE, la FINANCIERE DE COURCELLES a informé par lettre les 135 actionnaires de la SUCRERIE de CHALON lui ayant donné mandat, que sa mission était suspendue, compte tenu des règles de la procédure d'O.P.A. initiée, qui lui interdisaient de jouer un rôle d'intermédiaire ;
Qu'ainsi les démarchages, à les supposer illicites, et les engagements d'actionnaires qui en étaient la conséquence, étaient sans influence sur la validité de l'O.P.A., étant observé que les actionnaires qui avaient donné mandat de vendre avaient recouvré leur liberté de disposer librement de leurs actions dès avant la décision du Conseil des Bourses de valeurs ;
III - Sur le grief de non-révélation par UFISUSE de ses intentions et sur les conséquences économiques et sociales de l'O.P.A. :
Considérant, d'une part, que les Comités d'entreprise des SUCRERIES DE BOURGOGNE et de BRIENON font valoir que la décision du Conseil doit être annulée au motif que l'initiateur de l'offre n'aurait pas précisé ses intentions, pour les douze mois à venir, relatives à la politique industrielle, financière et sociale des sociétés concernées ;
Considérant qu'il résulte de l'article 7 du règlement nº 89-03 de la Commission des opérations de bourse que les intentions de l'initiateur pour les douze mois à venir doivent être déclarées dans la note d'information soumise au visa de la Commission des opérations de bourse ;
Mais considérant que la Cour constate que la note visée par la Commission contient ces renseignements sous son paragraphe 4 intitulé "Motifs de l'opération - Intentions de l'initiateur et de ses actionnaires" ;
Qu'aux termes de l'article 8 du règlement nº 89-03 de la C.O.B., l'initiateur de l'offre doit garantir l'exactitude des éléments donnés en application de l'article 7 de ce même règlement ;
Qu'en accordant son visa, la C.O.B., à qui il appartient d'exercer le contrôle de l'information en vertu de l'article 7 précité, a nécessairement estimé que les déclarations faites par l'initiateur étaient suffisantes pour satisfaire à son obligation d'information sur ce point ;
Considérant, d'autre part, que les requérants font grief au Conseil d'avoir admis l'offre publique alors que l'objectif principal de l'initiateur de cette offre n'était pas de procéder à une restructuration industrielle assortie d'un plan social, mais seulement d'évincer un concurrent sain dans le but de récupérer ses quotas de production de sucre ;
Mais considérant que s'il appartient au Conseil des bourses de valeurs de vérifier la régularité d'une offre publique au regard de la loyauté et de la transparence du marché boursier, son contrôle ne porte pas sur celui de la finalité industrielle, commerciale et sociale de l'opération ;
Qu'il y a lieu de relever, à cet égard, que le Ministre de l'Economie a saisi de cette question le Conseil de la concurrence au titre du contrôle des concentrations ;
IV - Sur le défaut d'information du Ministre de l'Economie :
Considérant que le moyen tiré par la SUCRERIE de CHALON du défaut de notification à la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du projet d'O.P.A. est sans portée dans la présente instance dès lors que le Ministre de l'Economie a, comme il vient d'être rappelé, saisi le Conseil de la concurrence pour avis au titre d'une opération de concentration ;
V - Sur le défaut de publication et de notification du texte intégral des promesses unilatérales de cession :
Considérant que les requérants font valoir qu'en ne publiant pas et en ne notifiant pas au Conseil d'administration de la SUCRERIE de CHALON le texte intégral des promesses de cession, l'initiateur de l'offre a violé les dispositions de l'article 4 du règlement nº 89-03 de la C.O.B. et n'a pas permis aux actionnaires, à l'exception des deux signataires, de savoir dans quelle mesure précise lesdites promesses interdisaient aux deux promettants d'apporter leurs titres à une éventuelle surenchère concurrente de l'offre d'UFISUSE ;
Mais considérant d'une part que le texte intégral des accords a été communiqué par UFISUSE au Conseil préalablement au prononcé de sa décision et à la Commission des opérations de bourse préalablement au visa donné par elle à la note d'information ;
Considérant que la Commission et le Conseil ont pu ainsi s'assurer que l'information donnée par UFISUSE dans sa note d'information publiée le 12 juillet comme dans l'avis publié le 8 juillet dans le journal LES ECHOS reflétait exactement le degré d'engagement des promettants et était suffisante au regard des exigences du règlement nº 89-03 sans qu'il soit nécessaire de publier intégralement le texte de ces promesses ;
