CA Paris, 1re ch. H, 13 novembre 2001, n° 2001/13003
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Adam (Association), AGF Invest (Sté), AGF Asset Management (Sté), Oudart Gestion Institutionnelle et Privée (Sté), Fima Europe Small Caps (Sté), Fortis Investissement Management France (Sté), SFCM (SARL)
Défendeur :
Expand (Sté), Finexpand (Sté), StudioCanal (Sté), Conseil des Marchés Financiers, Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mme Riffault-Slik, M. Savatier
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Teytaud
Avocats :
Me Schmidt, Me Morabia, Me Pasturel
La société Studio Canal a acquis directement et indirectement, le 15 juin 2001, 99,7 % des actions de la société Finexpand dont l'actif unique est une participation de 19,7 % du capital et de 32,76 % des droits de vote de la société Expand, valorisée à 55 € par action Expand, et a franchi du fait de cette acquisition les seuils de 33 % et de 50 % du capital et des droits de vote de la société Expand.
Saisi le 29 sept. 2000 par la banque Rothschild&Cie agissant pour le compte de la société Studio Canal, d'un projet d'offre publique d'achat simplifiée visant les actions de la société Expand, en application des dispositions de l'art. 5-5-2 de son règlement général, le Conseil des marchés financiers (le CMF ou le Conseil) a estimé par décision no 201 C0867 du 13 juill. 2001, publiée au BALO le 18 juill. 2001, que le prix d'acquisition du contrôle soit par transparence 55 € par action Expand, constituait une référence majeure dès lors qu'il était corroboré par l'analyse multicritères menée par la banque présentatrice, et a prononcé la recevabilité de l'offre en application des dispositions de l'art. 5-1-9 de son règlement général.
Renée Koering-Joulin, Camille et Elise Koering et l'association ADAM, d'une part, la société AGF Invest, la société AGF Asset Management, Christophe, Chloé et Thomas Buren, la société Oudart Gestion institutionnelle et privée, Philippe Langlois, François de Granvilliers, la société Fima Europe Small Caps, la société Fortis Investissement Management France, Walter Kursteiner et la société SFCM, d'autre part, actionnaires minoritaires de la société Expand, ont formé les 19 et 23 juill. 2001 deux recours aux fins d'annulation de cette décision.
Par ordonnance du 6 août 2001, le premier Président de cette Cour a rejeté la demande de sursis à exécution présentée par les requérants et a donné acte au Conseil des marchés financiers de ce qu'il s'engageait, dans l'intérêt du marché, à rouvrir l'offre publique simplifiée dans la semaine qui suivra l'arrêt de la Cour, au profit des actionnaires qui n'auraient pas apporté leurs titres avant le 13 août 2001, date de la clôture de l'offre.
Au soutien de leur demande d'annulation, les requérants déclarent, dans l'exposé de leurs moyens déposé le 16 août 2001, que l'application impérative des dispositions de l'art. 5-3-4 du règlement général imposant un prix minimum calculé par référence au cours de bourse, « sauf accord du Conseil », aurait dû conduire ce dernier à fixer un prix d'offre de 60 € par action Expand, correspondant à la moyenne pondérée des cours pendant les soixante jours de bourse précédant le 12 juin 2001, date du communiqué annonçant la réalisation imminente de la cession. Ils déclarent que les termes de la décision entreprise, qui ne comportent aucune motivation de droit ni de fait justifiant d'un accord donné par le Conseil pour écarter ces dispositions, ne permettent pas à la Cour d'exercer son contrôle de légalité. Ils ajoutent qu'à supposer écartée l'application de l'art. 5-3-4 du règlement général, la décision du Conseil encourt l'annulation, le règlement général ne permettant pas cette éviction, et le Conseil n'invoquant aucun motif pertinent au soutien de cette éviction.
Dans un mémoire en réplique déposé le 26 sept. 2001, ils ajoutent qu'ils maintiennent entièrement l'argumentation précédemment développée, et font valoir que le principe d'égalité de traitement entre les actionnaires de la société Finexpand et ceux de la société Expand n'a pas été respecté, l'identité de prix alléguée par les défenderesses n'étant pas réalisée en raison des incidences fiscales différentes de l'opération pour les actionnaires de chacune des deux sociétés.
Ils demandent à la Cour :
- de déclarer irrecevables les observations déposées par la Commission des opérations de bourse, en ce qu'elles leur ont été transmises après l'expiration du délai fixé,
- d'annuler la décision attaquée.
Les sociétés Studiocanal, Finexpand et Expand, défenderesses au recours, concluent au rejet des recours en exposant que, lorsque la société cotée dont le contrôle est indirectement pris constitue le seul actif de la société intermédiaire, le prix d'acquisition du bloc constitue par transparence le critère principal d'appréciation. Elles ajoutent que contrairement aux affirmations des requérants, les dispositions de l'art. 5-3-4 du règlement général n'évincent nullement celles de l'art. 5-1-9 du même règlement, mais s'y réfèrent expressément, le principe de détermination du prix résultant en tout état de cause de l'approche multicritères prévue par ces dispositions.
Elles demandent à la Cour de rejeter les recours et de condamner les requérants aux dépens.
Le Conseil des marchés financiers déclare que contrairement aux affirmations des requérants, l'art. 5-3-4 du règlement général ne déroge nullement au principe de la valorisation de la société par une approche multicritères tel qu'il résulte des dispositions de l'art. 5-1-9 du même règlement, la règle complémentaire visant la fixation d'un prix minimum constitué par référence à la moyenne des soixante jours de bourse précédant l'opération, pouvant être écartée « avec l'accord du Conseil », ainsi que le confirme la lettre du texte.
Il ajoute que dans le cas d'une acquisition indirecte d'une société cotée qui constitue le seul actif de la société intermédiaire, le prix de l'offre est habituellement déterminé par une approche multicritères privilégiant le prix d'acquisition du bloc, cette analyse ayant conduit en l'espèce à retenir le prix de 55 € par action.
Il demande à la Cour :
- de déclarer irrecevable comme nouveau le moyen tiré d'une atteinte au principe d'égalité des actionnaires développé par les requérants, dans le mémoire en réplique déposé le 26 sept. 2001.
- de rejeter les recours et de condamner les requérants aux dépens.
Invitée à présenter des observations en application de l'art. 12-1 de l'ordonnance du 28 sept. 1967, la Commission des opérations de bourse conclut au rejet des recours.
Le Ministère Public a conclu oralement au rejet des recours.
LA COUR :
Sur les moyens de procédure ;
Sur la recevabilité des observations de la Commission des opérations de bourse ;
Considérant que les requérants demandent à la Cour de déclarer irrecevables les observations déposées par la Commission des opérations de bourse qui ne leur auraient été transmises que le 24 sept. 2001 à 15 heures ;
Mais considérant qu'il résulte de l'ordonnance du 6 août 2001, prise en application, que la Commission des opérations de bourse devait déposer ses observations au Greffe de cette Cour avant le 20 sept. 2001 ; que ce dépôt a été effectué le 19 sept. 2001, ainsi qu'en atteste le cachet du greffe apposé sur ce document ;
Qu'il convient de rejeter la demande des requérants ;
Sur la recevabilité du moyen tiré d'une rupture d'égalité entre les actionnaires de la société Finexpand et ceux de la société Expand ;
Considérant que l'exposé des moyens invoqués au soutien du recours formé contre les décisions du Conseil doit être effectué, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration de recours ;
Que le Conseil des marchés financiers soulève à l'audience l'irrecevabilité du moyen d'annulation tiré d'une rupture d'égalité entre les actionnaires de la société Finexpand et ceux de la société Expand, développé dans le mémoire en réplique des requérants déposé le 26 sept. 2001 au greffe de la Cour, alors qu'il ne figurait pas dans l'exposé de leurs moyens du 16 août 2001 ;