Considérant, d'autre part, que l'article 4 du règlement nº 89-03 de la C.O.B. n'impose aucune forme particulière aux notifications qui doivent être faites au conseil d'administration des sociétés concernées ;
Qu'en l'espèce les consorts BALLAND ne contestent pas, notamment en page 24 de leurs conclusions où sont rappelés les termes de la lettre du 27 juillet émanant d'UFISUSE, que les promesses de cession ont été portées à la connaissance du Conseil d'administration de la SUCRERIE de CHALON dès le 29 juin par l'avis de la S.B.F. nº 93-1832, puis par la remise du projet de note d'information et enfin par la remise de la note d'information elle-même ;
Considérant qu'en soulignant dans les avis portés à la connaissance du public et du Conseil d'administration de la SUCRERIE de CHALON, que : "ces promesses valent engagement irrévocable à l'offre publique initiée par UFISUSE", et encore que, "l'initiateur de l'offre se réserve la possibilité, au cas où il ne détiendrait pas 50,01 % du capital à l'issue de l'offre, ou d'y renoncer, ou d'acquérir les titres offerts", UFISUSE a informé sans ambiguïté les actionnaires de l'engagement précis et exact des promettants de s'interdire d'apporter leurs titres à une offre concurrente ;
Considérant, en conséquence, que le moyen sera rejeté ;
VI - Sur la régularité des promesses de cession au regard de la réglementation boursière :
Considérant que les requérants contestent, tant au regard du droit civil qu'au regard des règlements boursiers, la validité des conventions de cession d'actions consenties au profit d'UFISUSE par la SOMUPAR à hauteur de 8.144 actions et par M. Louis BALLAND à hauteur de 11.040 actions ;
Considérant que la Cour, statuant sur les recours formés contre une décision du Conseil des bourses de valeurs, n'est pas compétente pour connaître de la validité des conventions de cession d'actions d'une société au regard des règles du droit civil ;
Considérant qu'aucune disposition de la réglementation boursière n'interdit la conclusion de telles conventions ;
Considérant qu'en l'espèce les accords de cession, qui ont été conclus antérieurement au dépôt du projet d'offre publique d'achat et ont donné lieu à une information régulière du public, ne contreviennent pas aux dispositions du règlement nº 89-03 de la C.O.B. et ne portent pas atteinte à la transparence du marché ;
Que portant sur 10,66 % du capital de la SUCRERIE de CHALON, les promesses de cession, faites à titre irrévocable, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à rendre impossible une prise de contrôle de la société cible par l'auteur d'une surenchère ; qu'ainsi elles n'ont pu porter atteinte au libre jeu des offres et des surenchères ;
Considérant qu'il est encore soutenu que l'impossibilité pour un surenchérisseur d'acquérir, en raison de ces conventions, au moins 95 % du capital, le priverait du bénéfice de l'intégration fiscale de la société acquise et lui rendrait ainsi plus lourd le financement de son acquisition ;
Mais considérant que la rupture d'égalité invoquée entre l'initiateur et un enchérisseur est purement hypothétique, dès lors que l'acquisition préalable par voie contractuelle de 10,66 % du capital ne confère à UFISUSE aucune certitude de détenir au moins 95 % du capital de la SUCRERIE de CHALON après clôture de l'O.P.A. ;
Qu'à cet égard la note d'information, visée par la C.O.B. et publiée le 27 juillet par la SUCRERIE de CHALON, recommande d'ailleurs aux actionnaires de ne pas apporter leurs actions à l'offre publique d'UFISUSE jugée hostile ;
Considérant que le recours doit en conséquence être rejeté ;
Considérant que les requérants ont, en exerçant leurs recours, fait usage d'un droit sans qu'un abus de celui-ci soit démontré et qu'il n'y a donc lieu de prononcer à leur encontre une condamnation de ce chef à des dommages-intérêts ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
- REJETTE les recours formés par M. Albert BALLAND, Mme Josèphe WILHELEM-BALLAND, le Comité d'entreprise de la SUCRERIE-RAFFINERIE DE BRIENON et le Comité d'entreprise de la SUCRERIE-RAFFINERIE DE BOURGOGNE ;
- DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- REJETTE toutes autres demandes ;
- MET les dépens à la charge des requérants.