Considérant qu'il est constant que si les déclarations de recours enregistrées les 19 et 23 juill. 2001 visent ensemble les art. 5-3-4 et 5-1-1 du règlement général, l'exposé des moyens déposé par les requérants le 16 août 2001 ne comporte aucun développement relatif à une violation de l'art. 5-1-1 du règlement général qui consacre notamment les principes d'égalité des actionnaires, de transparence et d'intégrité du marché et de loyauté dans les transactions et la compétition ;
Qu'il s'en suit que le moyen tiré d'une rupture d'égalité de traitement entre les actionnaires du fait d'une fiscalité différente concernant chacune des deux sociétés, tardivement soulevé par les requérants dans leur mémoire en réplique déposé le 26 sept. 2001, n'est pas recevable ;
Sur le fond ;
Considérant que la société Studiocanal, qui s'était fait consentir le 10 févr. 2000 une promesse de vente sur la totalité des actions de la société Expand détenues par la société Finexpand, pouvant être exercée par anticipation entre le 1er nov. 2000 et le 31 mars 2001 dans le cadre d'un apport ou d'une dation en paiement par remise d'actions Studiocanal rémunérant l'apport des actions Expand faisant l'objet de la promesse, a annoncé par communiqué publié le 30 janv. 2001, avoir procédé à une notification préliminaire d'exercice de cette promesse, ayant pour effet de mettre en oeuvre la procédure d'expertise du prix des actions Expand servant à la détermination de la parité d'échange ; que toutefois le 15 juin 2001, les actionnaires de la société Finexpand ont signé un accord par lequel ils cédaient à la société Studiocanal la totalité de leurs actions Finexpand soit 99,7 % du capital, sur la base d'un prix valorisant la participation de la société Finexpand dans la société Expand à 55 € par action Expand ; que consécutivement à cette acquisition, la société Studiocanal s'est trouvée détenir directement et indirectement, par l'intermédiaire de la société Finexpand, 51,66 % du capital et 59,38 % des droits de vote de la société Expand, les franchissements des seuils du tiers et de la moitié du capital et des droits de vote ayant été publiés le 25 juin 2001 ;
Considérant que les requérants reprochent tout d'abord à l'initiateur d'avoir délaissé son droit de lever son option d'achat contrairement aux informations communiquées par lui, l'accord du 15 juin 2001 s'étant réalisé en dehors de la convention conclue le 10 févr. 2000 ;
Mais considérant que la juridiction de la Cour ne peut porter sur l'examen de l'application ou du non-respect des conventions d'actionnaires précédemment conclues entre les parties ; qu'en effet même dans l'hypothèse où n'est pas tranché un différend, il n'est ni du pouvoir du Conseil, ni de la compétence de la Cour statuant sur les recours formés contre ses décisions, de se prononcer sur les violations éventuelles d'obligations dont les sanctions de droit privé n'entrent pas dans les mesures que l'autorité de marché est habilitée à prendre par application de la loi du 2 juill. 1996 et de son règlement général ;
Considérant que les requérants font encore grief au Conseil des marchés financiers d'avoir déclaré recevable le projet d'offre publique simplifiée déposé par la société Studiocanal sur les titres de la société Expand au prix de 55 € par action, qui correspondait par transparence au prix payé par la société Studiocanal pour l'achat des titres de la société Finexpand dont elle constituait l'unique actif, sans se prononcer sur l'incidence des dispositions de l'art. 5-3-4 du règlement général d'application pourtant impérative, cette absence de motivation mettant la Cour dans l'impossibilité d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision du Conseil ;
Mais considérant qu'il résulte des énonciations de la décision attaquée qu'elle comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, la Cour étant à même d'effectuer ce contrôle ;
Considérant en effet que c'est à bon droit que le Conseil des marchés financiers a estimé que par la transaction conclue le 15 juin 2001, la société Studiocanal avait acquis indirectement le contrôle de la société Expand, le projet d'offre qui lui était soumis entrant dans les prévisions de l'art. 5-5-2 du règlement général relatif aux offres publiques obligatoires dans le cas du franchissement du seuil du tiers du capital ou des droits de vote d'une société, et par conséquent dans celles du chapitre III du titre V du règlement général, relatif aux offres publiques d'achat simplifiées, le seuil de la moitié du capital et des droits de vote ayant été également franchi dans les conditions prévues par l'art. 5-3-2 a) de ce règlement ;
Considérant que selon les dispositions de l'art. 5-3-4 du règlement précité, « si l'offre publique est une offre d'achat résultant de l'application du paragr. a) de l'art. 5-3-2 et sous réserve des dispositions de l'art. 5-1-9, le prix stipulé par l'initiateur de l'offre ne peut être inférieur, sauf accord du Conseil, au prix déterminé par le calcul de la moyenne des cours pondérée par les volumes de transactions, pendant les soixante jours de bourse précédant la publication de l'avis de dépôt du projet d'offre publique » ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'en matière d'offre simplifiée, le principe est que le prix offert par l'initiateur doit être apprécié au regard d'une analyse multicritères telle que prévue par l'art. 5-1-9 du règlement général, assortie d'un minimum défini par référence à une moyenne pondérée des cours de bourse ; que ce principe comporte toutefois une dérogation nécessitant l'accord motivé du Conseil, et portant uniquement sur la possibilité de fixer un prix inférieur à ce prix plancher ;
Considérant que sont relevés dans la décision attaquée, les arguments soulevés par les minoritaires devant le Conseil, tendant à ce que le calcul du prix d'offre soit effectué uniquement par cette référence à la moyenne des cours de bourse pendant les soixante jours de bourse précédant l'annonce faite le 12 juin 2001 ;
Que les motifs pour lesquels le Conseil a estimé devoir écarter cette référence à raison « des circonstances du cas d'espèce », ainsi qu'il y était expressément autorisé par le texte précité, sont clairement précisés dans sa décision ;
Qu'il mentionne avec pertinence le fait qu'en l'espèce, le franchissement des seuils prévus par son règlement est résulté d'une transaction par laquelle la société Studiocanal venait de prendre indirectement le contrôle de la société Expand, le prix d'acquisition du contrôle constituant « une référence majeure dès lors qu'elle est corroborée par l'analyse multicritères », alors qu'une telle référence aurait été inexistante dans le cas d'une offre spontanée émise par un actionnaire majoritaire historique pour fermer le capital de la société visée ; qu'il observe, en outre, qu'aucune autre transaction connexe susceptible de remettre en cause cette référence n'a été portée à sa connaissance, ces seuls motifs justifiant l'éviction de la règle du « prix plancher » prévue par l'art. 5-3-4 du règlement général ;
Considérant enfin que l'analyse multicritères conduite par la banque présentatrice, rappelée dans la décision attaquée, intègre notamment le cours de bourse selon plusieurs moyennes relevées sur douze mois au 29 janv. 2001 (date de l'annonce de la notification préliminaire par la société Studiocanal à la société Finexpand de la levée de l'option d'achat) et au 18 juin 2001 (date de l'annonce de la cession du contrôle de la société Finexpand) ; qu'elle conclut à un prix de 55 € par action Expand, identique au prix déterminé par transparence dans la transaction effectuée sur les titres de la société Finexpand, sans faire l'objet d'aucune contestation de la part des requérants ;
Considérant qu'il convient de rejeter le recours et de condamner les requérants aux dépens ;
Par ces motifs, rejette la demande des requérants tendant à voir déclarer irrecevables les observations de la Commission des opérations de bourse,
Déclare irrecevable le moyen tiré d'une rupture d'égalité entre les actionnaires,
Rejette les recours,
Condamne in solidum les requérants aux dépens.